Manifeste pour un oc de l’oc

Manifeste pour un oc de l’oc

Le 27 Jan 2005

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Jean Christophe Lauwers-Couverture du Numéro 84 d'Alternatives ThéâtralesJean Christophe Lauwers-Couverture du Numéro 84 d'Alternatives Théâtrales
84
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De la pre­mière ponte, ravaudage con­gru d’éléments hétérogènes, doit naître l’oc.
L’oc est une sub­stance abra­sive par­ti­c­ulière­ment rare.
Elle ne sup­porte que l’exigence, la pas­sion et le sul­fate de soude,
trois red­outa­bles abster­gents.

C’est pourquoi nous sont antin­o­miques
la pas­siv­ité,
la tiédeur,
l’indolence,
dans ou hors de l’oc.

L’oc est le moyen de nous défaire de ce monde iso­tone et de le vriller à sa pro­pre langueur.
Nous en défaire d’abord pour nous-mêmes ;
les spec­ta­teurs vien­dront
— « Le peu­ple manque », dis­ait Paul Klee — et l’oc les anticipe dans sa bouche, dans ses mus­cles,
ses con­duits, ses alvéoles indus­trieuses…

Ce man­i­feste pour un oc qui ne sera peut-être jamais est une inep­tie idéal­iste qui aspire par le haut.
Comme telle, elle doit et veut per­sévér­er dans son être qui est désir inas­sou­vi et rêve naïf de la « vraie vie » qui, comme on sait, est tou­jours ailleurs.
Peu importe que cette inep­tie se réalise
Peu importe si elle doit con­duire à de grandes décep­tions, avec un cortège panique d’outrances et de nausées — et quand bien même sen­ti­rait-elle le rous­si, le sang, la chaise élec­trique — elle n’a pas pour voca­tion de s’assouvir, mais de forcer l’oc à don­ner de la gueule et oblig­er son con­traire à lui ren­dre des comptes.

L’oc ne revient pas
Il fuse
Il détonne
Parce que par­mi les porcs
Il dépose sa vital­ité comme un scan­dale et le scan­dale comme un fruit mûr dans ce parc d’âmes laitières — lit­téra­ture pro­lixe, coulis d’ego, trou­peau stéatopy­ge de ceux qui pré­ten­dront tou­jours nous accoin­t­er, nous beur­rer dans leur crotte — et qui pais­sent en paix à l’abri de leur con­science.
L’oc doit provo­quer leur débâ­cle stom­achique !
L’oc est la colle-à-mouch­es
c’est la cuiller à merde
le touilleur de cer­ti­tudes
la parole-con­tre
l’éplucheur de l’oignon méta­physique
l’équarrisseur de la Rai­son
et le canon à patates du con­fort nihiliste

L’oc est ICONOCLASTE
et pour­tant il s’érige
et de cette érec­tion il s’exhalera un poi­son sémi­nal
foutrement con­cen­tré,
un bacille puru­lent et sûr.
L’oc broie de l’être dans son être
et son corps fume
et de cette hécatombe cré­ma­toire il naît des créa­tures
rares, aus­si belles
qu’incompressibles.

Beau­coup de con­tra­dic­tions,
beau­coup de con­flits, de dis­so­nances doivent
s’agiter dans
l’oc
et per­sis­ter mal­gré la gamme qu’on voudra
lui faire jouer.

Les met­teurs en pièces de l’oc ne sup­port­eront aucune sub­stance émol­liente car ils crisper­ont hargneuse­ment leur con­science en un tor­til de nerfs équar­ris, afin qu’une exi­gence artis­tique sans com­pro­mis leur brûle le revers, le bois, la viande, les glaires, le sin­ciput, et les « retourne en poésie », l’âme tassée, rêche et joyeuse comme une hyène, pro­duire con­stam­ment sa cor­ro­sion.
Certes, les êtres brû­lent dans l’oc en par­faits
com­bustibles,
mais ils crépi­tent et ils déga­gent
tous ces bûch­ers valent mieux qu’une con­sen­su­al­ité
frileuse où rien ne
luit.

L’oc est un puis­sant oxyde des­tiné à mor­dre — quoi : le fer, le cœur, les nerfs, l’écorce, l’ultime blind­ure. Je voudrais que tous ceux qui ne sont pas prêts à sub­ver­tir leurs pro­pres cer­ti­tudes, à décagouler leur con­science, par un ordre blas­phé­ma­toire et néfaste de pen­sées, d’actions, de cris indé­cents, de rires per­co­la­toires, d’alacrité exas­pérante, de rage atavique, de décon­nades, de réflex­ion forcenée, obsti­nante, je voudrais que ceux-là n’abondent ni ne vien­nent dans le ven­tre âcre de l’oc qui, tôt ou tard, les ran­ci­ra,
les pour­ri­ra jusqu’à l’aorte.

L’acteur de l’oc est un acteur qui pense
comme pen­sait l’acteur de Mey­er­hold
Il pense donc
et il réfute l’idée d’un acteur imbé­cile
pupille de tout tuteur
béni-oui-oui de tout con­trat pro­fes­sion­nel
con­tent d’un peu de qual­ité
l’acteur de l’oc n’est pas
l’acteur label poly­mor­phe
mod­èle con­vert­ible
prêt à épouser le moule
de toute doc­trine et de tout engage­ment artis­tique
ou poli­tique
L’acteur de l’oc exècre un jeu fait de pure émo­tion
et d’instinct, il
n’accepte pas le pou­voir hyp­no­tique de l’acteur
sub­lim­i­nal.
Le théâtre d’identification le fuit comme un groupe
à risque ter­ri­ble­ment
con­tagieux.
Car nous sommes les con­temp­teurs des dégueulis
mimé­tiques
et notre infec­tion est avant tout épique et poli­tique
résol­u­ment poé­tique aus­si — au sens mal­adif
du terme :
je veux dire mon­strueuse­ment sen­si­ble, spumeuse,
trib­u­taire d’une folie.
Puisse l’art de l’acteur oc sen­tir l’incendie !
Ses incar­na­tions seront car­ni­vores
Elles mangeront autant sa pro­pre viande
que celte des spec­ta­teurs
Il ne faut fuir la pos­ses­sion que pour devenir un
instant le siège d’un mal incur­able et féroce, afin qu’on
ne dis­tingue plus, par­mi nos vom­is­sures esthé­tiques,
les morceaux de poulpe mangés la veille et le vis­age
de ce que nous sommes.

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