La Troppa et après … Les acteurs doivent être des guerriers
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Entretien

La Troppa et après … Les acteurs doivent être des guerriers

Entretien avec Juan Carlos Zagal

Le 22 Déc 2007
Jaime Lorca et Juan Carlos Zagal dans GEMELOS d'après Agora Kristof par La Troppa.
Jaime Lorca et Juan Carlos Zagal dans GEMELOS d'après Agora Kristof par La Troppa.
Jaime Lorca et Juan Carlos Zagal dans GEMELOS d'après Agora Kristof par La Troppa.
Jaime Lorca et Juan Carlos Zagal dans GEMELOS d'après Agora Kristof par La Troppa.
Article publié pour le numéro
Couverture du numéro 96-97 - Théâtre au Chili
96 – 97
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IVAN-CARLOS ZAGAL : Ma moti­va­tion essen­tielle est la musique tout d’abord, en tant que jeune auto­di­dacte. Ensuite, j’ai décou­vert, par hasard, le théâtre. Je suis allé voir LE BOURGEOIS GENTIL HOMME de Molière dans une ver­sion très amu­sante, très émou­vante, et pour la pre­mière fois, étant enfant, j’ai pleuré de rire. J’ai ressen­ti une énorme émo­tion, qui m’a mar­qué pour tou­jours. Je me suis rap­pelé de cette émo­tion au moment de m’in­scrire à l’U­ni­ver­sité. J’ai ouvert le guide des études et le pre­mier cur­sus classé par ordre alphabé­tique était actuación teatral (comé­di­en). C’est la pre­mière chose que j’ai vue. Je me suis rap­pelé de ce moment-là et j’ai décidé de faire des études de théâtre. Jal­lais étudi­er la musique, l’his­toire, mais ce sou­venir m’a déter­miné.

Ça a été incroy­able. C’est là que j’ai ren­con­tré Jaime et Lau­ra. Elle et moi sommes tombés amoureux, elle est dev­enue ma com­pagne. Avec Jaime, nous avons décidé de tra­vailler ensem­ble sur un spec­ta­cle de rue. Lau­ra nous a rejoints, et nous avons for­mé la com­pag­nie, dès la fin de nos études.

Bernard Debroux : C’é­tait en quelle année ?

J.-C. Z.: Fin 1986, et en 87 nous avons mon­té notre pre­mier spec­ta­cle, qui a été un échec com­plet, tant au niveau du pub­lic qu’au niveau financier. Per­son­ne n’est venu nous voir, sauf un acteur qui écrivait dans un mag­a­zine appelé Plumón y Pince!, qui a d’ailleurs fait une cri­tique très bien­veil­lante. L’œu­vre était pleine de défail­lances, mais il dis­ait « il y a une lueur par­ti­c­ulière dans les yeux de Jaime Lor­ca, Lau­ra Pizarro et Juan Car­los Zagal, qu’il faut suiv­re, explor­er, pour voir ce que ces jeunes nous racon­teront plus tard ». Là je me suis dit que quelqu’un nous avait sauvé. Et j’ai com­mencé à croire que c’é­tait pos­si­ble.

B. D.: Tu n’as donc pas fait de théâtre ailleurs qu’avec le groupe ?

J.-C. Z.: Si, au début, nous avons eu quelques expéri­ences, mais elles ont toutes été frus­trantes,
parce que le sys­tème de créa­tion et de pro­duc­tion de pièces est angois­sant pour le comé­di­en. Le met­teur en scène gère tous les secrets, le pro­duc­teur a un pou­voir illim­ité, les temps sont très délim­ités et dif­fi­ciles, les per­son­nages que tu es appelé à jouer ne passent pas néces­saire­ment par ta pro­pre créa­tion. C’est du moins mon expéri­ence. Et nous devions tra­vailler pour sur­vivre. C’est tou­jours notre prob­lème. Com­ment sur­vivre. Com­ment join­dre les deux bouts sans cachets, sans salaire, pour tous les mem­bres de la com­pag­nie. Alors au début nous étions très pau­vres et nous devions tra­vailler ailleurs pour main­tenir la com­pag­nie. Mais avec PINOCCHIO, dont nous avons fait la pre­mière fin 1990, pour la pre­mière fois nous avons reçu de l’ar­gent, avec les recettes et la vente de représen­ta­tions. Pour la pre­mière fois en qua­tre ans.

B. D.: C’est donc à par­tir de 1991 que la com­pag­nie est dev­enue auto­suff­isante ?

J.-C. Z.: Oui, les années précé­dentes ont été car­ac­térisées par une crise pro­fonde, mais j’en suis recon­nais­sant. Elle nous a don­né la force de con­tin­uer. Elle a ren­for­cé la rela­tion entre Lau­ra et moi. C’est parce que ces années ont été si dén­i­grantes, indignes, et dif­fi­ciles que tout a sem­blé sim­ple par la suite, comme une récom­pense. Cela a été l’é­tape la plus dif­fi­cile de notre vie. Après, ça n’a été que sourires. Avec le théâtre, nous avons com­mencé à sourire et nous avons fait du théâtre plus joyeux. Nous avons retrou­vé con­fi­ance en nous.

B. D.: Est-ce le spec­ta­cle sur PINOCCHIO qui a été le déclencheur ?

J.-C. Z.: Oui. Nous y avons décou­vert, entre autres, la ten­dresse. Avec PINOCCHION, nous avons don­né de la ten­dresse aux Chiliens qui sor­taient de la dic­tature. Le slo­gan de la cam­pagne du « Non » à Pinochet au plébiscite de 1988 dis­ait « la ale­gría ya viene » (la joie arrive). La dic­tature poli­tique se ter­mi­nait et la démoc­ra­tie com­mençait. Mais rien n’a changé aujour­d’hui, au con­traire, les mêmes affaires con­tin­u­ent. Et PINOCCHIO a per­mis de se remet­tre à sourire. Les gens se sont mis à sourire, à rire, et ont passé du bon temps sim­ple­ment. Parce que c’est très sim­ple, c’est beau­coup de jeu et nous, les comé­di­ens, nous avons recom­mencé à jouer.

Daniel Cor­do­va : Tu as dit que les comé­di­ens devaient être des guer­ri­ers. C’est une sorte d’ap­pel à con­tin­uer la lutte ?

J.-C. Z.: Oui, je par­le tou­jours de cet esprit de com­bat, de cet esprit guer­ri­er. Qui n’a rien à voir avec le sens lit­téral, ce n’est pas aller con­tre le sys­tème, mais aller à l’en­con­tre de nous-mêmes. Je me sens l’héri­ti­er du grand théâtre chilien. Je suis fier de cette his­toire. Je ne l’ig­nore pas. Je sens que tous ont batail­lé jusqu’au bout et con­tin­u­ent. Nis­sim Sharim, Del­fi­na Guz­man, La com­pag­nie Ictus, Pedro de la Bar­ra, tous les grands comé­di­ens de ce pays ont lut­té con­tre la facil­ité, con­tre la van­ité, con­tre le rel­a­tivisme ; ils ont lut­té con­tre ce démon qui s’empare des comé­di­ens qui croient que tout se jus­ti­fie et que rien ne leur est inter­dit. Moi je dis que nous devons con­sacr­er notre meilleure énergie au théâtre, sinon le théâtre mour­ra. Et qui fera du théâtre demain ?

Alors, nous pen­sons, nous qui devenons des vétérans, que nous avons le besoin d’in­viter les jeunes comé­di­ens, pas à jouer, mais à com­pren­dre et à défendre le méti­er d’ac­teur, qui a plus de trois mille ans. Je pense que le théâtre doit être fait avec joie, tout en sachant qu’il y aura des nuits som­bres, où les ressources et l’in­spi­ra­tion man­queront, mais cela ne doit inquiéter per­son­ne.

Et en dépit de tout, il fau­dra sor­tir de là, comme on sort de sa tranchée pour lut­ter. J’ad­mire pro­fondé­ment l’e­sprit des gens qui ont com­bat­tu pen­dant la pre­mière guerre mon­di­ale, parce que ces jeunes ont été trompés, ils ont été lancés à la boucherie. Et ils y sont allés quand même. Ce monde serait tout autre si tous ces jeunes avaient survécu au lieu de gaspiller leur énergie pour con­quérir quelques mètres car­rés.

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Bernard Debroux
Co-écrit par Bernard Debroux
Fon­da­teur et mem­bre du comité de rédac­tion d’Al­ter­na­tives théâ­trales (directeur de pub­li­ca­tion de 1979 à 2015).Plus d'info
auteur
et Daniel Cordova
Diplômé en Mise en scène et cinéma à l’IN­SAS, Daniel Cor­do­va exerce d’abord une carrière de musi­cien. Per­cus­sion­niste,...Plus d'info
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