ANDREEA DUMITRU : À première vue, nous avons un paysage journalistique riche et varié. Des importantes revues de culture paraissent avec des pages dédiées au théâtre, des périodiques spécialisés in print (TEATRUL AZI, SCENA.RO, MAN.IN.FEST) ou on-line (LITERNET.RO, ARTACT MAGAZINE.RO, YORRICK.RO). Et ceci, en dépit de la pauvreté et l’isolement du théâtre roumain, sur fond de crise économique. Comment expliquez-vous ce paradoxe ?
Florica Ichim : C’est un paradoxe qui nous est spécifique. Qui aurait pu croire qu’en Roumanie, sous Ceausescu, le théâtre pouvait être si effervescent ! Nous étions bien enfermés derrière les frontières – mais ici on faisait du théâtre, le théâtre disait des vérités, elles étaient consignées…
Ces paradoxes-là, on les vit sans cesse sans qu’on s’en rende compte. Ce qui est grave, c’est que les revues qui paraissent maintenant n’ont plus d’audience auprès des spectateurs. Et le phénomène peut s’expliquer. En tant que personne qui a étudié la période d’entre les deux guerres (quand il y avait une éducation sérieuse, une culture bien assimilée) et qui a travaillé dans la presse après 1968, je peux dire qu’il y avait toujours, dans les grands journaux, la page culturelle, strictement déterminée. En Roumanie il y avait un quotidien de théâtre ! Avec un grand tirage. Durant trente ans, les gens ont pu acheter RAMPA, six jours par semaine ! Ça crée un public intéressé par la parole écrite, par le commentaire. Ensuite, les grands écrivains, les intellectuels de prestige de la Roumanie de l’époque écrivaient des chroniques de théâtre. Maintenant, elle a disparu des journaux. Le critique voudrait avoir de l’influence, de l’autorité, mais il est confronté à l’absence de diffusion de sa parole. Les revues de cultures n’ont pas de diffusion, le critique n’a pas d’accès aux journaux de grand tirage, il ne passe jamais dans les émissions de la télévision commerciale, et dans celles de la télévision nationale, les émissions de commentaire spécialisé ont disparu depuis longtemps.
A. D.: Comment était-ce au début des années 1990 ? Vous étiez journaliste à ROMANIA LIBERA, le plus important quotidien d’opposition.
F. I.: Dans les premières années après la Révolution, j’allais au théâtre uniquement en me sauvant de la rédaction, puis j’y retournais très vite. Avec LA TRILOGIE ANTIQUE d’Andrei Serban et le revirement du Théâtre National, il y a eu comme un dégrisement… C’étaient les années où les meilleurs metteurs en scène récupéraient leurs rêves. Je suis revenue moi aussi à la critique, mais de manière tout aussi chaotique que ce qui se passait à l’intérieur du théâtre.
A. D.: Comment s’est développée la pensée théâtrale dans la première décennie de notre liberté ?