Grotowski « Qu’est ce qu’on fait ? »

Théâtre
Portrait

Grotowski « Qu’est ce qu’on fait ? »

Le 10 Avr 2009
Peter Brook et Jerzy Grotowski. Photo D. R.
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Peter Brook et Jerzy Grotowski. Photo D. R.
Peter Brook et Jerzy Grotowski. Photo D. R.
Article publié pour le numéro
Couverture du numéro 101 - Extérieur Cinéma - théâtre national de Nice
101

Insti­tut Gro­tows­ki,  Wro­claw 12 – 16 jan­vi­er 2009 — (notes d’un jour­nal polon­ais)

Après ces journées passées là-bas où son théâtre s’est accom­pli j’ai l’idée de réu­nir les phras­es de Gro­tows­ki comme des apho­rismes d’un maître zen qui con­cen­tre une pen­sée et invite à l’interprétation. Flaszen recon­naît l’autre sens de ces con­fi­dences : « Par nos con­fi­dences, nous pro­lon­geons notre vie ».

Un exem­ple cité par lui-même : 

  • Il faut que les couliss­es soient pro­pres.
  • Mais per­son­ne ne voit ce qu’il ya der­rière, lui répond quelqu’un.
  • Dieu voit , répon­dit-il en souri­ant.

Un autre. A Irvine, pour la présen­ta­tion des exer­ci­ces  de ses élèves il n’avait invité que qua­tre per­son­nes dont Jan Kott qui me racon­te : « A un moment don­né un cheval blanc est apparu. Gro­tows­ki réplique : « c’est quand même Dieu le plus grand met­teur en scène ». C’est ain­si qu’il nom­mait le « grand hasard »

Gro­tows­ki  a dévelop­pé une éthique de la dévo­tion.

L’émotion de la ren­con­tre avec la fille de Ryszard Cies­lak, l’icône du Théâtre lab­o­ra­toire . Ouverte, lumineuse, tout le con­traire des images ultimes du père.  Je me présente . «  Je sais qui vous êtes, vous avez fait telle­ment pour mon père ». Cette révéla­tion, enten­due le soir d’avant le départ, me boule­verse : mes mots et mes textes sur lui étaient arrivés jusque chez eux. Le plus beau cadeau de ce séjour .

Prom­e­nade dans l’île, à côté de l’hôtel Tum­s­ki, prom­e­nade régulière,  plaisir de la répéti­tion et de tout ce qu’elle per­met pour se repli­er sur soi, se retrou­ver. Je com­prends Kant et Ibsen dont les pas étaient mesurés et les min­utes chronométrés :  con­traire­ment aux grands « voyageurs » qui tra­versent le monde, eux, pensent le monde à par­tir d’un point pré­cis. Comme Julien Gracq, Beck­ett ou Cio­ran. Bref, lors d’une de ces prom­e­nades sous la neige, à côté de la cathé­drale, dans le creux d’un mur, pro­tégé par un gril­lage, je m’arrête devant la sculp­ture en pierre, brute et forte, d’un Christ fatigué, Christ qui repose sa tête sur la paume de sa main,  Christ qui est l’emblème de la Pologne,  Christ que le Prince con­stant avait ren­du célèbre,  Christ dont Ryszard avait telle­ment inté­gré la pos­ture qu’un soir,  lorsque je le quit­tais, en me retour­nant, je l’ai vu, un peu saoul, se repos­er pareil au Christ que j’avais sous mes yeux dans la nuit de Wro­claw .

« Si le comé­di­en n’est pas capa­ble de sur­mon­ter sa peur, de faire un saut de tigre, alors il n’est pas comé­di­en » dis­ait Gro­tows­ki en récla­mant à tout un cha­cun de son groupe de « dépass­er ses lim­ites ». Et per­son­ne n’égala Ryszard.

Je demande à Peter Brook : « Tu aimes l’improvisation, lui pas. » « Grâce à l’improvisation je cherche à aller avec les comé­di­ens aus­si loin que le pub­lic peut nous suiv­re. Lui, il voulait aller encore plus loin. ». Brook for­mule la rai­son pour laque­lle j’ai tant aimé son théâtre à lui pen­sé par rap­port à nous et à …nos lim­ites.

Gro­tows­ki tra­vail­lait la nuit, me dit amusé Mario Biag­gi­ni, « parce que le min­istre de la cul­ture dort », mais surtout pour aller le plus loin pos­si­ble comme le racon­te Marc Fumaroli : c’est au bout de la nuit qu’un jeune élève sué­dois descen­dit au cœur de soi-même d’où sur­girent des chants qu’il igno­rait et qui l’ont sur­pris, d’abord lui-même.  La nuit, repli sur soi…l’obscurité, depuis longtemps, fut con­sid­érée comme étant le milieu le plus prop­ice à la mémoire ! Norme de con­duite dans les cou­vents et les lieux de médi­ta­tion. 

Gro­tows­ki tirait  les rideaux pour « faire la nuit en plein jour ». Je me recon­nais dans ce besoin de repli, dans ce besoin de fuir  la lumière. Il y a longtemps, mon père entra dans mon bureau plongé dans le noir où seule une lampe éclairait la page : « La lumière doit être dans la tête, non pas sur la table », me dit-il ironique­ment .  Il ne savait pas que je répondais ain­si à un besoin interne et de con­cen­tra­tion sur le tra­vail et que, comme Gro­tows­ki, que je ne con­nais­sais pas alors, je me récla­mais d’El Gre­co qui, à midi, calfeu­trait les fenêtres et allumaient les bou­gies. Sa ten­sion dirigée vers la lumière mys­tique se nour­ris­sait des pou­voirs de «  la nuit en plein jour ». Gro­tows­ki s’apparente à ces « mys­tiques » ayant Saint Jean de la Croix comme chef de file pour qui l’esprit est le fils de la nuit. Mais on  peut dire aus­si qu’il a fait de la nuit son jour comme Staline ou les fêtards….qu’est-ce qui les relie ?

N’oublions pas les fêtes de fin de semaine à Wro­claw où les ermites du Théâtre lab­o­ra­toire se livraient à de véri­ta­bles  bac­cha­nales noc­turnes. « Nous savions ce que c’est la fête » me dis­ait Gro­tows­ki en sur­prenant le naïf que j’étais et qui entrete­nait l’illusion de l’austérité absolue de son équipe. 

« Il voulait faire la nuit même en plein jour. » se sou­vient Lud­wik Flaszen en me rap­pelant une de ses phras­es : «  cha­cun doit trou­ver sa part d’ombre »

« Nous appelons nuit la pri­va­tion du goût dans toutes les choses » St.Jean de la Croix

Après une nuit dans un vil­lage polon­ais, à Grze­goze­vice, Gro­tows­ki nous invite à s’adresser à  lui, si on le souhaite, indi­vidu­elle­ment. Sous l’emprise de l’expérience vécue je m’approche et je lui mur­mure : « Com­ment en par­ler ? ». Ma ques­tion, je l’ai appris de années plus tard, l’avait touché. Et , après avoir été un des rares invités à Pont­ed­era aux pre­mières présen­ta­tions d’Action, je me vis con­fi­er la mis­sion d’en témoign­er publique­ment au théâtre des Bouffes du Nord : « Par­le, m’a‑t-il dit la veille de la ren­con­tre, mais n’oublie pas que c’est impor­tant pour moi ! ». Jamais indi­ca­tion reçue ne fut plus laconique et effi­cace. Je devais « trou­ver les mots ».

On évoque ici les sor­ties noc­turnes lors des activ­ités parathéâ­trales, dans des forêts surtout. D’autres l’ont imité et chaque fois cela m’a révolté : « je veux aller dans la forêt, mais unique­ment en sa présence. Parce qu’il a aban­don­né le théâtre et se trou­ve là, dans cette nuit, à côté de moi que l’expérience me touche, sinon je préfère être plutôt seul qu’en com­pag­nie des lead­ers étrangers qui s’arrogent des pou­voirs  usurpés, dépourvus d’impact. Sans lui, pas d’expédition ! »

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Georges Banu
Écrivain, essayiste et universitaire, Georges Banu a publié de nombreux ouvrages sur le théâtre, dont...Plus d'info
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