Sara Z
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Sara Z

Le 20 Juin 2004
Article publié pour le numéro
Michèle Fabien-Couverture du Numéro 63 d'Alternatives ThéâtralesMichèle Fabien-Couverture du Numéro 63 d'Alternatives Théâtrales
63
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C’EST UN BAL, une fête. Une récep­tion. Il y a de la musique. Un homme, debout, seul, adossé à un fau­teuil, ou un mur, ou une colonne. C’est le nar­ra­teur.
Entre une femme. C’est Sara Z. Elle n’est pas vrai­ment affolé, elle n’est pas vrai­ment déter­minée non plus, mais un peu les deux à la fois. Elle vient man­i­feste­ment de vivre quelque chose d’‘important. 

Sara Z :
Je pars. Je veux quit­ter cet endroit. Ne me posez pas des ques­tions. Il ne faut pas me deman­der pourquoi. Il faut se taire, juste se taire. Surtout. D’ailleurs, je n’ai rien à dire, plus rien. Aidez-moi à par­tir. Voilà, c’est fini. Adieu. 

Le nar­ra­teur :
Non. Restez. Restons. La nuit est longue encore. 

Sara Z :
Impos­si­ble. La nuit s’achève. Le jour va se lever. Il fera clair, c’est sûr, et je ne pour­rai pas le sup­port­er. Impos­si­ble. Je ne veux plus. 

Le nar­ra­teur :
Ici c’est bien. Dehors, il fait froid, ici, il fait chaud. Ici on vit. Dehors le silence, ici, la musique. Restons à voir d’i­ci ce qu’il y a dehors. Soyons loin d’eux et proches de nous. 

Sara Z :
Trop facile. Que puis-je voir encore de l’intérieur. De l’ex­térieur ? Qu’est-ce que cela veut dire ? Est-ce une vit­re qui fait la dif­férence entre la musique et le silence ? Ou même un mur ? Le froid, cela m’est égal. Le chaud aus­si. D’ailleurs je ne veux plus par­ler, je ne veux plus enten­dre. Ne me retenez pas. Vous devez m’aider à par­tir. Je suis seule, main­tenant, toute seule. Absol­u­ment. 

Le nar­ra­teur :
Il ne faut pas dire cela. Calmez-vous. Je sais d’où vous venez. Je sais ce qui vous déter­mine à fuir à présent. Mais il ne faut pas. Je vais vous dire…

Sara Z :
Ce n’est pas une fuite. Vous ne pou­vez pas savoir. 

Le nar­ra­teur :
Je peux le faire, en tout cas. 

Sara Z :
Dire quoi ?
Dites. 

Le nar­ra­teur :
Vous avez enten­du.

Sara Z :
Voilà ! Et déjà votre mot n’est pas le bon. Com­ment pour­rait-il l’être d’ailleurs ? 

Le nar­ra­teur :
Don­nez-m’en un autre.

Sara Z :
C’est dif­fi­cile. Vous voyez bien, il faut se taire, il faut par­tir, il faut se quit­ter, il faut peut-être mourir. Peut-être que j’ai tort, peut-être que je ne devrais pas, mais j’ai envie, quand même, d’es­say­er de vous dire. Voyez-vous, j’é­tais ici dans cette lumière, dans cette salle, dans cette musique, avec vous, je pense, avec vous, oui, sans doute, et puis avec ces gens aus­si. Oui. Un peu chaude, un peu moite, ni vrai­ment assoupie, ni vrai­ment éveil­lée, sans vrai­ment par­ler et sans se taire non plus. Que fai­sions-nous ? Regarder les gens, écouter la musique ? Un peu de cela, et puis autre chose, je ne sais pas bien, je ne sais plus, je ne pour­rais plus le dire, à présent.
Je me rap­pelle, j’ai bu une gorgée de vin, elle est dev­enue fade dans ma bouche, j’ai avalé, j’ai sen­ti l’insipide sur mon palais et puis qui pas­sait dans ma gorge. Puis l’insipide s’est per­du en moi. Alors, j’ai eu peur. Non. Pas peur, ce n’est pas un bon mot. J’ai sen­ti en moi le fade et j’ai su que ce n’é­tait pas le vin qui était insipi­de, pas le vin du tout, il n’avait rien à voir, mais moi, mais ma gorge, mon palais, et puis moi toute entière, je deve­nais cette fadeur informe, j’é­tais en train de me dis­soudre dans le vin, dans le fade. Insup­port­able.
Alors, je vous ai regardé, vous, vous qui étiez telle­ment debout, telle­ment dis­tinct, vous tout entier, avec votre verre au bout de votre main, et j’ai vu que vous regardiez quelque chose ou quelqu’un, je ne sais pas, quelque chose en tout Cas que vous n’étiez pas, et qui n’é­tait pas vous.
Votre corps se découpait si bien, si net­te­ment, vous étiez si vio­lem­ment vous que je n’ai pas pu sup­port­er cette dif­férence. Je pen­sais, naïve­ment que si je trou­vais un miroir, j arriverais à me voir moi de nou­veau, avec vous, près de vous. Je pen­sais qu’il fal­lait que je me délim­ite moi aus­si. 

Le nar­ra­teur :
Vous êtes par­tie bien vite. Je n’ai pas pu vous retenir. 

Sara Z :
Non. Je suis par­tie très lente­ment, si lente­ment que vous ne pou­viez pas le voir.

Le nar­ra­teur :
Je ne pou­vais pas vous chercher. 

Sara Z :
Non. Il ne fal­lait pas. Vous le saviez ?

Le nar­ra­teur :
Vous me retrou­vez à présent à l’en­droit même où nous étions quand vous êtes par­tie. 

Sara Z :
L’en­droit, c’est vrai, n’a pas changé. Et vous, vous êtes resté le même, tou­jours aus­si net­te­ment vis­i­ble. 

Le nar­ra­teur :
Vous aus­si.

Sara Z :
Non.

Le nar­ra­teur :
Écoutez-moi. Lais­sez-moi vous par­ler main­tenant.

Sara Z :
Il y avait un long couloir, et moi dedans, longtemps. Au bout du couloir, une ten­ture. J’ai soulevé la ten­ture, lourde, très lourde. D’abord je n’ai rien vu, rien enten­du, d’abord, il n’y avait rien. Rien du tout. Un vide inté­gral. Et moi devant, dedans, je ne sais plus. Peu importe. Peut-être que j’é­tais dev­enue vide aus­si. Prête à tout. Alors j’ai sen­ti un chant, non, ce n’est pas un bon mot… mais je n’en ai pas d’autre, ter­ri­ble dans mon corps, sous ma peau, une voix qui cir­cule dans mes veines, évac­uant le sang, rien que des sons qui bougent. J’é­tais le chant, j’é­tais la voix, j’é­tais ce mou­ve­ment des sons, moi, en moi. J’é­tais avec le chant pareille et dif­férente, coupée et réu­nie. Un instant. seule­ment un instant. Depuis, j’ai lais­sé retomber la ten­ture, je me suis retournée, couloir, long, et puis ici, et vous, et la lumière, et la musique et les gens. Tout.
La vie. Et puis du vin, encore, bien­tôt. 

Le nar­ra­teur :
Du vin, oui, du vin, main­tenant vous êtes ici, c’est vous, c’est moi, et main­tenant je peux vous dire…

Sara Z :
J’ai trop par­lé, déjà, et trop tardé. Je pars. Toute seule, c’est mieux. Vous avez rai­son. Je ne veux pas voir le jour se lever. 

Le nar­ra­teur :
Que voulez-vous savoir ?

Sara Z :
Rien. Rien du tout. Que voulez-vous me dire ?

Le nar­ra­teur :
Venez. Venez danser. Vos bras dans les miens, votre souf­fle dans mon cou, vos cheveux effleu­rant mes yeux, nos deux corps ensem­ble, baig­nant dans un même rythme, unique. 

Sara Z :
J’ai dan­sé, déjà, c’est pareil. Mieux. Pire. Avec aucun homme je ne pour­rais danser comme cela. 

Le nar­ra­teur :
Il faut que vous sachiez.…. 

Sara Z :
Je ne veux rien savoir. Je ne demande rien. Je ne pose pas de ques­tions. Que peu­vent bien dire les mots ? J’ai chaud, j’ai soif, j’ai faim, je vous aime. Autrement dit : rien du tout, ou si peu. 

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Écrit par Michèle Fabien
Michèle Fabi­en est l’au­teur de plusieurs textes de théâtre : JOCASTE, NOTRE SADE, SARA Z, TAUSK, CLAIRE LACOMBE, ATGET...Plus d'info
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