LE DÉBUT est une expérience.Un acte fondateur de soi. Mais en même temps, surtout dans les arts du vivant, il s’inscrit dans une logique de production, il se rattache à une institution, il se situe au croisement d’un geste artistique et d’un déterminisme politique. Au théâtre, personne ne débute seul.
À l’origine, l’initiative de l’Académie Expérimentale des Théâtres, en collaboration avec le théâtre de la Cité Universitaire, a envisagé la question du début sur le mode d’une pensée structurée avec des questions préalables et des réponses attendues. Des réunions préliminaires ont permis de problématiser et d’esquisser un schéma en quatre parties, schéma repris ici de même que les interrogations de départ. Mais, pour ne pas ressusciter le modèle des metteurs en scène de jadis trop confants dans leur plan initial, prêts à l’imposer à tout prix, nous avons considéré qu’il était plus juste d’épouser le cours des témoignages, de sauvegarder le concret de l’expérience, indispensables matériaux pour une analyse future. Et ainsi, en offrant l’occasion à tant de metteurs en scène de prendre la parole, nous fûmes confrontés aux récits de parcours. Au lieu de fournir une pensée close, les jeunes artistes se sont livrés… afin que d’autres dégagent des constantes ou découvrent des symptômes. C’est La leçon qu’ils ont dispensée : la leçon du concret. Non pas un concret muet mais gros d’une pensée implicite. Les repères personnels dont nous sauvegardons maintenant la trace ont entraîné, par leur richesse, le débordement du plan a priori conçu pour faire état de la naissance d’une vocation et des avatars que son accomplissement implique. Ces « confessions d’artiste » ainsi réunies dressent le paysage d’un début pluriel où à l’investissement personnel se joint la réalité d’un territoire culture. Motif qui nous a conduit à livrer dans le numéro aussi bien le nom des compagnies que les lieux où elles exercent. Metteurs en scène, compagnies, lieux. Ainsi la réflexion sur le début, avant d’être théorique, acquiert une dimension locale et politique. Les metteurs en scène laissent pourtant apercevoir la stratégie adoptée afin de parvenir à un espace public, à cette rencontre qui légitime l’amorce du processus. Ces esquisses de parcours, si elles ont pu être tracées, c’est aussi parce qu’un contexte de confiance leur a permis de se formuler et ainsi de se présenter comme des indices pour l’état du jeune théâtre en France dans la dernière décennie du siècle.
Au nom d’un désir de continuité, nous avons convié des metteurs en scène dont le travail s’est développé dans le temps et a fini par affirmer des identités fortes. Ils n’appartiennent pas à la même famille et ne défendent pas la même esthétique. De cette pluralité des rapports, il s’agissait de rendre compte à travers leurs témoignages à même d’évoquer leur début comme de dessiner le chemin emprunté. Et pour cela des complices familiers de leur œuvre les ont accompagnés. Ainsi les matériaux : fournis permettent de joindre les débuts d’hier avec les débuts d’aujourd’hui.
Dans le même esprit Alternatives théâtrales a élargi la sphère des participants grâce à des entretiens avec de jeunes metteurs en scène ou des figures emblématiques du théâtre belge. Le contexte était différent — et ceci n’est pas sans importance pour une parole — mais la perspective restait commune.
Nous avons envisagé un prêt-à-porter théorique et, au terme du parcours, nous fournissons l’humus d’une terre à explorer. Aux autres de dégager des conclusions et des constats ! À travers cet ensemble prismatique, ce qui se dégage c’est la réalité multiple, contradictoire, diverse du verbe Débuter. Pour les jeunes, à l’heure des aveux, il se dérobe à la systématisation, et, pour les aînés, à l’heure des souvenirs il s’y dérobe aussi. Car au fond, par-dessus tout, le début entend sauvegarder son unicité Celle d’un artiste et d’une équipe qui s’engagent.. c’est pourquoi ils parleront toujours d’un désir plus que d’une analyse, d’une pratique plus que d’une philosophie.
Ces récits du début se constituent en matériaux pour une histoire à venir… et la publication qui les recueille prend le statut d’un lever de rideau utile aux chercheurs en manque de documents pour brosser le paysage du théâtre, art réfractaire aux archives. Son examen se nourrit de la mémoire des êtres plus que de toute autre preuve. Nous voulions trouver la théorie, et nous avons découvert la vie. Et en fin de compte, notre mérite, s’il y en a un, fut d’avoir su l’aider à s’exprimer et ensuite de l’entendre. Et ainsi au questionnement sur le Début succéda le grouillement contradictoire des débuts.



