Patrick Beckers:Dépaysage

Patrick Beckers:Dépaysage

Le 24 Avr 1981

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Échange belgico-italien-Couverture du Numéro 8 d'Alternatives ThéâtralesÉchange belgico-italien-Couverture du Numéro 8 d'Alternatives Théâtrales
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Après le rêve d’un théâtre sans lim­ites. mêlant l’im­age, la musique. le corps, la voix, d’un théâtre col­lec­tif faisant appel à la par­tic­i­pa­tion de tous. d’un théâtre qui aurait aboli les fron­tières de l’art et de la vie (de la scène et du pub­lic}, voic le temps des affir­ma­tions sin­gulières, frag­men­tées, des gestes ramenés à un corps qui n’est que ce corps-ci, par­ti­c­uli­er, pris à ses lim­ites.

Au moment où retombe la vague d’in­ven­tion qui avait boulever­sé le théâtre depuis les années soix­ante, au moment où les con­cepts d’a­vant-garde et même de moder­nité sont malades d’in­fla­tion, des démarch­es soli­taires comme celle de Patrick Beck­ers nous rap­pel­lent dis­crète­ment la saveur d’un nou­veau presque intem­porel.
Après le rêve d’un théâtre sans lim­ites, mêlant l’im­age, la musique, le corps, ta voix, d’un théâtre col­lec­tif faisant appel à la par­tic­i­pa­tion de tous, d’un théâtre qui aurait aboli les fron­tières de l’art et de la vie (de la scène et du pub­lic), voici le temps des affir­ma­tions sin­gulières. frag­men­tées. des gestes ramenés à un corps qui n’est que ce corps-ci, par­ti­c­uli­er, puis à ses lim­ites. Cha­cun se retrou­ve seul, pub­lic et comé­di­en ren­voyés dos à dos. ou plutôt face à face, avec une con­science plus aiguë que jamais non de la déri­sion mais du dérisoire. A la croy­ance dans les pos­si­bil­ités infinies du corps libéré suc­cède la con­science de son infir­mité et de sa mal­adresse. La fusion n’a pas eu lieu : la scène envahie un moment par la nos­tal­gie du monde naturel (le théâtre du corps) se retrou­ve presque vide c’est le temps (qui n’a pas cessé, à vrai dire) des Farid Chope!, des Car­los Traf­fic. des Patrick Beck­ers. bricolant cha­cun à sa manière un sem­blant de vie qu’ils trim­bal­lent avec ses acces­soires dans une petite valise. C’est un temps d’hommes — de femmes si on pense à Zouc — empêtrés d’eux-mêmes, empêtrés d’habits, d’ob­jets, de tics, tenus aux basques par le quo­ti­di­en.
Patrick Beck­ers emporte sur son ile quelques objets sauvés du naufrage, de ce naufrage qui fait de toute vie une survie. Nou­veau Robin­son, il ne con­stru­it pas sa cabane avec tes ressources d’une lux­u­ri­ante végé­ta­tion, mais avec les résidus d’une cul­ture com­mune, rejetés sur sa plage : une Image de Marylin, un seau, un oiseau de papi­er, un pois­son en plas­tique sur des roulettes, un cha­peau, une veste… Aucune com­plai­sance pour­tant dans le sor­dide : ces objets ne sont pas des déchets.

Ce sont des objets de sec­onde main
un peu usagés seule­ment mais qui n’ont pas atteint ce dégré de désagré­ga­tion qui per­me­t­trait de les livr­er à des méta­mor­phoses sub­jec­tives. Bien au con­traire, ils s’im­posent dans leur réal­ité exigeante, ils com­man­dent, et on ne peut que leur répon­dre.

Les objets sont des acteurs Ce n’est pas le comé­di­en qui les choisit mais il est en quelque sorte choisi par eux qui se met­tent sur sa route. Patrick Beck­ers s’or­gan­ise donc avec ce qui lui arrive. L’acte théâ­tral n’est pas pour lui de maîtrise mais de disponi­bil­ité : c’est une récep­tiv­ité organ­isée de l’ac­ci­dent. Son spec­ta­cle est d’ailleurs un jeu d’ac­ci­dents et d’in­ci­dents mis bout à bout, enchainés dans un mou­ve­ment qui les laisse à leur hétérogénéité. qui ne tente pas de réduire leur dis-loca­tion, leur appar­te­nance à des lieux dis­parates. Patrick Beck­ers ne décide pas de son théâtre : le théâtre lui tombe dessus.

C’est comme si tout à coup j’é­tais enceint
Il peut rester des mois à végéter, à atten­dre, à vivre. Il est boud­dhiste pen­dant qua­tre ans, il se.glisse dans l’om­bre de Robert Wil­son, il se met à l’é­cole du Mime Marceau, du clown Dim­itri, il .se mêle à la Mar­na d’Am­s­ter­dam, il passe trois mois à Bali. Et puis soudain l’en­vie de faire lui-même du théâtre le prend ou le reprend : c’est le coup de foudre, et il est habité. Alors il se remet à fureter, à bouger, à par­ler. Il essaie tout seul ses numéros et il s’éprou­ve dans un regard ami. Il faut qu’il accouche de cette chose qu’on nomme un spec­ta­cle et qui est pour lui aux antipodes du spec­tac­u­laire. L’im­pro­vi­sa­tion se fixe peu à peu dans une forme qua­si défini­tive mais qui reste sen­si­ble aux inflex­ions du pub­lic.
Il joue, il jon­gle, sans que ses gestes et ses objets pren­nent valeur expres­sion­niste ou
sym­bol­ique. L’hu­mour déjoue toute logique ou crée une logique de l’il­logique.

L’hu­mour donne aux choses une évi­dence : dans l’hu­mour elles s’im­posent, on ne peut pas en faire n’im­porte quoi Le tra­vail de Patrick Beck­ers est aux antipodes de la per­for­mance. La per­for­mance, c’est pou­voir aller jusqu’au dépasse­ment des lim­ites, mon­tr­er qu’on peut faire n’im­porte quoi avec son corps et avec les choses. Or ici, le corps prend au con­traire mesure de sa con­tin­gence, et de celle du petit monde auquel il peut avoir accès : Il fait avec. Il s’ag­it de s’en acco­mod­er plutôt que de le façon­ner.

Je par­le en chara­bia
Il a appris à par­ler avec Hen­ri Michaux, dont les textes ont per­mis sa pre­mière par­tic­i­pa­tion à un spec­ta­cle, du temps de ses études. Les mots sont des mots, une voix, des sonorités de plusieurs langues ou d’au­cune langue. Les mots sont aus­si des objets qui ne vien­nent pas rem­plir le silence mais le trouer, lais­sant autour d’eux de grands vides. Il faut détourn­er les mots de leur sens, dévoy­er leur héritage et
leur usage.

Déblo­quer le quo­ti­di­en

Déblo­quer le quo­ti­di­en, c’est un peu sa han­tise, Il l’a d’abord essayé comme mime, le vis­age peint en blanc, dans les rues de Brux­elles, d’Os­tende… Mais il neveut pas faire peur. ni vrai­ment rire. Il veut sur­pren­dre, il veut entr­er dans la ronde et faire entr­er ceux qu’il imite dans leur pro­pre ronde. Jouez avec moi. Je joue avec vous : accueillez moi.
Ensuite il a trans­porté son jeu sur une scène, parce qu’il veut que le jeu soit propo­si­tion plutôt qu’in­ter­ven­tion. Il se met en face de nous. Il n’in­ter­pelle plus directe­ment. au risque de vio­len­ter. Il accentue la dis­tance qui per­met d’ap­privois­er. Il se donne à voir. Il s’in­stalle bien calme­ment en face des regards.

La scène à l’i­tal­i­enne ne me dérange pas L’ar­chi­tec­ture a peu d’im­por­tance. L’e­space est créé par le tra­vail théâ­tral lui-même, le rap­port du geste et des objets. Quelque­fois même la dis­po­si­tion frontale est néces­saire : quand il porte un masque qui ne sup­porte pas le pro­fil. ou qui porte son pro­fil dans sa face.

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