La langue brute, la véhémence au présent

Théâtre
Réflexion

La langue brute, la véhémence au présent

Le 28 Nov 2010

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Article publié pour le numéro
Couverture du numéro 106-107 - La scène roumaine. Les défis de la liberté
106 – 107

IL Y A DES ANNÉES, quand après une représen­ta­tion d’UBU ROI, le recteur du Con­ser­va­toire de Bucarest dit, presque en s’excusant, « je préfère la langue de Racine », il sus­ci­ta des sourires ironiques par­mi les jeunes gens que nous étions et qui voy­aient, par ailleurs, dans ses pro­pos, un acte d’allégeance à l’égard du con­formisme de l’esthétique offi­cielle. Dans les lib­ertés lin­guis­tiques pris­es actuelle­ment, peut-on décel­er une insur­rec­tion con­tre les inter­dits de jadis ? En par­tie, sans doute, mais le phénomène ne peut se réduire à cet affron­te­ment avec le passé.

Le hors-normes de la langue

Un symp­tôme pointe. Il se généralise et con­t­a­mine la plu­part des textes nou­veaux qui parais­sent, surtout dans les pays de l’ancien Est, de Sigar­i­ov à Gian­i­na Car­bunar­iu ou Nico­le­ta Esinen­cu, de Ste­fan Pecaaux frères Ples­ni­akov, de Bucarest à Varso­vie ou Moscou. Ces auteurs sac­ri­fient toute con­ve­nance lan­gag­ière et cul­tivent l’agressivité d’une langue que l’on pour­rait appel­er « langue brute ». Langue qui draine les pires injures, les expres­sions les plus ordurières, les appels les plus explicites au sexe, comme si les jeunes per­son­nages qui étal­ent leurs déchire­ments dans ces textes ne pou­vaient pas se dis­soci­er de cette langue crue, vio­lente et… odor­ante. Langue du « rang le plus bas », pour para­phras­er Kan­tor qui par­lait de la « réal­ité du rang le plus bas » comme matière de son théâtre… Pareille langue sur­prend et déroute. À quoi cor­re­spond cette volon­té d’employer le vocab­u­laire le plus grossier et de le pro­jeter, de le don­ner à enten­dre sur une scène ?

Il s’agit en pre­mier lieu – cela va de soi – d’une déci­sion polémique, pareille à celle de Jar­ry qui se dres­sait con­tre la langue d’apparat, la langue à l’abri de cette dimen­sion excré­men­tielle sous le signe de laque­lle, grâce au célèbre « Mer­dre », il plaçait son UBU. Chez les auteurs actuels, la par­en­té avec ce geste orig­i­naire de la moder­nité est fla­grante : ils enga­gent le procès d’une langue con­stru­ite, maîtrisée, com­plexe en util­isant une langue élé­men­taire qui intè­gre tous ses résidus et fait fi des exclu­sions anci­ennes, des con­traintes longtemps respec­tées. C’est comme si, par cette libéra­tion de la moin­dre cen­sure, les écrivains nous don­naient à enten­dre une sorte de « retour du refoulé » de la langue. C’est le réveil d’un « ça » lin­guis­tique, équiv­a­lent du « ça » de l’inconscient freu­di­en, car les écrivains puisent dans la strate la plus pro­fonde de la langue. Langue basse réfrac­taire à tout idéal­isme. Elle s’assume comme langue con­crète, matéri­al­iste. Com­ment expli­quer cette mon­tée vers la scène d’un vocab­u­laire ban­ni ? À quoi cor­re­spond-elle ? Un com­mun désir d’attaque et une volon­té de destruc­tion général­isée se rejoignent dans cette pos­ture qui finit en symp­tôme de l’écriture mod­erne.

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Georges Banu
Écrivain, essayiste et universitaire, Georges Banu a publié de nombreux ouvrages sur le théâtre, dont...Plus d'info
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