Emio Greco — La transmission de la danse ou le transfert de la création

Emio Greco — La transmission de la danse ou le transfert de la création

Le 16 Juil 2008

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La pra­tique quo­ti­di­enne

À une époque où se doc­u­menter et con­serv­er est acces­si­ble à presque cha­cun et fait par­tie inté­grante de notre quo­ti­di­en, de nou­velles façons et pos­si­bil­ités de doc­u­menter des formes intan­gi­bles de l’art appa­rais­sent. Inter­net, avec ses évo­lu­tions rapi­des, offre des for­mats faciles à utilis­er et à partager. Par­al­lèle­ment à l’émergence de ces nou­velles tech­nolo­gies, des ten­dances inno­vantes con­cer­nant la con­cep­tion du mou­ve­ment et du corps ont accru le besoin d’interaction entre les arts, la sci­ence et les sci­ences humaines.
C’est avec ces nou­veaux out­ils et dans ces nou­velles con­di­tions que la Danse et la con­nais­sance qu’elle incar­ne appa­rais­sent séduisantes. On s’intéresse non seule­ment aux fonc­tions psy­chologiques et physiques du danseur, mais aus­si au rit­uel pre­mier du trans­fert : le proces­sus de trans­mis­sion entre le choré­graphe et le danseur, ou de danseur à danseur. Cet intérêt, émergeant du domaine de la danse (tant de la pra­tique que de la théorie), ain­si que d’autres dis­ci­plines, offre de nou­velles pos­si­bil­ités de réflex­ion sur la Danse et sa con­di­tion éphémère.
Depuis longtemps, la Danse a été éti­quetée comme éphémère, insai­siss­able, ne lais­sant aucune trace ni pos­si­bil­ité d’auto-réverbération. Ces pos­tu­lats sont réels. La Danse ne laisse der­rière elle aucun chemin facile à retrou­ver. Mais cette con­di­tion éphémère n’est-elle pas une qual­ité inhérente à tous les arts scéniques ?
Le moment et les expéri­ences instan­ta­nées alors ressen­ties ne peu­vent être repro­duits. Les con­séquences d’une représen­ta­tion sont en fait le résul­tat de la trans­for­ma­tion. Elle repose sur un accord con­clu entre les deux par­tic­i­pants (le pub­lic et l’artiste), con­scients qu’ils abor­dent des ques­tions appar­tenant à la fois au réel et à l’irréel.
Un exa­m­en plus minu­tieux et une analyse des dif­férentes façons dont les artistes trans­met­tent leur tra­vail ouvriront de nou­velles per­spec­tives sur la sub­stance actuelle de la danse, ses tra­jec­toires et ses traces. La pra­tique quo­ti­di­enne, à tra­vers un rit­uel con­stant et répéti­tif, devient une méth­ode, un out­il péd­a­gogique des expéri­ences incar­nées.
Ces méth­odes de trans­mis­sion découlant de la pra­tique indi­vidu­elle ten­dent à représen­ter les per­spec­tives des artistes et les réflex­ions sur cette forme d’art par­ti­c­ulière. Je crois que c’est seule­ment à tra­vers leur analyse que l’on peut com­pren­dre et réfléchir au car­ac­tère unique du créa­teur, à ses choix, à ses déc­la­ra­tions et à ses idées.

Exem­ple : Emio Gre­co | PC

Depuis ses débuts, la com­pag­nie de danse Emio Gre­co | PC, basée à Ams­ter­dam, Pays-Bas, depuis 1995, s’est impliquée dans la trans­mis­sion de sa pra­tique artis­tique. L’expansion pro­gres­sive de la com­pag­nie, passée d’une col­lab­o­ra­tion entre deux créa­teurs, Emio Gre­co et Pieter C. Scholten, à une com­pag­nie de sept danseurs, a évidem­ment influ­encé ses modes de trans­mis­sion.
Par­tant de sept déc­la­ra­tions1 dans lesquelles le corps joue un rôle cen­tral, elle a dévelop­pé — par­al­lèle­ment à son tra­vail artis­tique de per­for­mances, de pub­li­ca­tions et de pro­jets de recherche — une méth­ode de pré­pa­ra­tion du corps au cours de son ate­lier Dou­ble Skin / Dou­ble Mind (litt. Dou­ble peau / Dou­ble esprit).
Cet ate­lier est né du besoin artis­tique et idéologique de décou­vrir de nou­veaux moyens de trans­for­ma­tion, où la nou­velle déf­i­ni­tion des lim­ites physiques du corps est éten­due à des états men­taux défi­nis. Des mots, des sons et des direc­tions de mou­ve­ment spé­ci­fiques sont util­isés dans l’organisation de l’atelier, favorisant sa trans­mis­sion.
Des exer­ci­ces de res­pi­ra­tion visant l’expansion à l’extrême du corps, des rebonds et des sauts de longue durée, des change­ments de rythme et des moments figés sont autant d’exemples des méth­odes util­isées pour la trans­mis­sion et sus­ci­tent une prise de con­science aiguë du corps intime. C’est dans ces cir­con­stances que le danseur peut explor­er et créer des vocab­u­laires de mou­ve­ments qui nais­sent d’impulsions incon­nues ou moins con­trôlées.
La dernière par­tie de l’atelier, inti­t­ulée Trans­fert, com­bine pré­pa­ra­tion et répéti­tion. Des phras­es com­posées de plusieurs mou­ve­ments sont intro­duites par­mi les autres exer­ci­ces, créant de nou­velles approches des phras­es et struc­tures de danse con­nues.
Cette approche ne relève pas d’un choix arbi­traire. Elle pro­longe une recherche réfléchie dans laque­lle l’artiste trans­met ce qu’il/elle croit être essen­tiel pour com­pren­dre et réalis­er l’œuvre. La méth­ode de trans­mis­sion de Dou­ble Skin / Dou­ble Mind a été mise au point et partagée au sein de la com­pag­nie, représen­tant la philoso­phie du tra­vail créatif, où l’on explore les extrêmes, la méta­mor­phose, la vul­néra­bil­ité et la sim­plic­ité à l’intérieur du corps.

Com­pa­ny in the School (La com­pag­nie à l’AHK)

En 2005, la com­pag­nie Emio Gre­co | PC était artiste en rési­dence au départe­ment de danse de la The­ater­school d’Amsterdam, à l’initiative du groupe de recherche Art prac­tice and devel­op­ment de la Ams­ter­damse Hogeschool voor Kun­sten (AHK, École supérieure des Arts d’Amsterdam). Cet échange spé­ci­fique témoignait d’un besoin partagé par la com­mu­nauté des danseurs d’amener l’enseignement à être à l’affût de ce qui se passe hors de ses murs insti­tu­tion­nels, à la recherche de la con­nais­sance créée par la pra­tique artis­tique quo­ti­di­enne. Dans le même temps, les artistes s’appuient sur les écoles (ou créent la leur) où peu­vent avoir lieu une réflex­ion et une analyse de leurs méth­odes de trans­mis­sion.
La pub­li­ca­tion COMPANY IN THE SCHOOL2 rap­pelle les dif­férentes activ­ités pro­posées par la com­pag­nie durant cette rési­dence. Le terme Trans­fert a été adop­té comme mot-clé car il englobait les ques­tions de trans­mis­sion et de con­ser­va­tion de la danse.
La reprise ci-dessous des sept déc­la­ra­tions for­mulées par Emio Gre­co et Pieter C. Scholten, et con­signées par Ingrid van Schi­jn­del, ne con­stitue pas une réponse à ces ques­tions mais une trace d’une expéri­ence incar­née. Ils sont un témoignage écrit, une représen­ta­tion de ce qui pour­rait se pro­duire lors de la fusion des pra­tiques de créa­tion et de for­ma­tion.

Dépass­er le par­a­digme
L’hésitation à con­cevoir, décrire ou même admet­tre une tech­nique a été inspirée par un préal­able jugé essen­tiel par la com­pag­nie : l’expérience réelle par le corps afin de trou­ver sa pro­pre forme. Par con­séquent, la forme ne peut par essence être trans­mise comme une tech­nique ou une méth­ode affranchie du corps.

Artic­u­la­tion
L’articulation des mou­ve­ments du corps dans toutes ses con­tra­dic­tions doit être con­sid­érée davan­tage comme l’apprentissage d’un nou­veau lan­gage que comme le trans­fert d’une tech­nique. La recherche de mots nou­veaux pour approcher de plus près la réal­ité de ce corps com­mence par un rejet des mots anciens et de leur sig­ni­fi­ca­tion éculée. Le lan­gage suit une tra­jec­toire par­al­lèle à celle d’un corps qui s’articule avec pré­cau­tion ; il est con­fron­té à la con­tra­dic­tion, aux doutes intimes et par­fois divague dans toute sa curiosité.

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Écrit par Bertha Bermudez
Bertha Bermudez Pas­cual a été lau­réate du Prix de Lau­sanne en 1992, après ses études au stu­dio de...Plus d'info
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