JE NE peux dire qu’il n’y a pas de différence entre l’École et la Scène. C’est l’École qui est première. L’École est le plus beau théâtre du monde ; je le dis comme Éluard disait que le plus beau choix de poèmes… car l’École est un théâtre libre, exempt des contraintes de toute production, et surtout de tout accord avec l’opinion courante. On n’a pas à chercher si on est accepté par le goût public.
Liberté de l’École : le monde ne pèse pas sur elle. Inversement, si l’École se laisse envahir par la conscience de l’extérieur, si elle devient un lieu, au sens propre, mondain, elle est perdue… L’École est pure — bien qu’on transporte, il est vrai, tout le monde avec soi ; on peut s’y livrer sans contrainte…
L’École, je la vois toujours, quand j’y pense, comme un cercle : c’est le cercle de l’attention… Il n’y a que le cercle ; il peut durer le temps qu’on veut, les élèves y sont mêlés, débutants ou aguerris. Leurs regards convergent vers le centre, où on joue. Le maître est assis dans le cercle ; son rôle n’est pas de dire comment il faut jouer, mais d’entraîner le cercle à déchiffrer les signes qui sont donnés au centre. Et naturellement on circule sans cesse du centre à la circonférence. La formation de l’acteur est faite, aussi, d’intelligence de soi-même…
Maître ou professeur. Je préfère ce vieux mot de maître. Contrairement à l’apparence, il est le plus modeste. De quoi s’agit-il, enfin ? Des artistes très jeunes se rassemblent autour d’un plus vieux — plus vieux, ou aîné. Il les entraîne dans une aventure singulière et eux, en retour, lui font effectivement son théâtre (comme les élèves du peintre, dit-on, dans l’Atelier), en jouant dans les ouvrages qu’il monte, et, plus encore, en apportant leur invention à la période qu’il traverse.
L’enseignement n’a ni commencement ni fin. Nulle matière ne peut être préalable à une autre. La pédagogie n’est faite que de comparaison.
L’École du théâtre, c’est l’École de l’acteur. Au centre, au milieu du cercle de l’attention, il y a l’acteur. Tout est pour lui, tout vient de lui. À tour de rôle on sort du cercle : acteur ou spectateur, aveugle ou voyant. Le maître est là pour élucider en public les figures du jeu, demander qu’on les refasse, qu’on les critique et les varie.

