Une écriture en creux
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Une écriture en creux

Le 29 Avr 2004
Article publié pour le numéro
Voix d'auteur et marionnettes -Couverture du Numéro 72 d'Alternatives ThéâtralesVoix d'auteur et marionnettes -Couverture du Numéro 72 d'Alternatives Théâtrales
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UNE ÉCRITURE pour la mar­i­on­nette devrait être aus­si naturelle qu’un texte pour le théâtre, ou alors serait-ce suff­isant d’agiter un morceau de bois cou­vert d’un chif­fon en émet­tant quelques bor­bo­rygmes met­tant en joie un pub­lic ; c’est une approche qui a beau­coup été employée et j’avoue même y avoir pris du plaisir.
La mar­i­on­nette n’échappe pas au phénomène du bal­anci­er qui existe dans tous les domaines artis­tiques. Le texte a été impor­tant lorsque Guig­nol se moquait des monar­ques et des bour­geois. Bien sûr, il ne s’agissait pas d’un « beau texte », mais il util­i­sait le lan­gage de la rue et de ce fait, il pre­nait une exis­tence véri­ta­ble car authen­tique. Sans être his­to­rien de la mar­i­on­nette, il me sem­ble que le texte a existé tout au long du XIXᵉ siè­cle et au début du XXᵉ, point n’est besoin pour le véri­fi­er de citer Lor­ca, Sand ou Claudel, mais tous ces écrivains con­sid­éraient ces petits per­son­nages comme de véri­ta­bles objets passeurs de textes.
Le bal­anci­er évo­qué plus haut est repar­ti dans l’autre sens, celui de l’absence de texte au béné­fice d’univers poé­tiques et d’histoires sans parole, un peu comme à l’opéra au XIXᵉ siè­cle où le texte a som­bré dans le ridicule au prof­it de vocalis­es pro­lifiques, mais dans le domaine des mar­i­on­nettes, ce fut un siè­cle plus tard.
Ne boudons cepen­dant pas les mer­veilles qui nous furent offertes dans ces moments-là : la con­quête de l’espace entier du plateau pour des mis­es en scène hors castelet. On pense au Bread and Pup­pet The­atre et à des spec­ta­cles plus intimistes mais tout aus­si stupé­fi­ants de Robert Anton jouant au plus près d’une quin­zaine de spec­ta­teurs ou encore récem­ment au somptueux Tri­an­gel.
Le texte a con­tin­ué à être util­isé par d’autres mar­i­on­net­tistes, cer­tains ne l’ont jamais aban­don­né, mais très sou­vent, trop sou­vent à tra­vers l’adaptation, car racon­ter une his­toire sem­blait néces­saire, une belle his­toire. La mar­i­on­nette nous ramène à l’imagination enfan­tine comme Miró l’a fait en pein­ture.
Le prob­lème du texte et de la mar­i­on­nette a été longtemps lié à l’enfermement du mar­i­on­net­tiste dans son cer­cle arti­sanal. Longtemps et encore aujourd’hui on con­stru­it, on adapte un texte, on manip­ule, que de tal­ents faut-il avoir à l’intérieur de cet arti­sanat ? Alors, com­ment faire ? Com­ment trou­ver l’écrivain avec lequel on a envie de faire un par­cours ? Com­ment tra­vailler avec lui ? Y a‑t-il une écri­t­ure spé­ci­fique pour la mar­i­on­nette ? J’ai envie de répon­dre oui et non. Bien sûr, on n’écrit pas du théâtre comme un roman, ni comme un scé­nario de ciné­ma, je pencherais plutôt pour le livret d’opéra car je pense que l’écriture pour la mar­i­on­nette doit être en creux pour laiss­er, comme pour le lyrique, la musique pass­er. Nous revoilà au sys­tème du bal­anci­er, trou­ver l’équilibre entre le texte et le visuel mais trou­ver avant tout l’auteur qui vous cor­re­spond, celui dont l’univers portera celui du mar­i­on­net­tiste, c’est la ren­con­tre entre Mozart et Da Ponte qui a don­né de grands opéras, c’est Maeter­linck et Debussy qui nous enchantent avec Pel­léas et Mélisande, c’est Japelle et Beck­ett qui nous ont fait dire que nous ne pour­rons plus jamais voir Fin de par­tie au théâtre. Alors, ne hur­lons pas avec les loups en dis­ant qu’il n’y a pas d’auteur pour la mar­i­on­nette. Il suf­fi­rait aux mar­i­on­net­tistes d’un peu de curiosité pour lire des textes qui ne seront pas écrits pour eux dans un pre­mier temps, mais qui les fer­ont entr­er dans l’univers des écrivains. Il faut cass­er les bar­rières comme dans beau­coup de domaines artis­tiques, il faut des lieux pour que la ren­con­tre soit pos­si­ble, les auteurs n’attendent que ça pour décou­vrir d’autres ter­rains d’aventures.
Répon­dant à la demande de THEMAA1, le CNES a pro­posé un lab­o­ra­toire au cours duquel mar­i­on­net­tistes et auteurs pour­raient faire con­nais­sance, ren­con­tre entre deux univers de créa­teurs et écrivains.
Un lab­o­ra­toire pose d’emblée la ques­tion que tout ne s’écrit pas de la même façon dans chaque domaine artis­tique. Les mar­i­on­net­tistes invités par THEMAA et les écrivains con­viés par le CNES ont pris con­science de cette prob­lé­ma­tique au fil de plusieurs réu­nions où ils ont appris à se con­naître, où les divers­es sen­si­bil­ités artis­tiques se sont con­fron­tées, où cha­cun a pu approcher les pistes explorées par l’écrivain.
Les ambi­tions du CNES ne s’arrêtent pas à l’écriture, la cohérence de notre tra­vail nous implique dans la dif­fu­sion du texte à tra­vers des propo­si­tions de pro­jets de créa­tion. Ce furent les Con­tem­po­raines de la Mar­i­on­nette, déjà deux édi­tions pen­dant les ren­con­tres d’été de la Char­treuse où chaque équipe artis­tique a pu présen­ter ses inten­tions et les pistes qu’elle voulait explor­er, tout ceci en présence des auteurs. Huit spec­ta­cles ont déjà vu le jour. Souhaitons leur « longue vie ».

  1. THEMAA, asso­ci­a­tion française des Théâtres de Mar­i­on­nettes et des Arts Asso­ciés. ↩︎
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Écrit par Daniel Girard
Daniel Girard est directeur de la Char­treuse de Vil­leneuve-lez-Avi­gnon, Cen­tre Nation­al des Écri­t­ures du Spec­ta­cle (CNES).Plus d'info
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