Michat Smolis : Un groupe d’acteurs fidèles à Krzysztof Warlikowski a émergé dans les premières années du travail de ce metteur en scène au théâtre Rozmaitości de Varsovie. Vous vous êtes joint à cette troupe seulement en 2003, durant le travail sur La Tempête de Shakespeare et le spectacle Purifiés de Sarah Kane, spectacle charnière pour l’appréciation et la réception de ce théâtre. Comment vous êtes-vous retrouvé là-bas ?
Zygmunt Malanowicz : Je suis venu dans une troupe déjà formée. Au début, il m’a semblé qu’il y régnait une certaine concurrence. Mais c’était une observation erronée. Mes camarades avaient déjà rencontré leurs premiers succès, mais au prix de beaucoup de sueur, de larmes et d’énervements. Le metteur en scène et les acteurs étaient liés par une langue commune que je devais d’abord dominer. Je suis, d’après mon acte de naissance, le plus âgé de cette troupe, mais je ne me conçois pas du tout de cette manière et j’ai l’impression que, pour mes camarades plus jeunes, cela non plus n’a pas d’importance.
M.S.: Vous êtes-vous demandé pourquoi Warlikowski avait besoin de vous dans son théâtre ?
Z.M.: Sans doute a‑t-il besoin de ma structure psychique ? Ou peut-être apprécie-t-il tout simplement que je sois un homme qui, malgré son âge, pense encore ? Et, puisque je pense encore, il m’a trouvé une place dans sa troupe. Je joue dans chaque spectacle, bien que « jouer » ne soit pas le terme adéquat pour désigner ce que je fais. Je prends part, je figure, je participe. Je participe volontiers au théâtre de Warlikowski que je considère comme un évènement. Je ne reçois pas de tâches définies de À à Z à l’exception du rôle de Dulce dans Krum de Hanoch Levin.
M.S.: Vous avez la plus grande expérience qui peut être utile dans ce travail de troupe…
Z.M.: Mais elle peut être aussi complètement inadéquate et c’est sans doute justement le cas ici.
M.S.: Complètement inadéquate ? Warlikowski, dans son travail avec l’acteur, se réfère à sa biographie, à ce qu’il a vécu. Il ne connaît aucun tabou, ni physique, ni psychique. Dans l’une de vos interviews, vous avez avoué que la guerre fut le plus grand traumatisme de votre enfance. Dans le travail sur les spectacles successifs, Le Dibbouk, et dernièrement (A)pollonia, les souvenirs refoulés sont-ils revenus ?
Z.M.: Warlikowski ne m’a obligé à rien. En fait, il ne contraint jamais les acteurs à quoi que ce soit. Le Dibbouk est pour moi le manifeste de Warlikowski sur l’Holocauste dans lequel le metteur en scène a lié le drame classique de An-ski, correspondant à nos Ajeux, au récit contemporain de Hanna Krall. Chez Warlikowski, on ne joue pas des personnages dans l’acceptation traditionnelle de ce mot. « Le personnage » est une forme vide, un contour sans circulation sanguine.
Je lui oppose « la personne » qui porte en elle un curriculum, une pensée, des points de vue, des émotions. Krzysztof se concentre toujours sur l’individu, sur son état psychique et émotionnel qui doit trouver son expression sur la scène. La tâche de l’acteur de Warlikowski, c’est de trouver comment on peut encore compléter l’idée fondamentale de la représentation. On est loin dans ce théâtre de la création de « personnages » et des répertoires auxquels ils sont liés. Nous vivons aujourd’hui dans un monde complètement différent et très cruel. Nous essayons de le raconter
au théâtre.
M.S.: Le monde est plus cruel que celui présent chez Shakespeare ou dans le drame antique ?
Z.M.: Le monde est le même, ce sont les moyens de coercition et les instruments pour tuer qui ont changé.
M.S.: Avez-vous accepté Warlikowski dès votre première collaboration ?
Z.M.: Au travail, je tente de me concentrer sur ma tâche. Au début, je dois me poser quelques questions, réfléchir. Je ne rejette rien d’emblée, ce serait trop simple. Je cherche toujours des raisons, un sens. Chez Warlikowski, l’acteur est libre et la liberté au théâtre, c’est tout simplement la pensée.
M.S.: Lors de votre travail sur Le Dibbouk vous aviez parlé des difficultés liées à la scène avec Stanistawa Celiñska, où vos actes n’ont aucun rapport avec les paroles que vous formulez. Le metteur en scène ne l’avait-il pas expliqué à l’acteur ?
Z.M.: Il l’avait expliqué, mais je ne le comprenais toujours pas. Krzysztof n’aime pas les choses simples, clairement exposées. Dans la synagogue, deux hommes discutent théoriquement au sujet de magnifiques parokhets.
Et au fond, au second plan se déroule une scène entre les deux héros principaux. Mais notre texte, à moi et à Celińska, ne traite pas du tout de parokhet. Quel est donc le but de notre rencontre ? Nous ne le savons pas et nous tentons de le comprendre. Nous n’avons pas non plus conscience de l’image qui apparaît aux yeux des spectateurs puisque nous sommes au milieu et ne pouvons pas la voir. Nous devons tout simplement faire confiance au metteur en scène.
M.S.: Warlikowski ne donne pas à l’acteur d’indications concrètes. À quoi ressemble donc sa méthode de direction des acteurs ?