*. Cf. la pièce d’Heiner Müller SOMMEIL RÊVE CRI DE LESSING
Au commencement était… la verve de Raoul Ruiz. Une proposition ironique – voire même un private joke – faite par le cinéaste en réponse à notre invitation de (re)venir diriger un stage pour le vingt-cinquième – et peut-être ultime – anniversaire du Cifas. Cela s’est passé à Rome, fin 2007, lors d’un festival de cinéma pour lequel le Cifas avait été sollicité en tant que producteur de son film Vertige de la page blanche1. Raoul avait accepté notre offre sur-le-champ et, mis au courant des turbulences qui menaçaient le Cifas, il avait dans l’instant proposé le thème de l’apocalypse2.
Cette suggestion aussi passionnante qu’appropriée nous avait mis en joie et nous avons aussitôt pensé à des actions qui pouvaient s’inscrire dans cette thématique qui deviendrait dès lors celle de ce vingt-cinquième anniversaire.
Bien que l’atelier dirigé par Raoul Ruiz, qui devait se dérouler en juillet 2008, ait dû céder la place à des impératifs de tournage retardé, l’idée continuait son petit bonhomme de chemin dans un Cifas proche de sa fin. D’autant plus que l’apocalypse apparaît comme omniprésente dans l’actualité théâtrale – citons au hasard :
Oxygène et Genèse n°2, les pièces de Vyrypaev montées par Galin Stoev, tournent avec un succès inouï dans le monde entier. Claude Schmitz, qui nous a conviés avec Amerika aux traumatismes de l’après 11 septembre et, suite à deux nouvelles créations au Kunstenfestivaldesarts cette année, s’engage dans un travail expérimental, à l’invitation de Jacques Delcuvellerie, sur le nouveau projet de ce dernier : Fare the Well Tovaritch Homo Sapiens, dont le titre est significatif à maints égards. Le metteur en scène du Groupov, avec Rwanda 94 et Anathème, lance des interrogations sur les croyances meurtrières, qui appellent à l’autodestruction des peuples…
Ce printemps, à Berlin, une jeune troupe aux Sophiensaele s’est laissée inspirer par le roman et la série apocalyptiques Left Behind (en français Les Survivants de l’Apocalypse) – un best-seller vendu à des millions d’exemplaires aux États-Unis – pour nous livrer un regard caustique sur l’annonce évangélique de la fin des temps dans un spectacle intitulé Die Zeit die bleibt / Le Temps qui reste.
Et, pour finir, en automne 2008 aura lieu, également à Berlin, le grand festival européen Spielzeit Europa sous le thème Das Ende, ein Anfang / La Fin, un Début…
D’autres arts sont concernés.
À Paris, à la Cité de la Musique, tout un cycle musical est consacré à la Bible et à l’apocalypse.
Cet automne, sur Arte, commence une nouvelle série d’émissions intitulée Apocalypse, sous la direction de Gérard Mordillat et Jérôme Prieur – troisième opus de leur enquête sur le christianisme.
Pourquoi les artistes interrogent-ils – avec la complicité du public – le thème de l’apocalypse, ou plutôt des apocalypses ? Car laissons-là l’eschatologie et prenons le sens aujourd’hui devenu courant : la fin des temps, la catastrophe finale, en oubliant la « révélation »3.
Certes, pour le Cifas, il s’agit bien de la fin des temps, puisque – depuis cette journée de colloque – nous avons appris que cette institution si nécessaire aux professionnels du spectacle allait être mise en liquidation à la fin de cette année.
Mais les autres ? L’an deux mille est passé depuis bientôt une décennie ; il y a eu bien sûr le 11 septembre 2001 qui, pour certains, représentait la fin d’une époque – et sans doute ceux-là avaient-ils raison, du point de vue des droits démocratiques et, donc, sociaux. Est-ce la disparition progressive de ces acquis du XXᵉ siècle qui agite les artistes ? On jette le bébé avec l’eau du bain : vouloir rayer le XXᵉ siècle de notre carte mémoire, à cause du nazisme et du stalinisme, à cause de l’horreur commise par ces dictatures et bien d’autres, ne devrait pas mener à nier toutes les conquêtes sociales et les libertés humaines qui ont été obtenues de haute lutte au cours de ce dernier siècle. Et pourtant…
Oui, les artistes sont certainement sensibles à cette triste évolution, pour la plupart. Néanmoins, je ne pense pas que ce soit là le cœur de leur problématique – ou devrais-je dire de leur angoisse ?

