Éric Vigner ou l’art de la renaissance

Éric Vigner ou l’art de la renaissance

Le 12 Juil 2006
Éric Vigner et Marguerite Duras le 25 novembre 1993 lors de la création de LA PLUIE D'ÉTÉ programmée par le Quartz au Stella, ancien cinéma de Brest. Photo Alain Fonteray.
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Éric Vigner et Marguerite Duras le 25 novembre 1993 lors de la création de LA PLUIE D'ÉTÉ programmée par le Quartz au Stella, ancien cinéma de Brest. Photo Alain Fonteray.
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BONNE NOUVELLE : l’en­fant Ernesto est de retour. Jamais fini avec ce prodigue. Petit et immense, impos­si­ble à appréhen­der. Ernesto a poussé son coup de gueule inau­gur­al il y a trente-cinq ans, dans un album pour enfants1. Le seul jamais écrit par Mar­guerite Duras. Attaque : « Ernesto va à l’é­cole pour la pre­mière fois. Il revient. Il va tout droit trou­ver sa maman et lui déclare : « Je ne retourn­erai plus à l’é­cole. »La maman s’ar­rête d’é­plucher une pomme de terre. Elle le regarde : « Pourquoi ?» demande-t-elle. « Parce que !.… dit Ernesto : à l’école on m’ap­prend des choses que je ne sais pas. » Nous sommes dans l’im­mé­di­at après-1968, la fable est portée par ses rebondisse­ments. Feu sur le savoir ossi­fié ! Feu sur l’en­cadrement autori­taire ! Retour à la parole, insur­rec­tion­nelle. À l’instituteur qui demande à Ernesto com­ment il envis­age d’ap­pren­dre ce qu’il sait déjà, le gamin riposte : « En rachâchant. »

En 1982, Jean-Marie Straub et Danielle Huil­let s’emparent du texte pour un court-métrage titré :
EN RACHÂCHANT. L’im­age noir et blanc d’Alekan ancre dans un passé d’é­cole publique à la Dois­neau, alors que le por­trait du prési­dent, affiché au mur, est celui de Mit­ter­rand. La France achangé d’ère. Ernesto s’y retrou­ve hors con­jonc­ture, gosse teigneux à la Pim Pam Poum. Duras estime les Straub, mais pas assez pour leur aban­don­ner son descen­dant. Colère. Un com­pro­mis ne fait pas son affaire. Elle a engen­dré Ernesto, elle ne lais­sera per­son­ne d’autre accom­pa­g­n­er sa crois­sance. Elle réplique, en tour­nant à Vit­ry-sur-Seine un long- métrage : LES ENFANTS (1984), film mécon­nu, si atyp­ique qu’elle ten­tera d’en retarder la sor­tie pour éviter toute col­li­sion avec L’AMANT — Goncourt la même année. Ernesto pos­sède main­tenant un corps d’adulte, celui d’Axel Bogouslavsky, dont la sil­hou­ette frémis­sante d’éternel éton­né est une bonne indi­ca­tion sur la nature du prodi­ge.

Ernesto n’a pas fini de grandir. Sou­vent, Duras repense à lui, à sa famille. Elle se sent vague­ment coupable de les avoir aban­don­nés. Un jour, elle se met à écrire « à par­tir des lieux de tour­nage de Vit­ry ». C’est LA PLUIE D’ÉTÉ2. Ernesto a entre 12 et 22 ans, il est le fils aîné d’une famille de sept. Père (ita­lo) et mère (polono-judéo-cau­casi­enne) immi­grés. Si la phrase est tou­jours là : « Je retourn­erai pas à l’école parce que à l’école on apprend des choses que je ne sais bas », elle n’apparaît plus comme l’évidence énig­ma­tique d’un rabâcheur, mais un signe d’ou­ver­ture prophé­tique, la pre­mière man­i­fes­ta­tion qu’Ernesto est un élu (du peu­ple), qui décou­vre à l’école « l’inexistence de Dieu » tout en étant l’en­fant par excel­lence du Livre (un vol­ume à demi con­sumé qu’il dis­tille à ses « broth­ers et sis­ters »). Sans avoir jamais appris à lire, Ernesto cite L’ÉCCLÉSIASTE : « Tout est van­ité. et pour­suite du vent », avant de se retrou­ver devant « quelque chose comme la créa­tion de l’u­nivers », un big-bang qu’il décrit en chro­mos enfan­tines. Toute la chimie du monde et la philoso­phie alle­mande poussent Ernesto vers un final de savant errant, « un peu partout dans le monde, au hasard de l’im­plan­ta­tion des grandes cen­trales sci­en­tifiques de la terre ».

En 1996, sur la sug­ges­tion de Mar­cel Bozon­net de tra­vailler Duras avec les élèves de troisième année du Con­ser­va­toire supérieur d’art dra­ma­tique de Paris, Éric Vign­er tombe sur la phrase. Il lit LA PLUIE D’ÉTÉ. « Je ne m’at­tendais pas à décou­vrir une his­toire aus­si sim­ple, aus­si pop­u­laire, une sorte de con­te philosophique nav­iguant entre réc­it et scé­nario. Je suis tombé amoureux du livre de Duras comme l’en­fant Ernesto tombe amoureux du livre brûlé. LA PLUIE D’ÉTÉ brûlait en moi. J’en­trais en con­nex­ion avec quelque chose qui me fascine depuis longtemps et que je ne saurais nom­mer. » Pre­mière mise en scène au Con­ser­va­toire, devant Duras, présente à nou­veau et encore lorsque Éric Vign­er reprend LA PLUIE D’ÉTÉ dans un ciné­ma désaf­fec­té de l’agglomération brestoise. La roman­cière ne se lasse pas de ce nou­v­el Ernesto. Éric Vign­er ne lui a pris cet enfant que pour le lui ren­dre for­ci de théâtre, comme d’un séjour au grand vent des plateaux. En signe de grat­i­tude, elle demande au met­teur en scène « ce qu’il veut ». La réponse est prête : « HIROSHIMA MON AMOUR ».

Éric Vign­er va vivre dans ce don. Mais le scé­nario d’HI­ROSHI­MA MON AMOUR ne se donne pas d’avoir été sim­ple­ment don­né. Il ne se laisse même pas approcher. Pas encore. L’in­tu­ition d’HI­ROSHI­MA jus­ti­fait l’appel au don, son ampleur, mais ne le rendait pas disponible pour autant. HIROSHIMA indi­quait une des­ti­na­tion, néces­saire sans doute, mais qui ne serait pas atteinte sans fray­er un chemin, théâ­tral, vers elle, dans une série de voy­ages au long cours à tra­vers le ter­ri­toire durassien. Lorsque Duras meurt (1996), Éric Vign­er dirige une lec­ture d’HI­ROSHI­MA MON AMOUR par Valérie Dréville au Con­ser­va­toire. Dès lors, son com­merce vis­i­ble avec l’œuvre de la roman­cière s’intensifie. Il monte une lec­ture de LA DOULEUR avec Anne Bro­chet et Béné­dicte Vign­er (1998), met en scène LA BÊTE DANS LA JUNGLE dans l’adaptation de Duras au CDDB de Lori­ent (2001) puis SAVANNAH BAY à la Comédie française (2002). Au cours d’un pre­mier séjour au Japon, le met­teur en scène ren­con­tre le comé­di­en Atsuro Watabe : il a la con­vic­tion de tenir le Japon­ais de son HIROSHIMA, songe à le faire dia­loguer avec la Française Anne Bro­chet. Mais HIROSHIMA se refuse encore.

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