Entretien avec Geneviève Druet et Patricia Balletti
Bernard Debroux : Quel est le projet du théâtre des Tanneurs ?
Geneviève Druet : C’est un projet multiple. Je suis partie d’une vision politique. En examinant le paysage théâtral bruxellois, ma question était de réaliser quelque chose de différent : je voulais donner une place à la danse, proposer des résidences et des compagnonnages, pour identifier artistiquement Les Tanneurs et donner une réponse à l’absence de possibilité de signature de nouveaux contrats-programme, travailler en créations et co-productions plutôt que de réaliser des accueils. Il y avait aussi l’idée, mais qui était embryonnaire, d’un travail sur le quartier. Je ne voulais pas, contrairement à ce qui avait été fait auparavant, que ce soit des opérations ponctuelles. Je voulais que ce soit un travail de fond. C’est pour cela que nous avons mis deux à trois ans à arriver à quelque chose de visible. En ouvrant plusieurs fois la salle à des groupes du quartier (la maison des jeunes des Renards par exemple), je me suis rendu compte de la fragilité de telles initiatives. On ne crée pas quelque chose de solide. On fait un coup… Un jour on a 120 jeunes de toutes les couleurs qui occupent les lieux mais sans lendemain… Mon objectif était plutôt de donner un sens à une démarche. On est ici, dans le quartier des Marolles et pas ailleurs. Dans cette réflexion est arrivé un jour un comédien qui habite le quartier, Etienne Vanderbeelen. Son projet était plutôt un concept. Mais ce qui était intéressant c’est qu’il voulait travailler avec les habitants du quartier de toutes catégories (diverses classes d’âge, commerçants, métissage). La première étape était un travail sur l’origine du nom des rues ; il s’agissait de poursuivre ensuite par un travail de mémoire et déboucher sur la vie du quartier aujourd’hui. J’ai immédiatement accepté de soutenir le projet. Mais il fallait trouver la place de chacun et d’autres partenaires pour le porter. J’ai pensé à Xavier Schaffers, à son expérience par rapport aux publics fragilisés. On a débuté par des ateliers avec les gens du quartier… On a envisagé le travail en nous laissant la possibilité de voir s’il allait ou non aboutir à un résultat « visible », un spectacle. On s’est aussi entouré d’un auteur, Veronika Mabardi et d’une comédienne, Béatrice Didier.
Patricia Balletti : Il a fallu un assez long temps de maturation et de gestation. Les ateliers n’ont débuté que près d’un an après qu’Étienne ait rentré le projet. Entretemps Veronika Mabardi avait déjà commencé à travailler. La thématique choisie était « les résistances ». On s’est rendu compte, notamment par les interviews des gens du quartier que l’histoire ici est une succession de luttes et de batailles. Donc Veronika avait déjà une matière avant le démarrage des ateliers. Parallèlement à ça nous avons mené un travail de sensibilisation des gens du quartier avec l’aide de travailleurs sociaux. Les informations circulaient par le biais du journal de quartier ( « Le marollien rénové » ) et aussi par le biais des associations. Elles sont nombreuses, mais il y en a particulièrement deux qui ont vraiment soutenu le projet : La Samaritaine, une association qui s’occupe de logements et la Maison médicale. Ces associations et les gens qui les animent croyaient en la chose artistique. Le moteur ce n’est que cela… L’appel se fait sur une envie de développer un travail artistique. Ce n’est pas un outil, l’objectif, c’est vraiment la création. Il y a aussi l’annonce chez les commerçants ; par là on touchait un autre public.
Geneviève Druet : Ce qui était essentiel dans la démarche, c’est qu’on a compris que le rôle des travailleurs sociaux avaient énormément évolué et nos relations étaient vraiment de l’ordre d’un partenariat. Chacun a sa place. Nous sommes un théâtre avec ses missions artistiques et les compétences que cela implique. Nous sommes implantés dans un quartier et pour rentrer en contact avec la population, la médiation par le biais des travailleurs sociaux est capitale. Ils ont des choses à nous donner et nous avons des choses à leur donner.
Patricia Balletti : Le dernier partenariat a été celui avec la maison des jeunes qui lui, finalement, n’a pas abouti. On s’est rendu compte que les adolescents, c’est un groupe difficile à intégrer avec d’autres types de populations : enfants et adultes, ça marche mais ados et adultes ou ados et enfants, ça ne marche pas…
Geneviève Druet : La situation des adolescents dans ce quartier est extrêmement difficile. Ils sont de la 2e génération de l’immigration et ils vivent des contradictions permanentes entre la culture des Belges, qu’ils partagent à l’école, et dans le contact avec la ville, et la culture de leurs parents encore souvent très contraignante. Cette contradiction débouche souvent sur les explosions qu’on connaît.
Bernard Debroux : Le groupe du GRAND BAL DES MAROLLES était finalement constitué par qui ?
Patricia Balletti : Il y a eu finalement un groupe d’une quinzaine de personnes de 25 à 80 ans, de milieux sociaux très divers. Un peu à l’image du quartier, finalement, qui est un brassage de populations.


