Le Teatro del Silencio. Un projet transculturel

Le Teatro del Silencio. Un projet transculturel

Le 23 Déc 2007
PURGATORIO par le Teatro del Silencio, mise en scène Mauricio Celedòn. Photo Christophe Raynaud de Lage.
PURGATORIO par le Teatro del Silencio, mise en scène Mauricio Celedòn. Photo Christophe Raynaud de Lage.

A

rticle réservé aux abonné·es
PURGATORIO par le Teatro del Silencio, mise en scène Mauricio Celedòn. Photo Christophe Raynaud de Lage.
PURGATORIO par le Teatro del Silencio, mise en scène Mauricio Celedòn. Photo Christophe Raynaud de Lage.
Article publié pour le numéro
Couverture du numéro 96-97 - Théâtre au Chili
96 – 97
Article fraîchement numérisée
Cet article rejoint tout juste nos archives. Notre équipe le relit actuellement pour vous offrir la même qualité que nos éditions papier. Pour soutenir ce travail minutieux, offrez-nous un café ☕

Con­texte du pro­jet théâ­tral

POUR UNE APPROCHE du Teatro del Silen­cio, il faut évo­quer la mise en échec insti­tu­tion­nelle et la restau­ra­tion postérieure de la vie démoc­ra­tique ; il faut accepter que la géo­gra­phie du pays s’est mod­i­fiée irréversible­ment avec la dias­po­ra for­cée à laque­lle la dic­tature a don­né lieu.

Pen­dant dix-sept ans, les Chiliens exilés pour activ­ités poli­tiques directes ont été rejoints par ceux gui ont aban­don­né le pays afin de vivre loin de la bar­barie et d’ex­ercer une citoyen­neté gui, de par leur édu­ca­tion, était sen­tie comme un mod­èle social auquel ils ne pou­vaient renon­cer.

Par­al­lèle­ment, pen­dant les années 1980, la fic­tion économique élaborée par la dic­tature s’ef­frite et le déclin général­isé engen­dre une ces­sa­tion d’ac­tiv­ités gui va pouss­er des cen­taines de Chiliens vers de nou­veaux hori­zons.

Le pays n’a pas été suff­isam­ment fort pour récupér­er cette masse de citoyens gui ont com­mencé à pren­dre racine ailleurs. Le retour est impos­si­ble pour cer­tains qui ne voient pas com­ment le pays pour­rait leur garan­tir ce qu’ils ont acquis dans d’autres lieux, où ils ont payé cher le fait de tout recom­mencer à zéro. Ceux gui ont réus­si, et ils sont nom­breux, à trou­ver leur place dans leur nou­veau pays et à y apporter quelque chose d’eux-mêmes, ont du mal à envis­ager le retour. Nous pou­vons affirmer, à la suite de ce gui vient d’être exposé, que, depuis les années 1990, il faut annex­er à la« longue et étroite frange de terre » sur laque­lle s’est cristallisée la République du Chili, d’im­menses espaces où se sont instal­lés des mil­liers de Chiliens gui vivent en se sen­tant appartenir à deux univers.

Le Teatro del Silen­cio s’in­scrit dans cette logique. Il fait son appari­tion grâce aux apports chiliens et français relat­ifs aux aides insti­tu­tion­nelles, à la cul­ture théâ­trale, à la nation­al­ité de ses mem­bres, et même aux lieux de créa­tions (cinq pièces au Chili et huit en France).

La poé­tique de ce groupe est l’héri­tière d’une généra­tion pro­mue, d’une part, par Éti­enne Decroux et sa tech­nique du mime cor­porel dra­ma­tique, et, d’autre part, par Mar­cel Marceau et les tech­niques du mime lyrique. Mais il faut soulign­er que ces influ­ences ne sont pas adop­tées lorsque le directeur du Teatro del Silen­cio arrive à Paris (1981); elles provi­en­nent du tra­vail de mime du Chilien Enrique Nois­van­der.

Ajou­tons que les moyens de pro­duc­tion et de créa­tion du Teatrodel Silen­ciosont étroite­ment liés aux enseigne­ments d’Ar­i­ane Mnouchkine, direc­trice du Théâtre du Soleil, véri­ta­ble école de vie et d’art gui a per­mis la ren­con­tre du théâtre chilien et du théâtre ‚français dans des pièces fon­da­men­tales de notre groupe.

Pour ce gui est de l’ap­par­te­nance de ses mem­bres à deux univers, il faut savoir que le groupe a gardé, tout au long de ses dix-huit ans d’ac­tiv­ité inin­ter­rompue, le même directeur et une par­tie de l’équipe gui, de retour au Chili, ont mis en place des activ­ités à San­ti­a­go, à Val­paraiso et à La Ligua. Si l’on ajoute à cela la prise en charge d’ate­liers, ani­més gra­tu­ite­ment et des­tinés à des cen­taines de jeunes acteurs, on voit bien à quel point le Teatro del Silen­cio dia­logue avec la créa­tion locale.

Quand on se penche sur la présence de ce groupe dans les cir­cuits artis­tiques, on se rend compte que ceux-ci adoptent des modal­ités de ges­tion dont les car­ac­téris­tiques sont proches de celles mis­es en place par la France dans la deux­ième par­tie du XXe siè­cle. La volon­té de décen­tralis­er la pro­duc­tion de biens cul­turels con­stitue une des préoc­cu­pa­tion de l’actuel gou­verne­ment chilien. Au Chili, le Teatro del Silen­cio, avec l’ap­pui de la Dirac1 et le Fon­dart2, a priv­ilégié le tra­vail dans des lieux périphériques, voire des espaces mar­gin­aux insti­tu­tion­nal­isés pen­dant la résis­tance : GARGANTUA (1988) et NANAQUI( 1997) voient le jour à Val­paraiso. TRANSFUSIÔN(1990) est créé à l’U­ni­ver­sité du Chili. La pièce MALASANGRE (La Rage3) ( 1991) est présen­tée au Garage de Matu­ca­ma, épi­cen­tre de la résis­tance cul­turelle à la fin des années 1980 et PURGATORIO (Pur­ga­toire) ( 2005 ), gui opère le pas­sage du théâtre de rue au théâtre en salle, est don­né au Cen­tre cul­turel Matu­cana 100, un des espaces artis­tiques les plus attrayants et les moins con­ven­tion­nels du San­ti­a­go de Chile d’au­jour­d’hui. Par­al­lèle­ment, le groupe a dévelop­pé une activ­ité artis­tique en Europe depuis 1999, dans la ville d’Au­ril­lac, avec le sou­tien de la ville, du Min­istère de la Cul­ture et de la Com­mu­ni­ca­tion et de la Direc­tion Régionale des Affaires Cul­turelles d’Au­vergne. Cette voca­tion pour la décen­tral­i­sa­tion a été ren­for­cée par une activ­ité artis­tique, depuis 1998, à la périphérie espag­nole, en Estré­madure, essen­tielle­ment avec KARLIKDANZA ( co-créa­tion de trois pièces).

Les débuts et les codes de créa­tion

L’aven­ture du Teatro del Silen­cio, comme com­pag­nie a com­mencé dans un ate­lier de théâtre ani­mé par Mauri­cio Celedón en 1986, pen­dant sa rési­dence à Val­paraiso, dans les dépen­dances de l’In­sti­tut Cul­turel chileno-français, dom le siège a été déplacé de Val­paraiso à Vifia del Mar.

Dans les dépen­dances inhab­itées de l’In­sti­tut, l’équipe de cet ate­lier, gui assur­ait des activ­ités dont la pub­lic­ité était inter­dite dans la rue et dans la presse, a con­tac­té des étu­di­ants et des artistes pro­fes­sion­nels de Val­paraiso et de San­ti­a­go. Le nom­bre de can­di­da­tures était impres­sion­nant. À la suite d’une audi­tion, une ving­taine d’artistes du monde théâ­tral, de la danse et des arts visuels ont été retenus. Après deux semaines intens­es de tra­vail, ils ont réal­isé la per­for­mance inti­t­ulée BALAYER, BALAYER, ET FINIR PAR LES BALAYER4 : une colonne de per­son­nages entière­ment habil­lés et maquil­lés en blanc sor­taient de la mai­son du poète El Moro et réal­i­saient une choré­gra­phie inspirée de l’al­pha­bet cor­porel de Decroux, à l’aide de bal­ais et de leurs corps. Ils descendaient les march­es gui mènent au pied de la Subi­da Ecuador. À l’in­térieur du chantier prévu pour l’a­gran­disse­ment du bar Agua de vida, la colonne se réu­nis­sait pour tra­vailler dans une grande mare de boue. L’e­space du pub­lic n’é­tait pas délim­ité ; c’est seule­ment l’ac­tion du groupe gui définis­sait l’e­space scénique immé­di­at. L’ar­chi­tec­ture, la ville et l’his­toire du moment com­plé­taient la propo­si­tion théâ­trale.

Deux ans après la per­for­mance, la com­pag­nie a créé GARGANTUA (1988), mimod­rame en un acte, inspiré de l’œu­vre GARGATUA et PANTAGRUEL de François Rabelais. Ce tra­vail a don­né lieu à des retrou­vailles avec Mauri­cio Celedòn et une par­tie des mem­bres de l’ate­lier dont nous avons par­lé. Ils ont décidé de met­tre en place un autre ate­lier pour 1989 avec une capac­ité d’ac­cueil de deux cents élèves.

A

rticle réservé aux abonné·es
Envie de poursuivre la lecture?

Les articles d’Alternatives Théâtrales en intégralité à partir de 5 € par mois. Abonnez-vous pour soutenir notre exigence et notre engagement.

S'abonner
Déjà abonné.e ?
Identifiez-vous pour accéder aux articles en intégralité.
Se connecter
Accès découverte 1€ - Accès à tout le site pendant 24 heures
Essayez 24h
3
Partager
auteur
Écrit par Dr Pedro Celedón Bañados
Pedro Celedón Baña­dos est his­to­rien de l’art et Pro­fesseur à laPon­ti­f­i­cia Uni­ver­si­dad Católi­ca de Chile.Plus d'info
Partagez vos réflexions...
Précédent
Suivant
Article publié
dans le numéro
Couverture du numéro 96-97 - Théâtre au Chili
#96 – 97
mai 2025

Théâtre au Chili

24 Déc 2007 — BERNARD DEBROUX: Pour commencer, peux-tu expliquer ton trajet personnel dans le paysage culturel chilien? Ernesto Ottone: Je suis fils d'exilés…

BERNARD DEBROUX : Pour com­mencer, peux-tu expli­quer ton tra­jet per­son­nel dans le paysage cul­turel chilien ? Ernesto Ottone : Je suis…

Par Bernard Debroux et Daniel Cordova
Précédent
22 Déc 2007 — IVAN-CARLOS ZAGAL: Ma motivation essentielle est la musique tout d'abord, en tant que jeune autodidacte. Ensuite, j'ai découvert, par hasard,…

IVAN-CARLOS ZAGAL : Ma moti­va­tion essen­tielle est la musique tout d’abord, en tant que jeune auto­di­dacte. Ensuite, j’ai décou­vert, par hasard, le théâtre. Je suis allé voir LE BOURGEOIS GENTIL HOMME de Molière dans une ver­sion…

Par Bernard Debroux et Daniel Cordova
La rédaction vous propose

Bonjour

Vous n'avez pas de compte?
Découvrez nos
formules d'abonnements

Mot de passe oublié ?
Mon panier
0
Ajouter un code promo
Sous-total