Traduire le Théâtre de Pier Paolo Pasolini avec Michèle Fabien
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Traduire le Théâtre de Pier Paolo Pasolini avec Michèle Fabien

Entretien avec Titina Maselli

Le 22 Juin 2004
Francine Landrain et Dominique Boissel dans QUARTETT d’'Heiner Müller, mise en scène Marc Liebens. Photo: John Vink.
Francine Landrain et Dominique Boissel dans QUARTETT d’'Heiner Müller, mise en scène Marc Liebens. Photo: John Vink.
Francine Landrain et Dominique Boissel dans QUARTETT d’'Heiner Müller, mise en scène Marc Liebens. Photo: John Vink.
Francine Landrain et Dominique Boissel dans QUARTETT d’'Heiner Müller, mise en scène Marc Liebens. Photo: John Vink.
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Michèle Fabien-Couverture du Numéro 63 d'Alternatives ThéâtralesMichèle Fabien-Couverture du Numéro 63 d'Alternatives Théâtrales
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TITINA MASELLI : J’ai ren­con­tré Michèle Fabi­en lorsque Marc Liebens met­tait en scène QUARTETT d’Hein­er Müller : il m’avait demandé d’en faire la scéno­gra­phie.
Dès la pre­mière fois que j’ai vu Michèle, elle m’a sem­blé pleine d’in­tel­li­gence, mais pas seule­ment ; pleine de choses à dire aus­si. Mais je n’ai saisi la com­plex­ité du per­son­nage qu’en la revoy­ant ensuite à Brux­elles, dans son envi­ron­nement fam­i­li­er. Et puis, à nou­veau à Brux­elles, j’ai eu l’occasion de voir une mise en scène de JOCASTE. J’ai beau­coup admiré la pièce.
Elle m’a pro­posé un jour de revoir sa tra­duc­tion d’AFFABULAZIONE de Pier Pao­lo Pasoli­ni. Nous avons ensuite tra­vail­lé sur PYLADE. Il s’agis­sait de ren­dre en français l’insistance du style de Pasoli­ni. La tra­duc­tion que Michèle avait faite était par­faite au niveau du sens, mais on ne perce­vait pas le ton obstiné qui est pro­pre à Pasoli­ni. Il dit la phrase avec une cer­taine obsti­na­tion qui est dif­fi­cile à percevoir pour un lecteur de langue française. C’est là dessus que nous avons tra­vail­lé à Brux­elles, puis à Rome. Je garde un excel­lent sou­venir de nos séances de tra­vail. J’avais affaire à une femme qui com­pre­nait aus­sitôt ce que je voulais dire et accep­tait sim­ple­ment les mod­i­fi­ca­tions. Michèle me lisait sa tra­duc­tion morceau par morceau et moi, je reli­sais l’o­rig­i­nal et je pro­po­sais des mod­i­fi­ca­tions ; nous avan­cions ain­si. Elle me lisait : « Je veux…» et je la repre­nais : « Moi, je veux…» La langue de Pasoli­ni tra­vaille sur la répéti­tion et sur le déplace­ment de groupes de mots : un com­plé­ment d’objet vient se plac­er en tête de phrase quand il est d’habitude à la fin, par exem­ple. Je me suis ren­due compte à quel point le français et l’i­tal­ien fonc­tion­naient dif­férem­ment. Il fal­lait absol­u­ment que je les dis­tan­cie. Le français est moins incisif que l’i­tal­ien, lui plus impul­sif.
Dans ce tra­vail on ne retrou­vait rien de ce qu’é­tait l’homme Pasoli­ni : il avait une voix fluette et dis­cur­sive quand son écri­t­ure grondait comme un vol­can. Je n’avais donc pas du tout dans l’or­eille la per­son­ne Pasoli­ni que j’avais con­nue à Rome dans les années 1960.
Pasoli­ni était un homme de let­tres, raf­finé, il a com­mencé à écrire en dialecte, comme un philo­logue le ferait, non pas pour sat­is­faire un pen­chant au pit­toresque. Il n’avait rien du scep­ti­cisme, de l’ironie, de la suff­i­sance dés­abusée des gens de let­tres. Il écrivait pour dire les choses. On pour­rait presque par­ler de naïveté à son égard en oppo­si­tion avec l’at­ti­tude blasée qu’af­fec­taient la plu­part des gens de let­tres à cette époque. Quand Pasoli­ni sur­git, au début des années 1960, la grande vogue des thèmes soci­aux était déjà révolue. Tout ce qui avait été l’aspi­ra­tion néoréal­iste engagée était épuisée. Le ques­tion­nement social alors était abor­dé avec dis­tance. Or Pasoli­ni, avec une grande naïveté, pleine d’obstination et de force, a réim­posé un regard franc et direct, vierge, sur ces thèmes. Sans emphase, avec l’efficacité des choses prim­i­tives.
Je voy­ais quelle atten­tion Michèle por­tait à ce que j’essayais de soulign­er de la façon dont écrivait Pasoli­ni. Elle l’entendait comme un écrivain. Je ne fai­sais qu’essayer de traduire comme un lecteur le ferait la vio­lence et la force du dis­cours, et elle le rece­vait en écrivain : avec une curiosité avide d’en­seigne­ment. 

Pro­pos recueil­lis par Julie Bir­mant.

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