ALTERNATIVES THÉÂTRALES : Comment avez-vous découvert l’œuvre de Jean-Marie Piemme ?
Philippe Sireuil : Quand en 1986, Jean-Marie Piemme écrit NEIGE EN DÉCEMBRE sa, première pièce, voilà déjà huit années qu’il collabore de façon très attentive et régulière en tant que dramaturge à l’ensemble des spectacles que je mets en scène tantôt au théâtre, tantôt à l’opéra. Alors qu’il était mon premier spectateur, je deviens tout naturellement son premier lecteur. La lecture de cette pièce achevée, il allait de soi que si je n’arrivais pas à mettre en scène la pièce moi-même, j’aiderais dans la mesure de mes moyens à la mise sur pied de la production. Le théâtre de la Place, sous la férule de Jacques Deck et dans une mise en scène de François Beukelaers a assuré la création de NEIGE EN DÉCEMBRE.
Je pensais et pense toujours qu’il n’y pas d’écriture dramatique qui puisse se développer, s’affirmer, trouver sa pertinence et sa singularité sans être en contact constant avec le plateau, les acteurs et le public ; pour cela, il faut du temps, de l’espace aussi et c’est ainsi que durant cinq années, j’ai invité Jean-Marie Piemme (j’étais alors responsable de la programmation artistique du Théâtre Varia, outre mon travail de metteur en scène) à l’affiche de nos saisons, soit en invitant des spectacles dont je ne partageais pas forcément le point de vue (SANS MENTIR mis en scène par Bernard Debroux, LES YEUX INUTILES mis en scène par
Janine Godinas ), soit en portant moi- même à la scène ses pièces ( comme COMMERCE GOURMAND ou LE BADGE DE LÉNINE).Cette constance, cette régularité opiniâtre ont sans doute aidé à la maturation de son travail d’écrivain, elles lui ont donné en tour cas le goût et la force de poursuivre.
A. T. : Voyez-vous se dessiner une évolution dans l’œuvre de Jean-Marie Piemme ?
P. S.: L’œuvre de Piemme est traversée par des thématiques récurrentes : la trahison, notamment, celle de l’idéal, celle de l’amour ou celle de soi-même ; le flétrissement des rapports humains sous le double joug de l’histoire et de l’économie ; la bouffonnerie des illusions et des utopies, la vulgarité du pouvoir, le cynisme de nos comportements contemporains ; mais il est évident qu’entre sa première pièce et celle que j’ai mise en scène cette saison au théâtre Varia, CAFÉ DES PATRIOTES il, y a une grande évolution caractérisée avant tout par une écoute de plus en plus attentive des acteurs, écoute qui l’a conduit vers des formes et des manières d’écrire qu’il aurait refusées à ses débuts.
Son écriture est devenue moins corsetée — il accepte aujourd’hui que ses personnages lui échappent et je pense qu’il attend toujours secrètement que les acteurs les lui révèlent ; elle s’est frottée à l’épreuve de la banalité et du quotidien ; elle a affirmé ce qu’il faut bien appeler un style ; écrire lui est toujours autant nécessaire — plus que jamais sans doute ! — mais ce n’est plus un obstacle qui l’enferme, mais bien un tremplin qui le faire rebondir là où il ne pensait pas aller ; son écriture est aussi plus provocante, plus ludique aussi.
Jean-Marie Piemme sait que le théâtre et l’écriture dramatique se doivent d’inventer « des formes nouvelles », mais ce n’est plus aujourd’hui qu’un aspect, qu’un souci et qu’un désir parmi d’autres de son travail d’écrivain.
Son adaptation à la réalité et aux contingences du plateau l’amènent ainsi presque à « formater » le registre narratif et langagier utilisé en fonction du projet de production : CAFÉ DES PATRIOTES a peu à voir avec 1953 par exemple roue comme TORÉADORS (que j’ai mis en scène au Théâtre Le Public au cours de la saison 98 – 99) est très éloigné de PIÈCES D’IDENTITÉ. Je dirais volontiers qu’avec Jean-Marie Piemme nous avons affaire à un écrivain-caméléon capable de prendre des couleurs différentes, mais toujours sur le qui-vive, à l’affût, sur la même branche : celle d’un théâtre qui ne culpabilise pas d’être devenu un « art minoritaire », mais qui ne se complaît pas non plus à se réfugier narcissiquement dans la contemplation désolée de lui même.
Propos recueillis retranscrits par Julie Birmant.