LES DERNIÈRES mises en scène de Rodrigo García, ET BALANCEZ MES CENDRES SUR MICKEY, APPROCHE DE L’IDÉE DE MÉFIANCE, et le diptyque BORGES / GOYA font déborder mots, phrases puis textes entiers sur fond de scène. L’affrontement avec l’horreur mondialisée se manifeste moins par la prise à partie physique de ses produits que par un geste d’écriture visible, la poétique d’un vidéaste affichiste. Des graphies se donnent comme matière, des écrans comme pages, et le théâtre comme un lieu de lecture troublé par l’exhibition de corps souffrants, un ciel du verbe dressé sur une terrestre scène de douleurs. Un écrivain – inspiré par la suspicion envers Borges – et un peintre – inspiré par les lumières de Goya – dialoguent de part et d’autre d’une barre que tenteraient d’effacer le passé d’écriture et le présent du jeu. Dans sa verticalité, le texte s’inscrit comme nécessaire et vaine domination de l’esprit sur l’horizontalité de corps qui continueront de rouler sans cesse sur eux-mêmes, dans une fatalité de lait, de miel ou de boue.
Dans l’avant-propos de ET BALANCEZ MES CENDRES SUR MICKEY, suivi de APPROCHE DE L’IDÉE DE MÉFIANCE 1, Rodrigo n’en rejette pas moins ses textes publiés comme des « restes » de ses créations théâtrales, difficiles à séparer d’elles. « Chaque mot est lié à un corps en sueur », insiste-t-il. Comme si, avant d’entrer en scène, les mots pressentis n’étaient pas déjà « en sueur », extraits à chaud de son combat quotidien avec un monde qu’il réprouve, quand bien même l’ordre des phrases s’établirait au moment de l’écriture scénique. Si ses mots sont des « restes » – comme il écrit aussi –, ce sont ceux des échanges (de coups) entre celui qui se bat « pour élargir la liberté impossible » et un système d’enfermement mondialisé. Ces mots, qu’il affecte également de livrer au titre de « souvenir » au spectateur – « détritus », « amas de résidus », écrit-il enfin –, dégagent un espace conceptuel durable, dont l’écriture, indéniablement à vif, a acquis la dimension d’une autre performance, enregistrée celle-là, d’où Rodrigo émerge comme plasticien et homme de lettres, tant la dimension littéraire reste constitutive de son théâtre.
Il insiste cependant : ce n’est pas parce que ses textes sont « lisibles » qu’ils sont publiés, mais parce qu’ils sont publiés qu’ils sont lisibles. Ils ne pèseraient pas plus que le costume d’un acteur endossé par un spectateur, une musique de scène recyclée hors les murs. Il leur reconnaît assez d’intérêt pour leur accorder l’imprimatur mais, dans le même mouvement, affecte de leur tordre le cou. Torsion, contre-torsion : la figure demeure au cœur de sa problématique de la raclée comme geste amoureux, démonstrative d’une autre acculturation, célébration d’un geste plus retentissant mais moins offensant que les insidieuses douceurs du verbe marchand. La figure scelle le rapport acteur-texte, mais aussi celui de la scène et du spectateur. Souvenons-nous de « l’action baiser-gifle » qui ponctue, au sens strict – elle en forme le seul point typographique –, chaque page de VOUS ÊTES TOUS DES FILS DE PUTE, souvenons-nous des « branlées » éducatives d’AGAMEMNON, des « raclées » non moins éducatives de FALLAIT RESTER CHEZ VOUS, TÊTES DE NŒUDS ou des « roustes » de L’HISTOIRE DE RONALD, LE CLOWN DE MCDONALD’S. Rodrigo se plaît à baiser-gifler ses textes comme il se plaît à baiser-gifler ses spectateurs.