COMME BEAUCOUP de grands artistes à succès (tel un Tennessee Williams), Frank Castorf était très contesté au début de sa carrière qui débuta en RDA, probablement parce qu’il s’opposa aux visions habituelles et officiellement imposées et développa ses propres critères. Déjà au temps de la RDA, il faisait du théâtre politique sans compromis, sans se soucier de la ligne officielle développée par la bureaucratie au pouvoir, même si cela lui valut d’être expulsé de Berlin et de devoir travailler – toujours menacé par la censure – dans de petits théâtres de province. C’est là que Frank Castorf développa de façon systématique sa perception de l’interprétation des textes qui, aujourd’hui, lui vaut sa reconnaissance artistique et son succès dans toute l’Europe. Castorf ne fait que du théâtre d’actualité, même s’il met en scène des pièces d’autres époques. Sa façon d’aborder avec sérieux les grands classiques du passé n’est pas nostalgique et historisante, mais implique une confrontation de ces pièces avec le temps présent qui est le sien et celui du public – les textes doivent tenir face aux réalités environnantes. Frank Castorf est un élève de Brecht, tout au moins en ce qui concerne ses visions du réalisme et sa constatation que nous sommes assis dans le théâtre ici et maintenant, et pas dans celui d’HAMLET au Danemark ou du NEW ORLEANS de Kowalski.
Castorf traite ses textes avec un sérieux existentiel et sait que cela ne fonctionne qu’avec de vrais bons textes qui irritent et impressionnent au-delà de leur époque et qu’on appelle bien pour cela des classiques. Castorf y range, à côté de Dostoïevski et de Boulgakov, des auteurs classiques des temps modernes tels que Sartre, Ibsen, et les auteurs américains Eugène O’Neill et surtout Tennessee Williams, qui a écrit des textes pratiquement parfaits dans leur forme et leur contenu – pièces qui n’ont pas seulement une importance historique, mais qui restent d’une grande actualité encore aujourd’hui. C’est ce que Frank Castorf essaie de démontrer lorsqu’il aborde ces textes avec son scénographe Bert Neumann. En transposant les histoires dans l’actualité et en les rapprochant de notre conscient d’aujourd’hui, les pièces retrouvent, en cas de réussite, la même force explosive qu’elles avaient probablement lors de leurs créations. Ce procédé est une façon légitime, tout comme la reconstruction historique scrupuleuse, de prendre les œuvres d’un auteur au sérieux – et c’est aussi une sorte de fidélité à l’original que de vouloir recréer avec des moyens d’interprétation d’aujourd’hui l’effet que la pièce a suscité lors de sa création, une tentative de gratter la patine et le déjà-vu que même les meilleures pièces prennent avec le temps et qui leur donne un goût daté, pour les rendre « frais ».
Frank Castorf étudie très attentivement les textes qu’il met en scène et il n’entreprend rien dans ses mises en scène qui ne leur correspondent pas d’une façon ou d’une autre, mais en tant qu’artiste il ne lui est pas possible de prendre moins au sérieux les structures profondes de l’œuvre comme il les interprète que les mots qui composent le texte que les personnages disent. C’est ainsi qu’il aborde les classiques de l’Antiquité, ou Shakespeare et aussi Tennessee Williams. La vitalité et l’efficacité de son travail sont l’effet d’une préparation minutieuse et de temps de répétitions relativement courts et à peine programmés, où la personnalité des acteurs est aussi importante que les personnages qu’ils interprètent. Castorf utilise les différents éléments qui font une mise en scène : les personnages, le texte, les acteurs, l’espace, les costumes, la musique, les éclairages et l’environnement, peut-être à la façon d’un peintre chinois qui pense pendant des années son image et la produit en un temps record, et apparemment sans aucune difficulté.