Entretien avec Philippe Sireuil réalisé par Yannic Mancel
Yannic Mancel : Philippe Sireuil, vous avez derrière vous une histoire de théâtre déjà longue et complexe, au cours de laquelle vous avez expérimenté de nombreuses fonctions et de multiples statuts : d’abord animateur de jeune compagnie (Le Théâtre du Crépuscule) puis directeur d’institution (Le Théâtre Varia, l’Atelier Théâtral de Louvain la-Neuve) et aussi de temps à autre metteur en scène indépendant — « mercenaire » selon la belle et ironique expression de Jacques Lassalle — répondant ponctuellement à la commande de tel centre dramatique ou de tel opéra… Que représente pour vous le fait d’être aujourd’hui associé au Théâtre National, auprès de quatre autres artistes également choisis par Jean-Louis Colinet, et de participer ainsi à une nouvelle phase de l’histoire de ce lieu ? Qu’en avez-vous déjà retiré et qu’en attendez vous encore ?
Philippe Sireuil : Le fait d’être metteur en scène « associé » au Théâtre National est à la fois une liberté et une contrainte. Une liberté puisque je n’ai d’autre souci que le travail lié directement à la création artistique sans avoir à me préoccuper de l’intendance, de la gestion ni de l’administration de mes propres spectacles. Le plaisir et la liberté s’augmentent d’un sentiment de sécurité et d’inscription dans la durée, puisque nous avons la garantie, réaffirmée par Jean-Louis, de rester à ses côtés au moins jusqu’à l’échéance de son premier contrat qui est de cinq saisons, ce qui nous donne la perspective d’un chemin, d’un trajet envisageable avec une relative sérénité. La contrainte, c’est qu’en tant que pierres angulaires de la politique de production et de programmation du Théâtre, nos choix artistiques à tous les cinq ont du coup le devoir de s’intégrer dans un horizon plus large, plus vaste, puisque le Théâtre National demeure le sommet pyramidal de l’institution théâtrale en Belgique francophone et qu’il doit continuer d’un même mouvement à répondre à de nombreuses et diverses sollicitations, y compris parfois les plus contradictoires. C’est donc un outil que nous cinq, pourtant déjà très présents, devons partager avec de nombreux autres partenaires également prévus par les missions définies dans le contrat-programme. La deuxième « contrainte » est, quant à elle, plutôt positive : elle permet, au travers de rencontres formalisées réunissant la direction et les metteurs en scène associés, mais aussi de discussions informelles entre les uns et les autres, d’échanger des idées, des réflexions, de formuler des questions ou des hypothèses sur les projets et les désirs de chacun ainsi que sur l’évaluation et l’évolution du paysage théâtral belge ou européen, ce qui représente un inestimable enrichissement
Yannic Mancel : Y a‑t-il une part de commande dans les clauses implicites ou avouées de cette « association » artistique ?
Philippe Sireuil : Non, nous n’avons pas ici affaire à un directeur, comme on peut parfois l’imaginer à l’Opéra, obsédé par un projet de répertoire qu’il entendrait imposer à l’ensemble de ses collaborateurs artistiques. Ici, nous venons chacun avec nos hypothèses, nos méthodes de travail, nos réflexions, qu’il s’agisse de textes à mettre en scène ou de projets beaucoup plus libres ou singuliers comme ceux d’Ingrid. Cette liberté d’initiative est à mettre, bien sûr, au crédit de l’institution, de sa capacité financière et de la personnalité de son directeur. Et puisque vous m’avez interrogé aussi sur mes attentes, je dirai seulement que nous aimerions parfois mériter un peu plus encore notre appellation d’artistes associés. Nous avons parfois le sentiment de n’être qu’artistes invités, alors que nous souhaiterions aussi être consultés sur l’aventure institutionnelle, organisationnelle du théâtre dans lequel nous travaillons tous ensemble.
Yannic Mancel : Vous souhaitiez en fait une relation plus « organique » avec l’ensemble du Théâtre ?
Philippe Sireuil : Oui, j’aimerais que la notion d’association implique aussi un partage assumé de prises de risques, de devoirs et de responsabilités envers le copilotage de l’aventure artistique dont nous sommes solidaires. Nous ne sommes pas au « centre », nous ne sommes pas le collectif artistique du Théâtre National, il nous manque cette « organicité » que fort justement vous évoquiez.
Yannic Mancel : Puisqu’on a compris qu’il ne s’agissait pas de commandes, comment se passe le choix des projets ? Mesure pour mesure, La Forêt, Le Misanthrope, Jean-Marie Piemme… Comment ces noms et ces titres parviennent-ils concrètement jusqu’à l’affiche et à la brochure de saison ? Comment se décide le bon projet au bon moment en harmonie avec les désirs du directeur et sa programmation ?

