C’EST AVEC ENTHOUSIASME qu’Alternatives théâtrales avait suivi le changement d’orientation du Théâtre de La Monnaie à Bruxelles lors de l’arrivée de Gérard Mortier en 1981.
Deux ans plus tard, sous le titre L’opéra aujourd’hui, le numéro 16 – 17 de notre revue analysait le renouveau apparu sur les grandes scènes lyriques européennes dans les domaines de la mise en scène, de la dramaturgie, de la lecture et de l’exécution musicales, qui trouvait à Bruxelles une sorte d’accomplissement dans les œuvres anciennes et nouvelles présentées et créées à l’opéra national.
Bernard Foccroulle, puis Peter de Caluwe allaient poursuivre, chacun avec sa sensibilité propre, une aventure qui aura permis à une génération d’artistes, essentiellement venus du théâtre mais aussi d’autres univers artistiques (la danse, le cinéma, les arts plastiques), d’expérimenter de nouvelles formes de mises en scène. En même temps un autre public voyait le jour grâce à la volonté des directeurs de briser le carcan d’un certain élitisme social propre à l’opéra et l’ouverture à de nouvelles catégories de spectateurs, particulièrement les jeunes, les artistes, les intellectuels.
Près de trente ans après ce numéro « historique », il nous a semblé intéressant d’interroger à nouveau les enjeux de l’opéra aujourd’hui, fortement bousculé, comme l’ensemble de la société européenne par la crise économique et politique et plus profondément celles des valeurs qui la sous-tendent.
Isabelle Moindrot et Alain Perroux, à qui nous avons confié la coordination de cette livraison, ont choisi d’analyser et de présenter des metteurs en scène qui ont marqué la scène lyrique de ce début du xxr° siècle.
On ne retrouvera pas ici ceux qu’Isabelle Moindrot dans une introduction remarquable à cet ouvrage, appelle les « devanciers » toujours actifs (les Chéreau, Wilson, Ronconi, Marthaler…) même si leur influence et leurs mises en scène restent déterminantes, mais leurs héritiers qui dans des formes nouvelles, souvent fragmentées, font part de leurs inquiétudes et de leurs aspirations.
Ces artisans de la mise en scène lyrique contemporaine sont-ils marqués par leur origine culturelle dans une Europe si difficile à construire ? Alain Perroux en nous faisant traverser l’Allemagne, l’Italie, la Grande-Bretagne et la France montre la diversité des mises en scène liées à une histoire et à un patrimoine artistique national et particulier ; mais il souligne en même temps avec pertinence que les grands créateurs imposent leur style par delà les codes et les habitudes.
Cette publication présente et analyse les démarches attistique de metteurs en scène, musiciens, auteurs et vidéastes mais leur donne aussi la parole. Ce sont eux qui font vivre l’opéra aujourd’hui : Philippe Boesmans, Romeo Castellucci, Martin Crimp, Krzysztof Warlikowski, Denis Guéguin, Stephan Herheim, William Kentridge, Robert Lepage, Jossi Wieler, Sergio Morabito, Katie Mitchell, Marc Minkowski, Joël Pommerat, Alain Platel, Olivier Py, Jean-François Sivadier, Dimitri Tcherniakov, Ivo Van Hove.…
Comme en écho à cette traversée dans la mise en scène d’opéra, des textes singuliers nous emmènent dans l’univers de la voix au théâtre chez Christine Dormoy, Claude Merlin, Thomas Ostermeier, She She Pop, Claude Régy et Martine Venturelli.

Jean-Marie Piemme définissait la dramaturgie comme une « tentative permanente pour nouer le savoir et Le sensible dans un jeu signifiant élaboré pour et sous le regard de l’autre ».
Nous avons eu la chance pour publier ce numéro d’obtenir le soutien d’un centre de création artistique, le festival d’Aix-en-Provence, et du laboratoire des Arts et Médiations humaines de l’université Paris 8.
Qu’ils en soient ici remerciés.