Bergman à la peau de serpent

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Portrait

Bergman à la peau de serpent

Le 13 Avr 2009
Alice Millet-Dussin, Denis Loubaton, Serge Pauthe, Mélanie Couillaud, Marc Berman, Emmanuelle Lafon, Mireille Roussel dans S'AGITE ET SE PAVANE d'Ingmar Bergman, mise en scène Célie Pauthe, Nouveau théâtre de Montreuil CDN, 2008. Photo Brigitte Enguerand.
Alice Millet-Dussin, Denis Loubaton, Serge Pauthe, Mélanie Couillaud, Marc Berman, Emmanuelle Lafon, Mireille Roussel dans S'AGITE ET SE PAVANE d'Ingmar Bergman, mise en scène Célie Pauthe, Nouveau théâtre de Montreuil CDN, 2008. Photo Brigitte Enguerand.

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Alice Millet-Dussin, Denis Loubaton, Serge Pauthe, Mélanie Couillaud, Marc Berman, Emmanuelle Lafon, Mireille Roussel dans S'AGITE ET SE PAVANE d'Ingmar Bergman, mise en scène Célie Pauthe, Nouveau théâtre de Montreuil CDN, 2008. Photo Brigitte Enguerand.
Alice Millet-Dussin, Denis Loubaton, Serge Pauthe, Mélanie Couillaud, Marc Berman, Emmanuelle Lafon, Mireille Roussel dans S'AGITE ET SE PAVANE d'Ingmar Bergman, mise en scène Célie Pauthe, Nouveau théâtre de Montreuil CDN, 2008. Photo Brigitte Enguerand.
Article publié pour le numéro
Couverture du numéro 101 - Extérieur Cinéma - théâtre national de Nice
101

« Après la répéti­tion est devenu un film de télévi­sion par hasard, tout comme fut présen­té, par hasard, sur scène Un dernier cri. Mon inten­tion c’est aus­si que S’agite et se pavane soit joué au théâtre. (…) Le cinquième acte évoque mes infati­ga­bles com­pagnons : le théâtre, la scène, les comé­di­ens et le ciné­ma, les ciné­mas, l’art, la tech­nique du ciné­ma. Ils m’accompagnent depuis que j’ai con­stru­it mon pre­mier théâtre de poupées, sous la table peinte en blanc de notre cham­bre d’enfants et depuis que, quelques années plus tard, je me suis retiré dans l’immense pen­derie avec ma petite machine en tôle et sa maniv­elle reliée à une roue den­tée et une croix de Malte, sa lentille, sa lampe à pét­role et son bout de film sépia. »

Bergman

Bergman entre : théâtre et ciné­ma, hasard et plaisir…

Tout ou beau­coup des thèmes récur­rents dans l’œuvre de Bergman sont con­tenus dans ces quelques lignes du pro­logue – en forme de mono­logue –, du Cinquième acte, pub­lié en 1994 : l’amour, la mort et l’art, la fic­tion et la réal­ité, la folie et la créa­tion , la puni­tion et la peur de la puni­tion, la lib­erté, et son insa­tiable fas­ci­na­tion pour les acteurs. 

Le Cinquième Acte est un recueil de pièces écrites par Bergman sans visée spé­ci­fique, dit-il.  S’il a lui-même d’abord tourné Après la répéti­tion pour la télévi­sion sué­doise, si Un dernier cri a été mon­té au théâtre avant d’être tourné pour la télévi­sion, et si S’agite et se pavane a con­nu une ver­sion filmée pour la télévi­sion, c’est, selon Bergman, par pur hasard… « Mes textes sont écrits sans être des­tinés à tel ou tel médi­um, à peu près comme les sonates pour vio­lon­celle de Bach (sans aller plus loin dans la com­para­i­son) : elles peu­vent être jouées par un quatuor à cordes ou à vent, à la gui­tare, à l’orgue ou au piano. (…) J’ai écrit comme j’ai eu l’habitude d’écrire depuis plus de cinquante ans – cela ressem­ble à du théâtre mais peut aus­si bien être du ciné­ma, de la télévi­sion ou sim­ple­ment de la lec­ture. » Ce n’est évidem­ment pas seule­ment le hasard qui guidait les pro­duc­tions de Bergman. Dans un entre­tien pour les Cahiers du ciné­ma, datant de 1998, l’auteur-réalisateur-metteur en scène déjà fort con­nu, âgé de 80 ans, recon­nais­sait : « Seul me guide le principe de plaisir » : celui d’écrire des his­toires sans souci du médi­um, pour le bon­heur de les voir incar­nées par des acteurs, pour celui de tra­vailler avec les extra­or­di­naires hyp­ocrites extraver­tis qu’il affec­tion­nait tant.

Bergman abor­dait sou­vent cette ques­tion de l’hésitation – ou plutôt du bal­ance­ment volontaire‑, entre les dif­férents formes sus­cep­ti­bles de présen­ter son art, dis­ant volon­tiers que  le théâtre est comme une épouse et le ciné­ma comme une maîtresse. S’agite et se pavane offre une preuve éton­nante de ce lou­voiement amoureux. Et comme Bergman aime pas­sion­né­ment les deux (le théâtre et le ciné­ma, la femme et la maîtresse), il ne choisit pas : il prend tout. S’agite est l’histoire de l’inventeur d’une nou­velle forme de ciné­ma révo­lu­tion­naire, le ciné­ma par­lant et vivant. C’est à vrai dire une idée géniale : tan­dis que défile le film muet, des comé­di­ens placés der­rière l’écran pronon­cent au micro les répliques des acteurs.  

L’ingénieur génial qui a eu cette idée, Carl Akerblom, (en référence au véri­ta­ble oncle Carl que Bergman aimait tant, l’inventeur fou, son préféré)… parvient à la réalis­er avec l’aide de sa jeune fiancée Pauline, et du pro­fesseur ren­con­tré à l’asile, Vogler. Cette pièce en trois actes com­mence à l’hôpital psy­chi­a­trique (où naît la géniale idée), et se clôt sur la scène de théâtre du local de la Ligue de la Tem­pérance à Granas (où ont lieu les pro­jec­tions du pre­mier film vivant et par­lant, inti­t­ulé La Joie de la fille de la joie). Un soir, un début d’incendie se déclare, les plombs saut­ent, et il faut arrêter la pro­jec­tion. Nous, spec­ta­teurs réels, voyons cette scène comme si nous étions der­rière l’écran : en fond de scène, l’écran de pro­jec­tion der­rière lequel on imag­ine  les spec­ta­teurs de ce film ; de la salle, nous voyons le film à l’envers. Après l’incident tech­nique qui a plongé tout le plateau dans le noir, les spec­ta­teurs du film sont rap­a­triés der­rière l’écran (donc, à notre vue main­tenant) et invités à voir la suite de la représen­ta­tion en direct… The show must go on, sans élec­tric­ité. A la lumière des bou­gies, le petit groupe des spec­ta­teurs assiste à La Joie de la fille de joie dans une mise en scène d’une grande sim­plic­ité, dans une ver­sion archaïque et épurée. Très loin de la tech­nique ciné­matographique, tout près des orig­ines du théâtre. Cette pièce-là a l’air d’une céré­monie, d’un rit­uel laïc et partagé. Les spec­ta­teurs par­ticipent, com­mentent, boivent un verre à l’entracte. La con­fu­sion a régné dans le pas­sage du ciné­ma au théâtre, et règne encore chaleureuse­ment sur ce plateau de théâtre : nous, spec­ta­teurs réels, assis­tons à la représen­ta­tion de S’agite et se pavane, qui con­tient en son sein la représen­ta­tion de La Joie de la fille de joie – elle même passée du ciné­ma au théâtre.

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Célie Pauthe
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Sylvie Martin-Lahmani
Professeure associée à la Sorbonne Nouvelle, Sylvie Martin-Lahmani s’intéresse à toutes les formes scéniques contemporaines....Plus d'info
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