On ne peut être à côté

On ne peut être à côté

Entretien avec Zygmunt Malanowicz

Le 13 Oct 2011
Zygmunt Malanowicz dans Fin d'après Franz Kafka, Bernard-Marie Koltès, J. M. Coetzee. Nowy Teatr, Varsovie, 2010. Photo Magda Hueckel.
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Zygmunt Malanowicz dans Fin d'après Franz Kafka, Bernard-Marie Koltès, J. M. Coetzee. Nowy Teatr, Varsovie, 2010. Photo Magda Hueckel.
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Article publié pour le numéro
Couverture du numéro 110-111 - Krzysztof Warlikowski - Fuir le théâtre
110 – 111
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Michat Smo­lis : Un groupe d’ac­teurs fidèles à Krzysztof War­likows­ki a émergé dans les pre­mières années du tra­vail de ce met­teur en scène au théâtre Roz­maitoś­ci de Varso­vie. Vous vous êtes joint à cette troupe seule­ment en 2003, durant le tra­vail sur La Tem­pête de Shake­speare et le spec­ta­cle Puri­fiés de Sarah Kane, spec­ta­cle charnière pour l’ap­pré­ci­a­tion et la récep­tion de ce théâtre. Com­ment vous êtes-vous retrou­vé là-bas ?

Zyg­munt Malanow­icz : Je suis venu dans une troupe déjà for­mée. Au début, il m’a sem­blé qu’il y rég­nait une cer­taine con­cur­rence. Mais c’é­tait une obser­va­tion erronée. Mes cama­rades avaient déjà ren­con­tré leurs pre­miers suc­cès, mais au prix de beau­coup de sueur, de larmes et d’én­erve­ments. Le met­teur en scène et les acteurs étaient liés par une langue com­mune que je devais d’abord domin­er. Je suis, d’après mon acte de nais­sance, le plus âgé de cette troupe, mais je ne me conçois pas du tout de cette manière et j’ai l’im­pres­sion que, pour mes cama­rades plus jeunes, cela non plus n’a pas d’im­por­tance.

M.S.: Vous êtes-vous demandé pourquoi War­likows­ki avait besoin de vous dans son théâtre ?

Z.M.: Sans doute a‑t-il besoin de ma struc­ture psy­chique ? Ou peut-être appré­cie-t-il tout sim­ple­ment que je sois un homme qui, mal­gré son âge, pense encore ? Et, puisque je pense encore, il m’a trou­vé une place dans sa troupe. Je joue dans chaque spec­ta­cle, bien que « jouer » ne soit pas le terme adéquat pour désign­er ce que je fais. Je prends part, je fig­ure, je par­ticipe. Je par­ticipe volon­tiers au théâtre de War­likows­ki que je con­sid­ère comme un évène­ment. Je ne reçois pas de tâch­es définies de À à Z à l’ex­cep­tion du rôle de Dulce dans Krum de Hanoch Levin.

M.S.: Vous avez la plus grande expéri­ence qui peut être utile dans ce tra­vail de troupe…

Z.M.: Mais elle peut être aus­si com­plète­ment inadéquate et c’est sans doute juste­ment le cas ici.

M.S.: Com­plète­ment inadéquate ? War­likows­ki, dans son tra­vail avec l’ac­teur, se réfère à sa biogra­phie, à ce qu’il a vécu. Il ne con­naît aucun tabou, ni physique, ni psy­chique. Dans l’une de vos inter­views, vous avez avoué que la guerre fut le plus grand trau­ma­tisme de votre enfance. Dans le tra­vail sur les spec­ta­cles suc­ces­sifs, Le Dib­bouk, et dernière­ment (A)pollonia, les sou­venirs refoulés sont-ils revenus ?

Z.M.: War­likows­ki ne m’a obligé à rien. En fait, il ne con­traint jamais les acteurs à quoi que ce soit. Le Dib­bouk est pour moi le man­i­feste de War­likows­ki sur l’Holo­causte dans lequel le met­teur en scène a lié le drame clas­sique de An-ski, cor­re­spon­dant à nos Ajeux, au réc­it con­tem­po­rain de Han­na Krall. Chez War­likows­ki, on ne joue pas des per­son­nages dans l’ac­cep­ta­tion tra­di­tion­nelle de ce mot. « Le per­son­nage » est une forme vide, un con­tour sans cir­cu­la­tion san­guine.

Je lui oppose « la per­son­ne » qui porte en elle un cur­ricu­lum, une pen­sée, des points de vue, des émo­tions. Krzysztof se con­cen­tre tou­jours sur l’in­di­vidu, sur son état psy­chique et émo­tion­nel qui doit trou­ver son expres­sion sur la scène. La tâche de l’ac­teur de War­likows­ki, c’est de trou­ver com­ment on peut encore com­pléter l’idée fon­da­men­tale de la représen­ta­tion. On est loin dans ce théâtre de la créa­tion de « per­son­nages » et des réper­toires aux­quels ils sont liés. Nous vivons aujour­d’hui dans un monde com­plète­ment dif­férent et très cru­el. Nous essayons de le racon­ter
au théâtre.

M.S.: Le monde est plus cru­el que celui présent chez Shake­speare ou dans le drame antique ?

Z.M.: Le monde est le même, ce sont les moyens de coerci­tion et les instru­ments pour tuer qui ont changé.

M.S.: Avez-vous accep­té War­likows­ki dès votre pre­mière col­lab­o­ra­tion ?

Z.M.: Au tra­vail, je tente de me con­cen­tr­er sur ma tâche. Au début, je dois me pos­er quelques ques­tions, réfléchir. Je ne rejette rien d’emblée, ce serait trop sim­ple. Je cherche tou­jours des raisons, un sens. Chez War­likows­ki, l’ac­teur est libre et la lib­erté au théâtre, c’est tout sim­ple­ment la pen­sée.

M.S.: Lors de votre tra­vail sur Le Dib­bouk vous aviez par­lé des dif­fi­cultés liées à la scène avec Stanistawa Celiñs­ka, où vos actes n’ont aucun rap­port avec les paroles que vous for­mulez. Le met­teur en scène ne l’avait-il pas expliqué à l’ac­teur ?

Z.M.: Il l’avait expliqué, mais je ne le com­pre­nais tou­jours pas. Krzysztof n’aime pas les choses sim­ples, claire­ment exposées. Dans la syn­a­gogue, deux hommes dis­cu­tent théorique­ment au sujet de mag­nifiques parokhets.

Et au fond, au sec­ond plan se déroule une scène entre les deux héros prin­ci­paux. Mais notre texte, à moi et à Celińs­ka, ne traite pas du tout de parokhet. Quel est donc le but de notre ren­con­tre ? Nous ne le savons pas et nous ten­tons de le com­pren­dre. Nous n’avons pas non plus con­science de l’im­age qui appa­raît aux yeux des spec­ta­teurs puisque nous sommes au milieu et ne pou­vons pas la voir. Nous devons tout sim­ple­ment faire con­fi­ance au met­teur en scène.

M.S.: War­likows­ki ne donne pas à l’ac­teur d’indi­ca­tions con­crètes. À quoi ressem­ble donc sa méth­ode de direc­tion des acteurs ?

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Écrit par Michat Smolis
Michat Smo­lis a été directeur du département littéraire du Teatre Syre­na de Varso­vie et tra­vaille actuelle­ment aux archives...Plus d'info
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