Désir éternel — NIGHT NURSERY, CEUX QUI DÉSIRENT SANS FIN — Exposition des frères Quay

Désir éternel — NIGHT NURSERY, CEUX QUI DÉSIRENT SANS FIN — Exposition des frères Quay

Le 9 Juil 2008

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« NOUS NOUS SOMMES alors dit que nos mar­i­on­nettes pou­vaient avoir des sen­ti­ments, comme le désir, mais que celui-ci, chez elles, serait immor­tel et en même temps inas­sou­vi. »
Frères Quay, Pro­gramme du Fes­ti­val d’Avignon, édi­tion 2008.

« La mar­i­on­nette remue en nous des choses pro­fondes. Elle est l’art de la par­tie pour le tout, c’est la main à la place de la tête ou du corps entier. Le plaisir qu’on éprou­ve devant elle a quelque chose de la con­nais­sance éro­tique : en pos­sé­dant un frag­ment du corps d’un autre ou d’une autre, on croit pos­séder l’être même, le monde par sur­croît, et cette soif renaît sans cesse. Ain­si le corps du Christ s’étend à la Créa­tion. La mar­i­on­nette est là, tou­jours là, dans l’acte sacra­men­tal… »
Antoine Vitez, « La par­tie pour le tout », pré­face de Les Mar­i­on­nettes, dirigé par Paul Four­nel, Bor­das, 1982.

Stephen et Tim­o­thy Quay sont invités par le Fes­ti­val d’Avignon à créer une expo­si­tion qui per­me­t­tra de voir ou revoir plusieurs de leurs films dans un dis­posi­tif théâ­tral. Admirés par le pub­lic du ciné­ma d’animation pour leurs courts-métrages, ils ont pu se faire con­naître plus large­ment grâce à leur deux­ième long-métrage, L’Accordeur de Trem­ble­ments de Terre. Dans ce film notam­ment inspiré de L’Invention de Morel de Bioy Casares, comme dans l’ensemble de leur œuvre d’ailleurs, la vie des poupées croise con­fusé­ment celle des humains. Pas éton­nant, donc, qu’ils soient fort appré­ciés par les ama­teurs de théâtre d’objets, de fig­ures, de mar­i­on­nettes et autres pan­tins à ani­mer.
Ils créent cette nou­velle expo­si­tion sur le mod­èle du Dor­mi­to­ri­um que Romeo Castel­lu­ci avait vu en 2006 au Hol­land Fes­ti­val d’Amsterdam. Cette instal­la­tion était com­posée de dix-neuf espaces et, dans des boîtes, on pou­vait y voir des frag­ments de leurs films d’animation. Ils avaient alors été choi­sis sur le thème du som­meil et de l’hypnose, et l’ancienne usine à gaz qui accueil­lait l’exposition dans une ban­lieue d’Amsterdam s’était vue trans­for­mée en roy­aume de l’inconscience, en indus­trie du rêve. Cette fois-ci, ils s’installent en plein cœur d’Avignon dans l’Hôtel de Forbin. Il paraît que cette demeure était habitée par un vieil homme qui col­lec­tion­nait des tableaux, des fig­ures et des mar­i­on­nettes. Naturelle­ment ils adorent cette idée, et cette mai­son enchan­tée, et les spec­tres qui sans doute y rôdent… Ils ont décidé d’investir le pre­mier étage et le rez-de-chaussée avec des extraits de films, des frag­ments de décors et des objets choi­sis cette fois-ci, sous les aus­pices de la tristesse et du deuil, de la mélan­col­ie. La nature morte des mar­i­on­nettes, leur matière inerte et leur pou­voir de résur­rec­tion leur inspirent ce voy­age en Night nurs­ery — c’est-à-dire en nurs­ery de nuit, un endroit où selon eux les jou­ets des enfants dor­ment la nuit…
Dans cette expo­si­tion, il ne faut pas s’attendre à décou­vrir leurs films sur grand écran ou sur moni­teur TV, mais à vagabon­der dans une série d’espaces inat­ten­dus trans­for­més en petites scènes de théâtre. Pour présen­ter autrement leur ciné­ma à Avi­gnon, ils gagent sur plusieurs moyens de théâ­tral­i­sa­tion : la scéno­gra­phie du lieu, la présen­ta­tion d’objets inan­imés et la créa­tion d’un envi­ron­nement sonore fait de bruits bizarres et autres chuin­te­ments.
Ne con­nais­sant pas à ce jour la liste de leurs morceaux choi­sis, je n’évoquerai ici que quelques-uns de leurs titres, de leurs références lit­téraires et musi­cales qui don­neront un peu de couleur et de chair à leur univers artis­tique. Pour en savoir plus, il faut con­sul­ter le micro dic­tio­n­naire (joint à leur cof­fret de courts-métrages), qui de A à Z offre quelques pistes mais peu de solu­tions… Il y est dit en intro­duc­tion que « la clé pour com­pren­dre l’œuvre des Quay, si elle existe, con­siste à aban­don­ner toute notion de “sens” pour essay­er de ressen­tir leurs vibra­tions pro­fondes. »
Tout de même, à « Doc­u­men­taire », on y apprend qu’en rai­son de l’absence de tra­di­tion d’animation de mar­i­on­nettes en Grande-Bre­tagne, à leurs débuts, ils ont fait des doc­u­men­taires sur Janacek et Stravin­sky, sur Punch and Judy et sur le théâtre de mar­i­on­nettes de Toone, une enquête sur le sur­réal­isme tchèque (Svankma­jer)… Bref, on y trou­ve en ger­mes trois de leurs prin­ci­pales sources d’inspiration : la musique con­tem­po­raine, les mar­i­on­nettes et le sur­réal­isme.
La liste de leurs mus­es est assez longue mais le fil con­duc­teur évi­dent : la mélan­col­ie, la folie, et le rejet des fils con­duc­teurs. Chez eux les mar­i­on­nettes n’ont pas de fils. Elles vivent leurs vies et, sous l’influence lit­téraire de Bruno Schulz, Robert Walser ou Franz Kaf­ka, ça n’est pas tou­jours facile. Pour peu que Stock­hausen s’en mêle et qu’Adolf Wôlfli passe par là, on com­pren­dra qu’il est finale­ment aisé de pass­er du non con­ven­tion­nel à l’atypique, à l’anormal. J’ai remar­qué que bon nom­bre de leurs mus­es ont fini leurs vies en asile psy­chi­a­trique. Mais ils étaient moins des fous que de mer­veilleux artistes d’art brut, ou des écrivains encen­sés trop tard. Les Quay brouil­lent les fron­tières entre l’animé et l’inanimé, entre la rai­son et la dérai­son, entre les gen­res et les esthé­tiques.

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Écrit par Sylvie Martin-Lahmani
Sylvie Mar­tin-Lah­mani est mem­bre du comité de rédac­tion de la revue Alter­na­tives théâ­trales, doc­tor­ante à la Sor­bonne sous...Plus d'info
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8 Juil 2008 — JE NE peux dire qu’il n’y a pas de différence entre l’École et la Scène. C’est l’École qui est première.…

JE NE peux dire qu’il n’y a pas de dif­férence entre l’École et la Scène. C’est l’École qui est pre­mière. L’École est le plus beau théâtre du monde ; je le dis comme Élu­ard dis­ait…

Par Antoine Vitez
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