Nous publions ici l’intervention que Michèle Fabien a prononcée au théâtre Marni en septembre 1999, peu avant sa disparition, lors de la manifestation organisée par l’Académie Expérimentale des Théâtres sur Pasolini.
J’AI ÉTÉ RAVIE d’entendre Laura Betti dire à propos de Pasolini : il faut tout lire. Les auteurs comme les peintres ou les metteurs en scène ont des univers obsessionnels. Les mêmes thèmes se répètent mais à chaque fois transformés. C’est pourquoi lire les poèmes de Pasolini, par exemple, éclaire son théâtre, tout comme probablement lire son théâtre éclaire ses poèmes. Moi, je n’ai pas tout lu. Parce que faire la dramaturgie d’une pièce, ce n’est pas écrire une thèse de doctorat sur l’œuvre de son auteur. Le travail est différent, d’une autre durée. Je ne suis donc pas une spécialiste de Pasolini, mais j’ai tout simplement essayé, avec le metteur en scène, Marc Liebens et les acteurs, Nathalie Cornet et Dominique Boissel de comprendre la pièce ORGIE que nous avons montée en 1988.
Je suis par contre moins d’accord avec Laura Betti lorsqu’elle dit que son théâtre est poésie, qu’il est poésie, poésie. Je m’explique : « poésie » est un mot que je trouve personnellement très ambigu. Ça peut désigner des choses très belles, sublimes et magnifiques, mais quand c’est employé par rapport au théâtre, c’est souvent dans un sens péjoratif pour dire que le propos est verbeux ; ça sert d’alibi pour justifier les interprétations les plus aberrantes, ou bien Le ton déclamatoire du comédien.
Or je pense que le théâtre de Pasolini est un vrai théâtre, un théâtre avec des enjeux, avec une parole concrète. Que la poésie relève aussi de l’oralité et qu’elle soit écrite pour être dite, c’est une chose, mais le théâtre est fait pour être joué, et jouer c’est — entre autres choses — introduire les enjeux du texte dans son propre corps et les ressortir par la parole.
Mon travail consiste donc à trouver les enjeux de la parole : pourquoi est-ce qu’un personnage dit ceci et comment est-ce qu’il le dit.
J’ai choisi de vous parler du théâtre de Pasolini en général en prélevant deux grands thèmes — il y en aurait d’autres — qui se trouvent dans bon nombre de pièces sous des éclairages différents.
Mais avant de commencer je voudrais attirer l’attention sur la difficulté de classer les pièces de Pasolini dans un ordre chronologique : s’il est vrai qu’on peut dire que BÊTE DE STYLE est sa dernière pièce, — il y a travaillé très longtemps, jusqu’à sa mort —, il a écrit toutes ses autres pièces en 1964 – 65, après une maladie, pendant une convalescence. Alors comment savoir s’il les a écrites dans un ordre, ou s’il ne Les a pas plutôt écrites un peu toutes en même temps, les retravaillant ensuite séparément ?
Les exemples que je prendrai ne suivront donc pas un ordre chronologique, mais seront appelés en fonction du thème abordé.

