Paul Emond adaptateur de mythes
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Paul Emond adaptateur de mythes

Le 7 Juin 2004
Article publié pour le numéro
Paul Emond-Couverture du Numéro 60 d'Alternatives ThéâtralesPaul Emond-Couverture du Numéro 60 d'Alternatives Théâtrales
60
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PAUL EMOND ET MOI rêvions de porter à la scène un grand texte de la lit­téra­ture. Le pro­jet d’adapter L’ODYSSÉE est né de notre envie d’opposer un per­son­nage cen­tral et la société qui l’en­toure. Dans cette optique don Qui­chotte et K nous sont rapi­de­ment apparus dans la lignée d’Ulysse. Ce per­son­nage cen­tral se devait aus­si d’être con­tem­po­rain, ou, pour ten­ter de le qual­i­fi­er : en recherche, indéfi­ni, com­plexe et insai­siss­able… Ces qual­i­fi­cat­ifs peu­vent d’ailleurs égale­ment cor­re­spon­dre à l’image que j’ai des per­son­nages des romans de Paul Emond comme TÊTE-À-TÊTE ou PAYSAGE AVEC HOMME NU DANS LA NEIGE. 

Nous observions donc un indi­vidu face à une société, un per­son­nage devenu indi­vidu con­tem­po­rain dans une société représen­tée sur scène par un groupe d’acteurs qui inter­prè­tent tous les rôles. L’idée d’une trilo­gie était née, avec d’autres liens qui nous appa­rais­saient fla­grants, à com­mencer par l’errance. Errance de voy­ages réels dans la Méditer­ranée pour Ulysse. Errance men­tale et dans Les provinces alen­tour pour don Qui­chotte. Errance sans fin autour du château pour K. Chaque per­son­nage prin­ci­pal se retrou­ve dans l’entonnoir, de plus en plus proche de l’engloutissement. Ulysse est cen­sé avoir ter­miné sa guerre et ren­tre chez lui, don Qui­chotte lutte con­tre des moulins et K com­bat une admin­is­tra­tion. Tous trois vont vers ce qu’ils vivent comme un empris­on­nement : Ulysse réag­it en se faisant l’auteur d’un car­nage, don Qui­chotte se réfugie dans son rêve et K se referme et se venge sur lui-même. Trois cas de non-inté­gra­tion à l’environnement, de non-inté­gra­tion de l’environnement (même si nous avons bien observé le besoin qu’à l’environnement d’avoir ses « inadap­tés » ). 

Avec l’adaptation de cette trilo­gie, le prob­lème est mis en exer­gue : qui doit s’in­té­gr­er à qui, com­ment une société peut-elle se for­mer sans nier le droit à la dif­férence ? 

L’écri­t­ure se cen­tre donc sur cet indi­vidu. Le spec­ta­teur ayant le choix : s’i­den­ti­fi­er au per­son­nage cen­tral ou se recon­naître dans la société qui l’en­toure. 

La per­son­nal­ité de Paul Emond induit égale­ment l’aspect ludique de cha­cun de ces mythes. Aspect ludique que le per­son­nage cen­tral sem­ble être le seul à ne pas voir. Et pour­tant il lui suf­fi­rait de se dire que l’on « joue » autour de lui pour être tiré d’af­faire. Mal­gré tout, chaque per­son­nage con­serve sa logique pro­pre, logique de l’in­di­vidu incom­pat­i­ble avec celle de son entourage. 

Dans l’œuvre de Paul Emond, les per­son­nages devi­en­nent par moments leurs pro­pres nar­ra­teurs. Lorsque l’idée de ce trip­tyque s’est dévelop­pée, nous nous sommes mis d’ac­cord pour con­serv­er le principe d’un nar­ra­teur si cher à Paul. Nar­ra­teur-aède qui chante pour le pub­lic ce que les acteurs jouent pour lui autant que le spec­ta­teur. Nar­ra­teur-passeur don­nant sa ver­sion de sit­u­a­tions que par­fois nous nous sommes amusés à con­tredire dans l’action.

Si Mon­ther­lant avait adap­té ces œuvres, il aurait fait de chaque per­son­nage prin­ci­pal un héros. Dans L’ODYSSÉE, le nar­ra­teur a essayé de pouss­er Ulysse à rester le héros. Et pour­tant, toute la direc­tion don­née par l’adap­ta­tion de Paul nous pous­sait à en faire le con­traire du pro­to­type du héros. Don Qui­chotte dans sa folie néces­saire était soutenu par le nar­ra­teur, épaulé par lui, même au moment où la société Le lâche. En ce qui con­cerne LE CHÂTEAU le nar­ra­teur sem­ble trou­ver de plus en plus ardue la tâche de faire croire au pub­lic que K est un héros. Au fin des œuvres donc, le nar­ra­teur se retire, s’efface devant l’histoire qu’il racon­te, devant ses per­son­nages. 

De plus en plus, il affleure donc dans le mythe que le per­son­nage prin­ci­pal n’est autre qu’un quidam avec ses tra­vers, ses défauts, son mau­vais car­ac­tère, son côté minable, son ego, son aveu­gle­ment, son manque d’ou­ver­ture, sa van­ité. 

À la base de notre mode de fonc­tion­nement se situe la vision d’un pro­jet com­mun, un ent­hou­si­asme partagé pour les idées générales qui ressor­tent de nos lec­tures des œuvres. Après une pre­mière ébauche de texte et une dernière con­cer­ta­tion, Paul m’ap­por­tait le texte défini­tif. Texte auquel, excep­té quelques min­imes coupures pour respecter le critère de durée que nous avions fixé, nous ne tou­ch­ions pas. De même, Paul nous retrou­vait de loin en loin au fil des répéti­tions, nous appor­tant à chaque fois un regard de spec­ta­teur presque naïf et quelques réflex­ions très fructueuses. 

Ces trois spec­ta­cles sont donc le fruit d’une col­lab­o­ra­tion dis­tante et intense à la fois. 

Pro­pos recueil­lis pas Sylvie Step­pé. 

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Écrit par Jules-Henri Marchant
Jules-Hen­ri Marchant est met­teur en scène, comé­di­en et directeur du Rideau de Brux­elles. De Paul Emond, il a...Plus d'info
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6 Juin 2004 — ADAPTER L'ODYSSÉE au théâtre, c'est peut-être chercher à se rapprocher de ce que l’on peut imaginer être une sorte de…

ADAPTER L’ODYSSÉE au théâtre, c’est peut-être chercher à se rap­procher de ce que l’on peut imag­in­er être une sorte de « scène prim­i­tive » de l’acte théâ­tral : le con­teur, l’aède, racon­te à l’as­sis­tance le réc­it légendaire;…

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