Le Théâtre de l’oc

Le Théâtre de l’oc

Le 27 Jan 2005
Valérie Van Nitsen et Christophe Bette-Vienne dans SUCH A BAD EXPERIENCE NEVER AGAIN (S.A.B.E.N.A.), création collective, mise en scène de Jean-Christophe Lauwers, Atelier Sainte-Anne, Bruxelles avril 1994. Photo Jorge León.
Valérie Van Nitsen et Christophe Bette-Vienne dans SUCH A BAD EXPERIENCE NEVER AGAIN (S.A.B.E.N.A.), création collective, mise en scène de Jean-Christophe Lauwers, Atelier Sainte-Anne, Bruxelles avril 1994. Photo Jorge León.

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Valérie Van Nitsen et Christophe Bette-Vienne dans SUCH A BAD EXPERIENCE NEVER AGAIN (S.A.B.E.N.A.), création collective, mise en scène de Jean-Christophe Lauwers, Atelier Sainte-Anne, Bruxelles avril 1994. Photo Jorge León.
Valérie Van Nitsen et Christophe Bette-Vienne dans SUCH A BAD EXPERIENCE NEVER AGAIN (S.A.B.E.N.A.), création collective, mise en scène de Jean-Christophe Lauwers, Atelier Sainte-Anne, Bruxelles avril 1994. Photo Jorge León.
Article publié pour le numéro
Jean Christophe Lauwers-Couverture du Numéro 84 d'Alternatives ThéâtralesJean Christophe Lauwers-Couverture du Numéro 84 d'Alternatives Théâtrales
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Mes chers amis,
si nous devions ten­ter de don­ner une déf­i­ni­tion à nos désirs, allons‑y, du moins, moi, je me jette à l’eau. Je n’ai pas envie de faire du théâtre, je n’ai pas envie d’être un artiste, encore moins met­teur en scène. J’ai juste besoin de faire le Théâtre de l’oc, de trou­ver, d’inventer mon lan­gage, de le con­fron­ter aux vôtres et de les trans­former en une langue com­mune, la langue de l’oc. C’est mon objec­tif, c’est mon envie. Croyez bien que je ferai tout pour attein­dre cet objec­tif, même si l’entièreté des jeunes artistes me crachent au vis­age, même si je dois me faire autant d’ennemis qu’il y a de mafieux en Russie. Je n’ai pas l’illusion que cette ambi­tion soit atteignable dans le paysage actuel de la Bel­gique, je sais que la com­pro­mis­sion ou la col­lab­o­ra­tion avec les grandes insti­tu­tions de notre pays n’est pas la solu­tion, je sais que nous n’avons aucun espoir d’être inté­gré au paysage clas­sique du théâtre, je sais que nous n’aurons jamais assez d’argent, je sais que nous allons être de moins en moins aimés par nos pairs (pères), mais je suis prêt à pren­dre ce risque. La solu­tion pour le Théâtre de l’oc, c’est de tout créer lui-même, de s’inventer ses insti­tu­tions, de créer son pro­pre paysage théâ­tral.
C’est une solu­tion qui paraît sim­ple, facile, effi­cace, mais c’est aus­si une solu­tion sui­cidaire, démente et imbé­cile si nous n’avons pas l’assurance que cha­cun d’entre nous est prêt à s’investir totale­ment dans l’aventure, si nous n’avons pas l’assurance que cha­cun défend la même envie, la même idée, le même dis­cours.
Nous devons avoir l’assurance que cha­cun d’entre nous a la pas­sion de son méti­er et est prêt à faire des sac­ri­fices financiers, pro­fes­sion­nels et per­son­nels pour attein­dre notre objec­tif. Nous devons être sûrs que cha­cun d’entre nous est fier du nom « Théâtre de l’oc », nous devons être sûrs que cha­cun a con­science de sa sig­ni­fi­ca­tion.
Ceux qui nous ont rejoints au fil des années (4 déjà) ont, j’espère, con­science que nous n’avons jamais émis aucune promesse à leur égard. Je n’ai, pour ma part, dit à per­son­ne, s’il s’agit d’un acteur par exem­ple : « Viens et tu auras des rôles ». Il n’y a pas des gens qui sont là pour jouer, d’autres pour met­tre en scène, des troisièmes pour faire de la tech­nique, il n’y a que des gens qui sont là pour con­stru­ire le Théâtre de l’oc, peu importe le moyen.
Nous ne sommes pas dans la con­fig­u­ra­tion habituelle d’un théâtre, d’une com­pag­nie : il y a qua­tre met­teurs en scène poten­tiels, nous ne sommes pas là pour en servir un spé­ci­fique­ment, il n’y a pas, et il n’y aura jamais de maître, de gourou, il ne doit jamais y avoir de jeu per­son­nel dans notre groupe, sinon il sera mort d’ici peu.
À plusieurs repris­es, j’ai enten­du lors de réu­nions ou de con­ver­sa­tions de cafés que le Théâtre de l’oc igno­rait les réal­ités de la vie, que pour un comé­di­en, jouer était aus­si un moyen de sub­sis­tance et que des propo­si­tions, ça ne se refuse pas.
Je suis d’accord, le présent, le repas du soir, c’est la réal­ité. Mais la réal­ité, c’est aus­si et surtout l’avenir, le présent de demain. Si le Théâtre de l’oc con­tin­ue à s’affirmer comme un théâtre reven­di­catif, tran­chant, inno­vant, on ne peut pas se per­me­t­tre d’aller dans des direc­tions opposées, de courir après l’emploi sans y regarder de plus près, car ain­si, nous per­drons notre crédit, notre sérieux, et nous n’aurons aucun avenir.
Jean-Marie Piemme me dis­ait l’autre jour : « Ou dans cinq ans le Théâtre de l’oc est le plus impor­tant de Bel­gique et est amené à pren­dre des déci­sions impor­tantes, ou il sera mort, et défini­tive­ment. » Il avait rai­son, il con­naît son sujet ; si nous nous dis­per­sons, plutôt qu’affirmer notre iden­tité, nous serons morts.
Imag­inez un comé­di­en qui joue dans S.A.B.E.N.A., qui défend le J’accuse qu’interpréta Manuel et qui s’en irait quelques temps plus tard jouer au Théâtre du Parc. Nous sommes tous d’accord pour dire que ce serait un rigo­lo, un triste con, et nous ne pour­rions rejoin­dre le con­cert de ceux qui se ravi­ront à hurler à l’escroquerie idéologique. Rap­pelez-vous que rarement une com­pag­nie ne fit l’objet d’autant de con­tro­ver­s­es que la nôtre ; nous avons des enne­mis (à com­mencer par l’ensemble des États généraux), atten­tion donc, soyons con­scients du dis­cours que nous tenons !
Le Théâtre de l’oc n’a rien d’autre à vous offrir que la révéla­tion de vous-même dans le souci de révéler un pro­jet artis­tique com­mun. Il n’y a aucun con­trat qui nous lie sinon celui de l’amitié, ou de l’amour. Ceux qui n’ont pas envie d’être fidèles, hon­nêtes, qui n’ont pas envie de vivre cette aven­ture, ceux qui préfèrent l’instant présent à l’avenir proche et à sa con­struc­tion n’ont rien à faire avec moi.
Lorsque je par­le de fidél­ité, je ne dis pas que vous devez tra­vailler exclu­sive­ment avec l’oc, mais quoique vous fassiez, vous réfléchissiez à l’oc.
Dans le même sens, celui de la fratrie, nous ne devons rien nous cacher, si ce n’est le secret inévitable et vital à tout pro­jet artis­tique en cours d’élaboration, qui nous empêche de com­mu­ni­quer avec « l’extérieur » lorsque nous sommes en péri­ode de tra­vail de plateau, nous devons nous tenir au courant de nos pro­jets respec­tifs in ou extra-muros. C’est une ques­tion d’honnêteté.
Mais je n’arrête pas de par­ler de ce fameux dis­cours artis­tique com­mun sans jamais le définir claire­ment. C’est ce que j’avais ten­té de faire dans le pre­mier Man­i­feste de l’oc, mais le temps a prob­a­ble­ment effacé de vos mémoires le fonde­ment théorique de notre com­pag­nie. Voici en quelques points ce que je sens comme lien « théorique et pra­tique » entre nous :

Frédéric Lammerant dans SUCH A BAD EXPERIENCE NEVER AGAIN (S.A.B.E.N.A.), création collective, mise en scène de Jean-Christophe Lauwers, Atelier Sainte-Anne, Bruxelles avril 1994. Photo Jorge León.
Frédéric Lam­mer­ant dans SUCH A BAD EXPERIENCE NEVER AGAIN (S.A.B.E.N.A.), créa­tion col­lec­tive, mise en scène de Jean-Christophe Lauw­ers, Ate­lier Sainte-Anne, Brux­elles avril 1994. Pho­to Jorge León.

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Jean-Christophe Lauwers

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