Façons d’endormi, façons d’éveillé

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Façons d’endormi, façons d’éveillé

Le 5 Juil 2012

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Couverture numéro 113_113 - Le théâtre à l’opéra, la voix au théâtre
113 – 114

« QUE CE SOIT le chant d’une lampe ou bien la voix de la tem­pête, que ce soit le souf­fle du soir ou le gémisse­ment de la mer, qui t’environne – tou­jours veille der­rière toi une ample mélodie, tis­sée de mille voix, dans laque­lle ton solo n’a sa place que de temps à autre. Savoir à quel moment c’est à toi d’attaquer, voilà le secret de ta soli­tude. »
Rain­er Maria Rilke, NOTES SUR LA MÉLODIE DES CHOSES

Dans le ven­tre, jardin d’Éden, les pre­miers sons de voix aqua­tiques et d’un bat­te­ment de cœur qu’on ne ver­ra jamais, pour­tant si près, si près du nôtre. Puis séparés… ce rythme sera tou­jours recon­nu. Pour l’œil et l’oreille com­mence une autre aven­ture. Aveu­gles, dans l’éblouissement ou dans le noir, l’absence de vision cherche l’inaudible. S’orienter sans voir, dans le labyrinthe poly­phonique de la forêt des sons. Bruisse­ments, bat­te­ments, roucoule­ments… L’oreille s’allonge, creuse jusqu’à ce nou­v­el audi­ble. Comme le souf­fle qui emplit les poumons explore le corps et l’espace jusqu’aux cris. C’est l’infans, celui qui ne con­naît pas encore le lan­gage. Mais avant le vis­i­ble, c’est d’abord la présence, une cer­taine qual­ité de chaleur, avant que sur fond de silence se con­stitue la scène du monde, rem­plie de choses qui atten­dent d’être vues quand nous aurons les yeux ouverts. Le vis­i­ble, invis­i­ble de loin, que l’on voit venir au monde, que l’on regarde sans con­trôle, chaque « chose » appa­raît, cela arrive. L’écoute recon­naît quelqu’un en son absence physique par sa voix. Tour à tour, la voix émerge pleine­ment lorsque l’image du locu­teur se dérobe. Le regard en sa jouis­sance pro­pre de fas­ci­na­tion sidère l’écoute, et plus tard nous com­pren­drons qu’à trop regarder on n’entend plus grand chose.

Réap­pa­raît tou­jours la ques­tion du com­mence­ment, voire du fonde­ment. Remon­ter très loin puisque nous n’arrêtons pas de revenir de loin.
Il appa­raît que notre lan­gage n’a pu devenir matériel poé­tique qu’en quit­tant le domaine de la douleur, de l’alerte, de l’appel, qu’en tran­scen­dant son essence util­i­taire et sig­nalé­tique. Donc dis­tance. La nais­sance de l’individu a quelque part amené le drame, alors que la tragédie le situ­ait dans l’universel.
Dans la recherche que nous menons, il y a tou­jours d’abord la ten­ta­tive de faire corps avec le corps de l’écriture, qui est la voix de l’écrivain, comme le musi­cien fait corps avec le corps musi­cal du com­pos­i­teur déposé dans la par­ti­tion. Cette volon­té impose pour chaque acteur d’incorporer cette par­ti­tion, et de trou­ver com­ment la sin­gu­lar­ité de son corps-instru­ment peut en jouer, la jouer. Ce corps musi­cal qui exige de lui un cer­tain souf­fle, une cer­taine res­pi­ra­tion, divers­es ten­sions, relâche­ments et sus­pen­sions des gestes et du corps. Chercher pour cha­cun un point d’intimité avec l’oeuvre pour que sa voix d’acteur, de chanteur, de passeur puisse dire com­ment cette intim­ité résonne dans l’existence même de son être. Ce qui est tra­vail­lé c’est d’abord donc la voix de l’écrivain, l’oeuvre au pied du texte, sans dis­tri­b­u­tion de per­son­nage et sans souci de fig­ure, car petit à petit la langue incar­née se révèle dans les corps et dans l’espace, et les fan­tômes, les entités arrivent. Les textes tra­vail­lés ont été tou­jours mis en réso­nance avec des textes poé­tiques.

Cer­taines de ces ques­tions sont entrées en réso­nance avec mon tra­vail de musi­cothérapeute. Ce sont ces années de ren­con­tre avec les autistes… Le corps, dans son bal­ance­ment, est sou­vent un grand métronome, et quelque­fois s’ajoute même un geste con­tinu de la main ou d’un objet qui est agité avec une vibra­tion elle aus­si métronomique. Dans l’espace aus­si des déplace­ments, charges et décharges du corps pour cette impos­si­ble parole. Mais il y a aus­si le son. Musique de bouche. Ces bruits de bouche, souf­fles, raclements de gorges, chuin­te­ments, halète­ments, téte­ments. Le cri, les cris. La voix. Motifs répéti­tifs, phras­es codées d’un disque rayé de la mémoire.

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Martine Venturelli
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Martine Venturelli
Martine Venturelli dirige l’Atelier Recherche Scène (1+1=3), qu’elle a fondé en 1998. Liant le travail...Plus d'info
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