Adapter « L’Odyssée » *
Non classé

Adapter « L’Odyssée » *

Le 6 Juin 2004
Article publié pour le numéro
Paul Emond-Couverture du Numéro 60 d'Alternatives ThéâtralesPaul Emond-Couverture du Numéro 60 d'Alternatives Théâtrales
60
Article fraîchement numérisée
Cet article rejoint tout juste nos archives. Notre équipe le relit actuellement pour vous offrir la même qualité que nos éditions papier. Pour soutenir ce travail minutieux, offrez-nous un café ☕

ADAPTER L’ODYSSÉE au théâtre, c’est peut-être chercher à se rap­procher de ce que l’on peut imag­in­er être une sorte de « scène prim­i­tive » de l’acte théâ­tral : le con­teur, l’aède, racon­te à l’as­sis­tance le réc­it légendaire ; et voici qu’emporté par son réc­it, il se met à mimer les per­son­nages, leur donne tour à tour la parole, les incar­ne de sa voix et de ses mim­iques, mêlant ain­si à sa nar­ra­tion une ébauche de jeu. 

L’adap­ta­tion de L’ODYSSÉE et le spec­ta­cle se présen­tent comme une ampli­fi­ca­tion de cette « scène prim­i­tive » : sur Le plateau, l’aède, per­son­nage cen­tral, nous racon­te l’histoire d’Ulysse ; au fur et à mesure que se déroule son réc­it, les divers per­son­nages pren­nent corps sous les traits des autres comé­di­ens, l’espace d’un dia­logue ou d’une séquence de jeu ; puis, ils cèdent à nou­veau la place au réc­it de l’aède, avant de réap­pa­raître éventuelle­ment par la suite. 

De cette alter­nance du réc­it et du jeu, L’ODYSSÉE nous pro­pose d’ailleurs une for­mi­da­ble image gigogne. Par­venu chez les Phéa­ciens, c’est en effet Ulysse luimême qui devient le con­teur et qui déroule alors, devant Alki­noos et sa cour, les plus fab­uleux de ses exploits. De l’aveuglement du Cyc­lope à la descente aux enfers et au chant des sirènes, le héros, à l’in­star de l’aède, tan­tôt racon­te, tan­tôt mime ou incar­ne par la parole les dif­férents pro­tag­o­nistes de ses aven­tures, à com­mencer par celui que lui-même a été. Et c’est pour le remerci­er de les avoir si bien char­més par son réc­it que les Phéa­ciens recon­duiront à Ithaque le fils de Laërte… 

Comme si, tout en nous trans­met­tant l’ex­tra­or­di­naire bagage mythologique qui, près de trente siè­cles plus tard, nous fait encore tant rêver, le grand réc­it fon­da­teur de la lit­téra­ture occi­den­tale entendait égale­ment mag­nifer l’art du con­teur, et, plus large­ment, l’art de faire revivre les his­toires, nos his­toires. Car c’est par cet art que se trans­met sous toutes ses formes la grande légende de l’hu­man­ité, c’est par lui que se con­stitue la mémoire du monde. « Si jamais l’hu­man­ité perd son con­teur », écrivait Peter Hand­ke, « elle perd du même coup son enfance » … Et Ulysse lui-même n’é­pargn­era-t-il pas l’aède que les pré­ten­dants fai­saient chanter pen­dant leurs fes­tins ? Plus tard te viendrait une grande douleur, lui dira celui-ci, si aujourd’hui tu tuais l’aède qui pour les dieux et pour les hommes fait reten­tir son très beau chant. Écoute ce que je veux te dire : jamais, je n’ai eu d’autre maître que moi-même ; n’ou­blie pas qu’un dieu inspire mes réc­its !

*Texte pub­lié dans le pro­gramme des représan­ta­tions de L’ODYSSÉE, Rideau de Brux­elles, mise en scène de Jules-Hen­ri Marchant, 1996.

Non classé
Partager
auteur
Écrit par Paul Emond
Paul Emond est romanci­er et auteur dra­ma­tique. Derniers ouvrages parus : TETE À TETE (roman), édi­tions les Eper­on­niers ; INACCESSIBLES...Plus d'info
Partagez vos réflexions...

Vous aimez nous lire ?

Aidez-nous à continuer l’aventure.

Votre soutien nous permet de poursuivre notre mission : financer nos auteur·ices, numériser nos archives, développer notre plateforme et maintenir notre indépendance éditoriale.
Chaque don compte pour faire vivre cette passion commune du théâtre.
Nous soutenir
Précédent
Suivant
Article publié
dans le numéro
Paul Emond-Couverture du Numéro 60 d'Alternatives Théâtrales
#60
mai 2025

Paul Emond

7 Juin 2004 — PAUL EMOND ET MOI rêvions de porter à la scène un grand texte de la littérature. Le projet d'adapter L'ODYSSÉE…

PAUL EMOND ET MOI rêvions de porter à la scène un grand texte de la lit­téra­ture. Le pro­jet…

Par Jules-Henri Marchant
Précédent
5 Juin 2004 — EN TANT QUE METTEUR EN SCÈNE on s'approche des textes dans lesquels on se retrouve. Ou de ceux qui répondent…

EN TANT QUE METTEUR EN SCÈNE on s’ap­proche des textes dans lesquels on se retrou­ve. Ou de ceux qui répon­dent à un manque pro­fond. Mais com­ment expli­quer un coup de foudre ?Celui qui ressent douloureuse­ment…

Par Adrian Lupu
La rédaction vous propose

Bonjour

Vous n'avez pas de compte?
Découvrez nos
formules d'abonnements

Mot de passe oublié ?
Mon panier
0
Ajouter un code promo
Sous-total