La mise en scène d’opéra – une utopie ?
Entretien
Opéra

La mise en scène d’opéra – une utopie ?

Entretien avec Sergio Morabito et Jossi Wieler

Le 11 Juil 2012
Ana Durlovski, Helene Schneiderman, Catriona Smith et Liang Li dans DIE NACHTWANDLERIN (La Sonnanbula) de Vincenzo Bellini, mise en scène Sergio Morabito, direction musicale Gabriele Ferro, Oper Stuttgart, janvier 2012. Photo À. T. Schaefer.
Ana Durlovski, Helene Schneiderman, Catriona Smith et Liang Li dans DIE NACHTWANDLERIN (La Sonnanbula) de Vincenzo Bellini, mise en scène Sergio Morabito, direction musicale Gabriele Ferro, Oper Stuttgart, janvier 2012. Photo À. T. Schaefer.

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Ana Durlovski, Helene Schneiderman, Catriona Smith et Liang Li dans DIE NACHTWANDLERIN (La Sonnanbula) de Vincenzo Bellini, mise en scène Sergio Morabito, direction musicale Gabriele Ferro, Oper Stuttgart, janvier 2012. Photo À. T. Schaefer.
Ana Durlovski, Helene Schneiderman, Catriona Smith et Liang Li dans DIE NACHTWANDLERIN (La Sonnanbula) de Vincenzo Bellini, mise en scène Sergio Morabito, direction musicale Gabriele Ferro, Oper Stuttgart, janvier 2012. Photo À. T. Schaefer.
Article publié pour le numéro
Couverture numéro 113_113 - Le théâtre à l’opéra, la voix au théâtre
113 – 114

ISABELLE MOINDROT : Jos­si, tu as tra­vail­lé d’abord comme met­teur en scène de théâtre, tu con­tin­ues de créer dans ce domaine, et tu diriges depuis 2011 l’Opéra de Stuttgart, un théâtre de réper­toire avec une troupe, des chœurs et un orchestre. Avec Ser­gio Mora­bito, tu signes toutes tes mis­es en scène d’opéra depuis ALCINA – un spec­ta­cle créé en 1998 qui a beau­coup tourné – et depuis lors, nom­bre de vos réal­i­sa­tions, même les plus con­tro­ver­sées, ont été élues « mis­es en scène de l’année ».
Com­ment tra­vaillez-vous et quelle dif­férence y a‑t-il selon vous entre le tra­vail scénique au théâtre et à l’opéra ?

Jos­si Wiel­er : La dif­férence est grande en rai­son de la dis­ci­pline très spé­ci­fique du chanteur rel­a­tive­ment à son per­son­nage. Le chanteur se pré­pare des mois, voire des années à l’avance. Avant même de com­mencer à répéter, il doit maîtris­er sa voix, son instru­ment, la musique et le texte et être en mesure d’écouter d’autres parte­naires qui eux-mêmes doivent faire la même chose – ce qui n’existe pas au théâtre sous cette forme. Au théâtre, quand un acteur en répéti­tion dit « je », il est sou­vent dif­fi­cile de déter­min­er s’il pense à sa pro­pre sit­u­a­tion ou à celle de son per­son­nage – ce genre d’ambiguïté dans le dia­logue n’existe pra­tique­ment jamais à l’opéra, parce que la psy­cholo­gie du per­son­nage n’est qu’un critère par­mi d’autres. À l’opéra, on peut décrire la sit­u­a­tion de son per­son­nage à un chanteur et de lui-même il peut la faire pass­er dans le corps, dans la musique. Et cela nous libère de beau­coup de choses, dans le tra­vail de mise en scène. Un imag­i­naire sur­git, indépen­dant du met­teur en scène, et que celui-ci peut seule­ment stim­uler.

Ser­gio Mora­bito : Selon nous, il ne peut pas y avoir de renou­velle­ment de la scène lyrique en lais­sant de côté le chanteur ou en l’utilisant comme un acces­soire pour incar­n­er un con­cept a pri­ori. Nous por­tons une atten­tion extrême, qua­si éthique, à la place du chanteur dans le tra­vail, pour qu’il se sente pleine­ment libre et respon­s­able des choix scéniques, à l’intérieur de l’esthétique de l’espace et des cos­tumes. Par­al­lèle­ment, dans notre dia­logue avec le scéno­graphe, nous renonçons à la volon­té de tout savoir à l’avance. Que l’espace acquière une logique, une valeur et une atmo­sphère intrin­sèques nous importe beau­coup plus – c’est ain­si que les solu­tions scéniques les plus belles nous ont été inspirées, celles pré­cisé­ment qu’il est impos­si­ble d’anticiper.

I. M. : Est-ce cet échange qui rend pos­si­ble votre col­lab­o­ra­tion ? Car vous venez d’horizons très dif­férents.

Ana Durlovski dans DIE NACHTWANDLERIN (La Sonnanbula) de Vincenzo Bellini, mise en scène Sergio Morabito, direction musicale Gabriele Ferro, Oper Stuttgart, janvier 2012. Photo A. T: Schaefer.
Ana Durlovs­ki dans DIE NACHTWANDLERIN (La Son­nan­bu­la) de Vin­cen­zo Belli­ni, mise en scène Ser­gio Mora­bito, direc­tion musi­cale Gabriele Fer­ro, Oper Stuttgart, jan­vi­er 2012. Pho­to A. T : Schae­fer. 

S. M. : Jos­si était un met­teur en scène de théâtre très con­nu, avec une for­ma­tion d’acteur, d’acteur tchekhovien, ori­en­té théâtre d’art, mais sans expéri­ence de l’opéra. C’est Klaus Zehelein qui l’a con­va­in­cu de met­tre en scène du lyrique, d’oser cela. Au départ, le dia­logue était très com­pliqué entre nous, parce que nous étions imprégnés d’expériences com­plète­ment dif­férentes – je venais du lyrique, où j’avais été assis­tant de Ruth Berghaus. Puis est arrivée Anna Viebrock, et elle a été par­faite dans cette sit­u­a­tion qui pou­vait vrai­ment diverg­er. Jos­si est un homme qui écoute, qui per­met, et sans ce don qu’il a, cela n’aurait pas été envis­age­able. Au cœur de notre tra­vail, il y a le dia­logue – les choix ne sont jamais pris par un seul.

I. M. : L’opéra dis­pose sou­vent de chœurs, de mass­es incon­nues au théâtre. Est-ce un plaisir, une con­trainte ?

J. W. : Comme tout chanteur, le chœur apporte avec lui la con­nais­sance de la musique, des sit­u­a­tions et des per­son­nages. Bien sûr, on peut lui expli­quer les mou­ve­ments et les atti­tudes sans entr­er dans les détails (par exem­ple : sur telle ou telle note, ouvrez tous la main) – beau­coup de met­teurs en scène procè­dent ain­si, d’une manière choré­graphique ou chorale, et cela peut fonc­tion­ner. Mais notre démarche est plutôt d’apporter au chœur une réponse, y com­pris artis­tique, en nous adres­sant à cha­cun en par­ti­c­uli­er. Par exem­ple, dans LA JUIVE, le point de départ de la marche funèbre du début de l’acte V, qui char­rie des images arché­typ­ales anti­sémites, prove­nait d’images trou­vées dans un livre sur la région du lac de Con­stance à l’époque de la deux­ième guerre mon­di­ale. Lors du car­naval des années1937 ou 1938, les bour­geois de la ville avaient défilé, déguisés en juifs en train d’émigrer. L’histoire de LA JUIVE se déroule pré­cisé­ment à Con­stance, au XVe siè­cle. Nous avons racon­té cela aux cho­ristes, nous leur avons mon­tré les images, et nous avons mis en scène la marche funèbre. Si l’on pense qu’un chœur peut agir par lui-même, qu’il n’est pas là seule­ment pour recevoir des ordres, alors il le prou­ve. Il s’ouvre alors des domaines qui appor­tent beau­coup en retour.

S. M. : Quand on regarde les pho­tos de MOSES UND AARON, ce sont pour moi les plus belles pho­tos de théâtre, ou presque. Chaque vis­age racon­te une his­toire, une his­toire indi­vidu­elle. Et une forme sub­siste, qui n’est pas du tout quel­conque. Pour y par­venir, il faut chercher, essay­er, oser – c’est un proces­sus ouvert et non pas l’application d’une esthé­tique.

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Écrit par Isabelle Moindrot
Isabelle Moin­drot est Pro­fesseure d’É­tudes théâ­trales à l’U­ni­ver­sité Paris 8, mem­bre senior de l’In­sti­tut uni­ver­si­taire de France (IUF)....Plus d'info
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#113 – 114
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Le théâtre à l’opéra, la voix au théâtre

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