Il faut plonger en soi…
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Il faut plonger en soi…

Entretien avec Claudio Bernardo

Le 25 Mai 1996
DILATATIO, chorégraphie de Claudio Bernardo Photo Jorge León
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Vitesse, Danse et mémoire-Couverture du Numéro 51 d'Alternatives ThéâtralesVitesse, Danse et mémoire-Couverture du Numéro 51 d'Alternatives Théâtrales
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FABIENNE VERSTRAETEN : Tu crées ton spec­ta­cle, GÉOMÉTRIE DE L’ABÎME, dans le cadre de la troisième Bien­nale de Charleroi/Danses, dont le thème est « Vitesse et mémoire ». Ces deux notions comptent-elles beau­coup dans ton tra­vail ? 

Clau­dio Bernar­do : Oui, car pour moi la danse est mémoire et vitesse. D’abord, pour ce qui est de la mémoire, mon tra­vail choré­graphique est né de ma sit­u­a­tion d’étranger en Bel­gique. Cela m’a per­mis de faire vivre ma mémoire sur mon pays, d’avoir la dis­tance qui per­met l’analyse. J’ai essayé de créer des spec­ta­cles qui par­lent du Brésil, mais d’une réal­ité autre que l’imagerie de « Brasil Trop­i­cal », du foot­ball ou du car­naval. 

D’autre part, dans plusieurs de mes spec­ta­cles, j’ai util­isé des textes de manière théâ­trale, et j’ai con­staté que chez le spec­ta­teur, le temps d’observation et de com­préhen­sion d’un mou­ve­ment n’est pas du tout le même que le temps de com­préhen­sion de la parole. C’est un autre temps. On pour­rait dire que la danse, c’est l’instinct et que la parole, c’est la rai­son, mais il y a des mou­ve­ments qui peu­vent aus­si touch­er l’intellect. J’es­saie de gér­er ces temps dif­férents, en tra­vail­lant le rythme, les mots, la façon dont le mot appa­raît : qu’est-ce qui fait que la parole appa­raît à un moment don­né dans le corps ? Quel temps, accéléré ou dilaté, don­ner à cette parole, pour trou­ver un équiv­a­lent entre la gestuelle et les mots ? Dans mes pre­mières pièces, le texte était traité très musi­cale­ment. J’essayais d’arriver à des enchaîne­ments très répéti­tifs qui pro­duisent une sorte de transe. Le corps était chargé d’énergie, et tout à coup l’interprète com­mençait à par­ler, à jeter la parole. J’avais choisi le texte pour son sens, mais j’es­sayais de le faire venir comme un vom­isse­ment du corps vers la parole. Les gestes étaient très petits pour aider le danseur à faire démar­rer le sens de sa parole. Plus tard, dans LA Voix HUMAINE, j’ai essayé de sépar­er la danse et la parole, de les traiter dans deux cadres dif­férents, tout en me deman­dant si ces deux forces pou­vaient inter­a­gir l’une sur l’autre sans être néces­saire­ment mélangées. Il fal­lait presque met­tre le spec­ta­teur dans un état dif­férent de la nor­mal­ité parce qu’il y avait trop d’informations, et les gens voulaient suiv­re les mou­ve­ments, mais aus­si enten­dre la parole. Le pub­lic n’est pas encore tout à fait prêt pour cette dis­so­ci­a­tion, même si les gens regar­dent MTV où tout va très, très vite, où tout est dans l’accélération… 

F. V.: Tu as mon­té LA Voix HUMAINE de Cocteau, un texte de théâtre. Dans plusieurs de tes spec­ta­cles, Le texte est très présent. D’où vient cet intérêt pour le théâtre ? 

C. B.: Je n’ai jamais voulu faire de la danse abstraite. Au Brésil, j’avais lu des livres de Béjart. Ses écrits me pas­sion­naient. C’est ce type de danse-là que j’avais envie de faire. Quand je suis arrivé en Europe, j’ai été un peu déçu : Mudra vivait une époque de change­ments, ce n’était plus une école de recherche ; la tech­nique était dev­enue plus impor­tante. Et en même temps je décou­vrais la danse abstraite venant d’Amérique : Trisha Brown, Cun­ning­ham, l’héritage de Martha Gra­ham. Ce qui m’im­por­tait, c’était la recherche de Béjart par rap­port au sens, la ques­tion de la spir­i­tu­al­ité. Pour danser, pour entr­er sur scène, il faut plonger en soi, s’oublier, il faut don­ner accès à d’autres choses qui nous tra­versent il faut chercher ce qu’on a envie de dire, à qui on a envie de le dire et pourquoi…, ques­tions aux­quelles je n’ai tou­jours pas de réponse aujourd’hui. La pre­mière fois que j’ai créé une choré­gra­phie, c’est parce que j’é­tais étranger dans un pays étranger où je n’avais aucune référence cul­turelle. La force de mon tra­vail était et est encore celle-là.

F. V.: Est-ce qu’il y a des moments, dans ton tra­vail, où la danse appa­raît pour elle-même, pour le plaisir d’elle-même ? 

C. B.: Oui, mais c’est alors la « danse de tous les jours », la danse des gens qui vont en dis­cothèque ou la danse de salon. C’est la danse de tout le monde, ce n’est plus la danse choré­graphiée. Il y a aus­si une autre forme de plaisir : des moments plus mys­tiques, où le temps sem­ble presque dilaté, où les corps flot­tent. C’est dans USDUM que j’ai décou­vert cet état : l’oubli. Pour la pre­mière fois je ne tenais plus mon corps. Je me per­me­t­tais de bas­culer, de faire des choses « fauss­es » par rap­port au mou­ve­ment, je pou­vais être là sans penser qu’il fal­lait être beau, que mon pied devait être ten­du… Mon corps avait une lour­deur par la fatigue, et la fatigue jouait beau­coup sur le spec­ta­cle. Cet état-là, cet état de transe, me pro­cure un plaisir énorme. C’est l’abandon. 

Pro­pos recueil­lis par Fabi­enne Ver­straeten

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