De la première ponte, ravaudage congru d’éléments hétérogènes, doit naître l’oc.
L’oc est une substance abrasive particulièrement rare.
Elle ne supporte que l’exigence, la passion et le sulfate de soude,
trois redoutables abstergents.
C’est pourquoi nous sont antinomiques
la passivité,
la tiédeur,
l’indolence,
dans ou hors de l’oc.
L’oc est le moyen de nous défaire de ce monde isotone et de le vriller à sa propre langueur.
Nous en défaire d’abord pour nous-mêmes ;
les spectateurs viendront
— « Le peuple manque », disait Paul Klee — et l’oc les anticipe dans sa bouche, dans ses muscles,
ses conduits, ses alvéoles industrieuses…
Ce manifeste pour un oc qui ne sera peut-être jamais est une ineptie idéaliste qui aspire par le haut.
Comme telle, elle doit et veut persévérer dans son être qui est désir inassouvi et rêve naïf de la « vraie vie » qui, comme on sait, est toujours ailleurs.
Peu importe que cette ineptie se réalise
Peu importe si elle doit conduire à de grandes déceptions, avec un cortège panique d’outrances et de nausées — et quand bien même sentirait-elle le roussi, le sang, la chaise électrique — elle n’a pas pour vocation de s’assouvir, mais de forcer l’oc à donner de la gueule et obliger son contraire à lui rendre des comptes.
L’oc ne revient pas
Il fuse
Il détonne
Parce que parmi les porcs
Il dépose sa vitalité comme un scandale et le scandale comme un fruit mûr dans ce parc d’âmes laitières — littérature prolixe, coulis d’ego, troupeau stéatopyge de ceux qui prétendront toujours nous accointer, nous beurrer dans leur crotte — et qui paissent en paix à l’abri de leur conscience.
L’oc doit provoquer leur débâcle stomachique !
L’oc est la colle-à-mouches
c’est la cuiller à merde
le touilleur de certitudes
la parole-contre
l’éplucheur de l’oignon métaphysique
l’équarrisseur de la Raison
et le canon à patates du confort nihiliste
L’oc est ICONOCLASTE
et pourtant il s’érige
et de cette érection il s’exhalera un poison séminal
foutrement concentré,
un bacille purulent et sûr.
L’oc broie de l’être dans son être
et son corps fume
et de cette hécatombe crématoire il naît des créatures
rares, aussi belles
qu’incompressibles.
Beaucoup de contradictions,
beaucoup de conflits, de dissonances doivent
s’agiter dans
l’oc
et persister malgré la gamme qu’on voudra
lui faire jouer.
Les metteurs en pièces de l’oc ne supporteront aucune substance émolliente car ils crisperont hargneusement leur conscience en un tortil de nerfs équarris, afin qu’une exigence artistique sans compromis leur brûle le revers, le bois, la viande, les glaires, le sinciput, et les « retourne en poésie », l’âme tassée, rêche et joyeuse comme une hyène, produire constamment sa corrosion.
Certes, les êtres brûlent dans l’oc en parfaits
combustibles,
mais ils crépitent et ils dégagent
tous ces bûchers valent mieux qu’une consensualité
frileuse où rien ne
luit.
L’oc est un puissant oxyde destiné à mordre — quoi : le fer, le cœur, les nerfs, l’écorce, l’ultime blindure. Je voudrais que tous ceux qui ne sont pas prêts à subvertir leurs propres certitudes, à décagouler leur conscience, par un ordre blasphématoire et néfaste de pensées, d’actions, de cris indécents, de rires percolatoires, d’alacrité exaspérante, de rage atavique, de déconnades, de réflexion forcenée, obstinante, je voudrais que ceux-là n’abondent ni ne viennent dans le ventre âcre de l’oc qui, tôt ou tard, les rancira,
les pourrira jusqu’à l’aorte.
L’acteur de l’oc est un acteur qui pense
comme pensait l’acteur de Meyerhold
Il pense donc
et il réfute l’idée d’un acteur imbécile
pupille de tout tuteur
béni-oui-oui de tout contrat professionnel
content d’un peu de qualité
l’acteur de l’oc n’est pas
l’acteur label polymorphe
modèle convertible
prêt à épouser le moule
de toute doctrine et de tout engagement artistique
ou politique
L’acteur de l’oc exècre un jeu fait de pure émotion
et d’instinct, il
n’accepte pas le pouvoir hypnotique de l’acteur
subliminal.
Le théâtre d’identification le fuit comme un groupe
à risque terriblement
contagieux.
Car nous sommes les contempteurs des dégueulis
mimétiques
et notre infection est avant tout épique et politique
résolument poétique aussi — au sens maladif
du terme :
je veux dire monstrueusement sensible, spumeuse,
tributaire d’une folie.
Puisse l’art de l’acteur oc sentir l’incendie !
Ses incarnations seront carnivores
Elles mangeront autant sa propre viande
que celte des spectateurs
Il ne faut fuir la possession que pour devenir un
instant le siège d’un mal incurable et féroce, afin qu’on
ne distingue plus, parmi nos vomissures esthétiques,
les morceaux de poulpe mangés la veille et le visage
de ce que nous sommes.

