EN TANT QUE METTEUR EN SCÈNE on s’approche des textes dans lesquels on se retrouve. Ou de ceux qui répondent à un manque profond. Mais comment expliquer un coup de foudre ?
Celui qui ressent douloureusement sa solitude et pour la fuir fait du théâtre se reconnaît dans les pièces de Paul Emond. Celui-là parcourt son théâtre avec délice, avec passion, avec ferveur et un arrière-goût de masochisme ; avec aussi une certaine fièvre.
Pour un professionnel habitué de longue date à lire d’innombrables textes de théâtre, pour un metteur en scène qui cherche et « hume » jour et nuit des pages et des pages pour les planches, être dans l’incapacité d’interrompre la lecture de ses pièces signifie qu’il y découvre quelque chose. Quelque chose qui le fait souffrir. Qui fait mal au lecteur, à l’auteur, au metteur en scène. Quelque chose qui touche profondément l’Homme ! L’homme, le petit homme, le petit bonhomme ! On est dans un monde qui appartient aux petits bonhommes. L’air qu’on respire ici a une vibration tendre, triste et grotesque. Un bruit de vent. Reconnaissable. Un coup de vent cinglant et en même temps une douce bouffée. Le vent Tchekhov ! Ce Tchekhov plus froid que le diable, selon les mots de Gorki.
Est-il corrosif Paul Emond ? Il est assurément lucide. Sa tendresse est cruelle. Dans son monde, le petit bonhomme, écrasé par l’époque, broyé par une vie hostile, se réveille en parlant et vit en parlant. Il parle et parle et parle. Il vit grâce aux mots, il se cache parmi les mots, il s’y perd et se rattrape, il se drape dans la parole mais aussi se dépouille jusqu’à los !
La vie sur l’île magique de la « Paulemondie », c’est la vie. On y trouve la tendresse, le grotesque, le grincement et le tintement. (Est-ce autrement sur le continent de ‘Ichekhov ?) Atterrissage et décollage. Le magna pollué du quotidien et la détente. Envie de voler ? Théâtralité ! Le monde de partout. Le monde d’alentour et le monde de dedans ; l’univers des petites gens, aplatis par un environnement impitoyable, menaçant, écrasant. Un univers composé de solitudes, châtré par l’intimité. Des solitudes sans mères. Des solitudes sans pères. Des craintes multiples. La peur de sa propre image. La peur de soi-même. La peur de l’autre. La vie, quoi ! Des solitudes qui refusent leur propre compagnie et s’échappent, fuyant dans le discours !Solitudes effrayées par l’absolue platitude. Vies concassées, vies complètement plates. Avezvous remarqué les couvertures des pièces éditées de Paul Emond ? Les couvertures créées par Maja Polackova ? Je me pose la question suivante : Les petits bonshommes de Maja Polackova sortent-ils du tourbillon théâtral propre à l’espace de la « Paulemondie » ? S’y réfugient-ils effarés, écrasés, broyés par l’âpreté de la vie ? Se trouvent-ils projetés, tous, sur le mur de l’enfer ?dans le noir ? Ou bien, essayent-ils de se sauver, en se dérobant devant la noirceur de leur existence, pour se diriger vers l’île de la lucidité délicate, poétique et grotesque en s’accrochant comme de petits clowns aux cordes d’eau de ce Niagara de paroles ?
Il y a aussi l’humour, Le regard acide, le doux-amer, le rire-pleur. Et de l’amour pour Tchekhov ainsi que pour ce cher Gogol.. Et l’appartenance à une même confrérie, celle des fous de théâtre ! Un parti qui, hélas, nulle part au monde ne se présentera aux élections. Voilà assez de raisons pour concevoir deux projets Paul Emond.… GRINCEMENTS ET AUTRES BRUITS, À L’OMBRE DU VENT, sut l’île magique de la « Paulemondie » ? Peut-être.
Propos traduits du roumain par Myra lossif-Fischmann.

