Maelstrom

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Le 5 Sep 1986

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Canada Quebec 86 repères-Couverture du Numéro 26 d'Alternatives ThéâtralesCanada Quebec 86 repères-Couverture du Numéro 26 d'Alternatives Théâtrales
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D’abord
Rap­pel­er que le Québec est une province du Cana­da, d’une super­fi­cie équiv­a­lente à celle de quelques France jux­ta­posées, d’une pop­u­la­tion ne représen­tant pas celle d’un seul Hexa­gone, très majori­taire­ment fran­coph­o­ne, vivant entourée de quar­ante fois son pro­pre poids d’anglophones et comp­tant dans ses rangs des représen­tants d’une soix­an­taine de com­mu­nautés cul­turelles dif­férentes y com­pris des descen­dants des pre­miers habi­tants du con­ti­nent améri­cain. 

Ne blâmez jamais les bédouins, texte et interprétation: René-Daniel Dubois. Photo A. Chambaretand
Ne blâmez jamais les bédouins, texte et inter­pré­ta­tion : René-Daniel Dubois. Pho­to A. Cham­bare­tand

Ensuite
Illus­tr­er de deux exem­ples choi­sis arbi­traire­ment, mais à haute teneur poé­tique, le rap­port cul­turel qu’une par­tie de cette pop­u­la­tion entre­tient avec le monde et l’histoire con­tem­po­raine. 

A l’automne 1984, dans un café de Mon­tréal, au cours d’une dis­cus­sion publique por­tant sur l’opportunité d’«encore » jouer les grands textes clas­siques, les met­teurs en scène invités à pren­dre la parole se divi­saient, grosso modo, en deux groupes. D’une part, on trou­vait ceux qui sont à la direc­tion artis­tique de com­pag­nies insti­tu­tion­nelles — et qui, dans de nom­breux cas, ont dû l’envol de leur car­rière aux risques du théâtre de créa­tion — exp­ri­mant leur intérêt pour les nou­veaux textes mais pré­tex­tant leur statut de com­mis de l’E­tat soumis aux goûts des spec­ta­teurs-con­tribuables (qui en ont ras le bol du « nou­veau théâtre »): « C’est dom­mage, mais c’est comme ça. Ne le prenez pas per­son­nelle­ment, auteurs d’i­ci et de main­tenant, mais vous savez, des Molière et des Shake­speare, c’est rare. En atten­dant qu’il en sorte un de vos rangs, nous sommes bien oblig­és de pren­dre ceux que nous avons déjà sous la main. Il faut bien jouer quelque chose en atten­dant ». L’autre groupe iden­ti­fi­ait les pro­duits de l’écri­t­ure au yaourt — dont on con­naît bien la mau­vaise résis­tance au temps, lorsqu’il est soumis à la tem­péra­ture ambiante — et décré­tait que tout ce qui a été écrit avant leur nais­sance sent le moisi et est, par essence, inca­pable de ren­dre compte du vécu con­tem­po­rain. 

Au print­emps 1985, se tenait à New York le pre­mier Dial­o­go de todas Las Amer­i­c­as (Dia­logue de toutes les Amériques), ren­con­tre d’artistes de dif­férents pays. Un matin, au cours d’un exposé sur les rap­ports de force poli­tiques, à l’Université Colum­bia, le con­férenci­er — se sou­venant soudaine­ment qu’il y avait des gens « venus du Nord » dans l’assemblée sus­pendue à ses paroles — leva tout à coup les yeux de ses feuil­lets et dit, his­toire de n’avoir pas trop l’air dans la lune : « Je m’ex­cuse de ne pas par­ler davan­tage du Cana­da, mais vous devez savoir aus­si bien que moi qu’il ne compte pour rien ». Les cinq cana­di­ens présents opinèrent du bon­net. 

En deux mots
Met­tre en relief, sans trop drama­tis­er, ni soulign­er, sans seule­ment dévelop­per vrai­ment — l’espace manque — le fait que le Québec, achevant sa Révo­lu­tion Tran­quille, revient à son point de départ ; que l’Amérique est plus intran­sigeante que jamais et réfrac­taire à tout ce qui n’a pas l’heur d’être évidem­ment Elle ; et le Cana­da à ven­dre, sur le point de l’être, sans fig­ure de style, comme on le dit d’un pavil­lon de ban­lieue, à l’Em­pire voisin, par ses pro­pres dirigeants élus. 

Dans ces con­di­tions, que dire ?
Com­ment faire le point sur une dra­maturgie passée — à l’in­star de la société dont elle est issue — en quar­ante ans, par toutes les caus­es, toutes les morales ?
A l’époque, catholique et prêcheuse à un bout de la gamme et revuiste à l’autre. Pop­uliste tout de suite après. Puis bour­geoise et défaitiste de la fin des années cinquante au milieu des soix­ante. Nation­al­iste, réformiste et mis­éra­biliste à par­tir de là pour finale­ment se met­tre à flot­ter, à par­tir de la prise du pou­voir par un cer­tain par­ti soi-dis­ant Indépen­dan­tiste. Par une cer­taine généra­tion. Quel tableau bross­er au sor­tir de deux généra­tions de com­bats ? Pre­mier com­bat : importer ici (exporter là-bas) la Cul­ture.
Dis­pos­er de salles où Molière, Shake­speare, voire Genet, lonesco, Beck­ett pour­raient être présen­tés. Sec­ond com­bat, engagé alors même que le pre­mier pre­nait à peine son essor : faire recon­naître une réal­ité d’i­ci (de là-bas) peut-être dif­férente de celle de l’Eu­rope et ne cor­re­spon­dant pas à l’image courante de l’Amérique protes­tante et libérale du Boston Tea Par­ty, des lignes d’assem­blage de Ford, pas plus qu’à celle des coups d’E­tat à répéti­tion de sa moitié sud. Tâter d’autres dis­cours, d’autres canaux, ser­vant à ren­dre compte de cette dif­férence appréhendée. Ce com­bat-ci, c’est la créa­tion col­lec­tive. C’est l’auto-gestion (des com­pag­nies qui ne sont pas tenues de se con­former aux règles syn­di­cales à la con­di­tion que toutes les déci­sions soient pris­es à l’unanimité des mem­bres). Ce sont les tout petits cafés-théâtres (qui n’ont pas la con­no­ta­tion bur­lesque attachée à ceux d’Eu­rope fran­coph­o­ne), seuls lieux où de nou­veaux auteurs peu­vent trou­ver accès à la créa­tion de leurs textes. C’est le théâtre d’im­pro­vi­sa­tion. Deux com­bats menés non pas bout à bout mais, par larges pans, simul­tané­ment. Par deux généra­tions qui s’af­fron­tent, se nient, s’ignorent ou s’envoient chi­er. Sans se souci­er jamais de ce qu’un jour d’autres hériteront des ruines qu’elles empi­lent. Deux généra­tions encore jeunes aujourd’hui. Et qu’un gouf­fre sépare. 

Deux com­bats menés, l’un con­tre l’autre, sou­vent, sur un îlot entouré de deux cent et quelques mil­lions d’anglophones pour lesquels tout ce qui n’ap­par­tient pas à la cul­ture de New-York, de Cal­i­fornie ou du Mid­dle-West se fond vague­ment dans un vague « autre ». Deux com­bats artic­ulés — quand ils le sont — dans une langue pour laque­lle ce qui n’a pas con­nu la bataille d’Azincourt et le retour de Napoléon est vague­ment d’une vague débil­ité. Un com­bat qui dit que les racines qui nous unis­sent à l’Eu­rope, seules, sauront nous sauver. L’autre, que l’Amérique est l’avenir et l’Europe, le colo­nial­isme. Mais, dit-on tout bas et sans trop y croire, l’Amérique serait menaçante. || faudrait savoir ne pren­dre d’Elle que ce qui, dans son sein, réclame et nie ce qui la fait. Deux com­bats se déroulant « à l’in­térieur des murs ». Comme à l’om­bre, entre les rem­parts d’une vaste forter­esse sauvage assiégée. 

Alors, que faire ?
Et que fait donc la nou­velle généra­tion, celle d’après ces deux com­bats-là, main­tenant que les murs de la Citadelle sont rasés à fleur de sol et que ces com­bat­tants-là se per­me­t­tent, les soirs de pre­mière, attablés, toutes fac­tions con­fon­dues, quelques larmes de nos­tal­gie sur les rival­ités d’an­tan, main­tenant qu’il n’y a plus de place que pour eux et leur sens de la déri­sion à l’é­gard même de leur foi d’hi­er ?
Pas de car­rière à défendre. Ni à espér­er, à moins d’aimer beau­coup le goût que laisse la cire à bottes sur la langue. Habitée par un doute immense, elle aus­si, à l’é­gard des caus­es. Ayant con­nu la défaite, pour­tant. Et, par le regard même que ses maîtres lui ont imposé d’ap­pren­dre, témoin de leur trahi­son. Que faire ?

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Canada Quebec 86 repères-Couverture du Numéro 26 d'Alternatives Théâtrales
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