25 mars 2001
Me suis réveillé à six heures moins le quart puisqu’on est passé à l’heure de l’été. Angoisse légère. Toujours le matin. Ne veux pas sortir de ma solitude et de mes retranchements, aussi fragiles qu’ils soient. Veux rester ici. Ne veux pas voir quelqu’un d’autre. Parlé avec C. qui m’a appelé de Paris. Alors je me suis rendu compte de ma tristesse et de ma colère.Elle m’a demandé si elle me manquait. Je lui ai dit que non. J’ai dit que je ne voulais pas lui parler. Elle m’a rappelé. Oui, pendant notre première conversation elle m’a demandé si je l’aimais. Je ne voulais pas répondre. Quand elle a rappelé, elle m’a dit que je lui manquais, quelle m’aimait, quelle est malheureuse et inquiète tout le temps. Je le sais. Mais je ne sais pas quoi faire. Me suis promené au Södra Teatern. Lecture avec Kristi, Micke, Per Burell, Annicka Hallin, Etienne Glaser, Jessica Zandén et Johan Rabeus. C’était une bonne lecture. On a ri énormément. Je me demande si je dois vraiment laisser tous les personnages, sauf un, mourir à la fin. Je l’ai écrit ainsi, mais cela me paraît trop facile. Comme si je me défilais. Peut-être qu’ils sont morts déjà dès le début et que je ne dois pas faire comme si c’était une blague, pas les laisser plaisanter, comme ils font maintenant. Il faut que j’approfondisse les rôles de femmes et que je montre des conflits plus importants. À présent ce n’est qu’un adieu, des morts silencieux qui avancent d’un pas. En plus, les motifs juifs sont trop faibles et trop généraux. Faut qu’ils soient plus forts et plus sérieux. Mais ce sont des Juifs suédois. C’est quand même une très bonne pièce. Riche et complexe. Qui change sans arrêt. Je pense que je pourrais la développer sans difficultés. Beaucoup de choses me semblaient très bonnes et efficaces. Suis allé avec Ulrika, Micke et Kristi au Muggen, un café sombre et bourré de monde sur Gôtgatan. Kristi a pris un café au lait et un sandwich tomates fromage. Micke et moi avons partagé un sandwich au thon. Tous les cafés de la ville servent les mêmes sandwiches. Ils changent de menu en même temps, comme les fossés changent de fleurs sur l’île de Gotland. J’ai renversé mon café par terre. Très bruyant. Les gens se parlent en hurlant et ils trouvent ça normal. On s’est séparé devant le café. Je l’ai prise dans mes bras et je l’ai embrassée. Elle ne s’est pas retournée quand elle montait Gôtgatan avec Micke. Elle m’a regardé très longtemps avant de partir. C’est peut-être la dernière fois que je la vois. Pour elle je suis probablement une sécurité en ayant un rôle de père. Rien d’autre. Je suis triste. Triste parce que mes sentiments sont peut-être morts. Je suis triste aussi parce que je ne lui ai pas demandé de rentrer avec moi. Triste de l’avoir quittée et d’être tombé amoureux d’elle. Ça fait mal. Mais je ne sais pas tout à fait ce qui provoque le mal. C. va arriver à huit heures et je lui mens. J’ai fait les courses. Faut que j’arrive à lui parler. Quand ? Demain ? Salué Jonas Karlsson dans le bus 46. Je pense que c’était Jonas Karlsson. BLUE / ORANGE n’a été ni une réussite ni un échec. Je l’aimais bien quand je l’ai lu. Kristi m’a dit que les acteurs étaient très bien, mais que la pièce et la représentation paraissent dépourvues d’intérêt et inutiles. — Jessica Zandén était plus petite, plus fine et plus gracieuse que ce que je me suis imaginé. Très belle. Rapide. Drôle. Intelligente. Ne lisait pas tellement bien, ce qui ne dit pas grand-chose. Était trop forte et dénuée de profondeur. Etienne était parfait. Micke devient tellement stockholmois quand il lit un texte pour la première fois, essaie de charmer comme un petit garçon chahuteur. Kristi était merveilleuse. Annika, Per et Johan étaient très bien, même Johan. J’ai pensé à Svein Tindberg. Je crois que c’est lui qui va faire Trigorine. Parler avec Stefan jeudi ou vendredi.Je dois absolument continuer ce que je suis en train d’écrire, mais j’aimerais aussi écrire une autre sorte de pièce. Une pièce avec un conflit plus nu et évident, avec un drame plus clair et pur, une petite tragédie. Les autres choses, je les connais déjà, pourtant ce que je fais pour l’instant me fascine assez. Une interrogation peut-être. L’assassinat à Kode, que j’ai laissé tomber après les assassinats à Malexander. J’ai lu les procès-verbaux horribles après les interrogations. J’y pense souvent. Peut-être l’écrire de cette manière-là. Un prisonnier dans une clinique psychiatrique. Il n’y a que deux personnes. Sept Trois mais sous une autre forme. Je ne peux pas y mettre un prêtre. Ils ne pourraient pas être dans la même pièce, tous les trois. C’est impensable. Je ne veux pas écrire la pièce de Penhall. J’ai raconté au metteur en scène bosniaque mon texte sur Kode, ce que j’ai écrit, quand on l’a vu chez Isa. C’était entre la première de Sept Trois et les assassinats à Malexander. Je cherche une autre forme pour la matière de Kode. De temps en temps, je travaille l’esquisse d’un texte sur la violence et les meurtres en cours. Mats. Tony. Dinoet Kalle. Mais quelle est la situation. — Pendant une pause à la lecture, Micke m’a raconté la vie d’une femme, trente-cinq ans, habilleuse au Dramaten. Ses parents viennent de la République tchèque. Le père a toujours traité sa fille et sa femme d’une manière brutale et grossière. Il y a quelque temps, quand elle avait des difficultés, elle lui a demandé de l’argent pour s’en sortir. Après un certain temps une enveloppe est arrivée — avec de l’argent du Monopoly. Quand elle est allée en République tchèque un parent plus âgé lui a raconté que sa mère était née en Bergen-Belsen. Micke a interprété cela comme si son enfance l’avait marquée à un tel point qu’elle a fini par se marier avec un sadique. — Je vais écrire une pièce qui parle d’un journaliste qui visite un prisonnier dans une prison. Moi et Mats. Encore une fois. Quand je pense à la manière dont Micke parle de Dramaten je sens qu’il fait semblant de détester ce lieu en même temps qu’il est très fier d’y être.
26 mars 2001
C. était malade et avait mal au cœur quand elle est rentrée hier. Elle a pris un thé et est allée se coucher. On a vu SOPRANOS ensemble. Je ne supporte pas ces gens affreux. C’est Shakespeare des temps modernes. Richard III de notre époque. Il est très bien, désagréable, mais je suis quand même un peu indifférent. Rendez-vous avec Ingrid à 10 heures. Je lui ai dit que je ne viendrai pas au Dramaten. J’ai des angoisses quand j’entre dans ce théâtre. Elle m’a dit qu’elle était désolée. Je lui ai parlé de l’autre pièce, celle avec les enfants morts. Peut-être que Lennart pourrait la monter là-bas s’il veut. Il m’a dit que lui non plus n’aime pas y travailler. Je lui ai demandé depuis combien de temps elle est chef. Quatre ans et demi, m’a‑t-elle dit. — Pendant ce temps-là, tu n’as pas présenté une seule de mes pièces. Les pièces qui ont été jouées au Dramaten, CATÉGORIE 3.1, LES GARÇONS DE L’OMBRE et ICI-BAS, sont des collaborations ou des invitations. Elle était un peu indignée. Je lui ai dit que ce sont des faits. Tu es bien le chef. Si tu veux qu’une de mes pièces soit montée, tu n’as qu’à le décider. Il y a de quoi choisir. J’ai pensé à ce quelle a dit à Lennart après la première de SEPT TROIS : les pièces de Norén ne seront pas montées dans les années à venir. — Etienne m’a appelé quand je passais par Humlegârden. Il avait relu TRISTANO le soir. On va se parler ce soir. Maison. Ensuite on est allé à la clinique Sofiahemmet. Rencontré KG. Il a dit que d’une manière purement médicale il ne peut pas nous déconseiller de réessayer un traitement FIV puisque la fécondation a eu lieu quatre fois. Il trouvait qu’on devait le faire une dernière fois, mais il nous a dit que ce sera la dernière. Après ce ne serait plus médicalement justifiable et il ne pourrait pas le recommander. Il a fait un doppler et il y avait un gros œuf sombre prêt à se défaire. Si vous voulez être enceinte, c’est le moment de rentrer et essayer. On est rentré en silence. C. m’a dit quelle voulait le faire. Je me sens comme si j’avais une blessure qu’il ne faut pas toucher. Je ne veux même pas la nettoyer. Je ne veux pas m’ouvrir. Puisque je suis tellement fâché et déçu et que je me débats tout seul pour savoir comment me comporter je cherche seulement les raisons de cette sensation. Je veux divorcer et je n’arrive pas à le dire. Je ne sais pas ce qui va arriver si je le dis. On a fait l’amour. C’était purement technique. J’étais complètement retenu à l’intérieur, mais je l’ai fait quand même. J’ai l’impression de l’offenser, ainsi que moi-même. Pourquoi je fais ça ? C’est comme un suicide sentimental. Je vais très mal. Pourquoi j’agis comme ça ? Pourquoi je fais des choses contre moi ? Pourquoi je me fais violence ? Pourquoi je n’ai pas de dignité ? Je sais que si j’avais dit non, c’aurait été la même chose que si j’avais dit que je ne l’aimais pas. Est-ce que j’ai tellement peur de blesser, ou de me disputer avec elle ? Ce n’est que de la lâcheté, de la lâcheté ordinaire. Faut qu’on se parle. Aujourd’hui ou demain ou mercredi. Je ne peux pas toujours reporter cela. Je vais nous faire encore plus mal à tous les deux. Ingrid m’a dit quelle avait une longue journée devant elle. Quelle faisait un dîner le soir pour les anciens de Dramaten. C’est Lars Lôfgren qui a instauré cela. Tous ceux qui ont travaillé au Dramaten et qui ne sont pas encore morts sont invités à un dîner dans la salle de marbre une fois par an. Ulrika m’a dit que les pièces en un acte étaient bien hier. Johan était très décontracté. La fin était meilleure. Salle comble. Ce soir aussi. Annika Hallin n’était pas tellement contente. Travaillé la première pièce. Mais pense à la deuxième, dont je ne sais rien. — J’ai dû me caresser pour arriver à bander. — J’ai lu la longue interview avec Tony Olsson hier. C. m’a donné un beau stylo qu’elle a acheté à Paris. Elle s’est acheté un stylo plume blanc et de l’encre rouge qui sent la rose. Je dois aussi parler de l’argent. Il fait beau dehors. Toutes les odeurs ont changé de caractère avec le printemps. Assez froid. Je ne sais pas comment faire. Je sais quoi, mais pas comment.

