En cette période de l’histoire qui conduit sur les routes des réfugiés aux quatre coins du monde, les Dialogues d’exilés trouvent aujourd’hui une nouvelle actualité.
Après plus d’une centaine de représentations de sa mise en scène de ce texte de Brecht, Herbert Rolland, directeur du Théâtre de la Vie, a invité à Bruxelles critiques et praticiens du théâtre pour réfléchir à la place qu’occupe l’œuvre du dramaturge allemand en ce début du XXIᵉ siècle.
Pour Philippe Ivernel, quand il affirme qu’« il n’y a qu’une limite aux doutes, c’est le désir d’agir », Brecht articule les rapports de la pensée (critique) et de l’action (politique). Partant de sa vision de la récente exposition conçue à Paris par Paul Virilio, Ce qui arrive, Philippe Ivernel note que la problématique de l’accident « se révèle en quelque sorte constitutive du théâtre épique ». Dans celui-ci, le découpage de l’action « offre une prise à partir de laquelle peut se mener l’exploration du possible et la construction du nouveau ». La principale question de notre temps devient alors, comme l’affirme Alain Badiou, celle « du courage affirmatif, de l’énergie locale ».
Yannic Mancel rappelle que les disciples de la première génération (Besson, Strehler, Sobel, Planchon) ont attiré notre attention sur « l’homme de plateau, le praticien, l’inventeur scénique qui, par ses trouvailles et son génie concret, au quotidien, nous a légué et transmis des principes riches d’enseignements… ». Effets de rupture dans la narration par la musique et le chant, changement de décor à vue, dialectique de l’acteur et du personnage (montrez que vous montrez), faire théâtre de tout, convocation des arts frères (cinéma, vidéo, graphisme) sont pour Yannic Mancel autant d’exemples d’une distanciation ludique et malicieuse qui provoque chez le spectateur un autre regard sur la réalité.
Chaplin et Brecht ont, pour Adolphe Nysenholc, bien des choses en commun. L’un et l’autre conjuguent avec virtuosité les genres du tragique et du comique. Les thématiques proches de Puntila et City Lights, du Dictateur et Grand-peur et misère du IIIᵉ Reich ou Arturo Ui. Qui de l’un influença plus l’autre ? Pour le dramaturge comme pour le cinéaste, « la distanciation n’est pas dans la marque ou la posture, mais dans la monstration ironique, dans le jeu qu’il y a entre l’acteur et le personnage (…). Et c’est de cet espace libre que peut se dégager un amusement, une ironie. »
Roumen Tchakarov, dans ce même ordre d’idées, rappelle que « pour Brecht, le personnage que joue le comédien n’est pas une personne réelle, un inconnu qui sort de la vie quotidienne, mais une fiction qui permet au spectateur de se confronter, de façon ludique, avec les processus dont l’auteur veut lui parler… ».
Rassemblés par Françoise Nice, les témoignages d’acteurs et de metteurs en scène qui clôturent ce dossier montrent à quel point Brecht a, aujourd’hui, de nombreux héritiers. Il intéresse autant qu’il irrite. Sa poésie est vivante, mêlant hédonisme et engagement, réflexion et sensualité.
Benno Besson aurait pu conclure cette rencontre, lui qui a écrit : « Quand je travaille, je suis d’abord comme un enfant dans son activité ludique ; ce n’est qu’ensuite que je suis un intellectuel dans son activité critique… »


