Découverte et course aux débuts
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Découverte et course aux débuts

Avec : Joël Jouanneau, Stéphanie Chévara, Jean-René Lemoine, Claudine Girones, Nordine Lahlou, Gérard Watkins, Philippe Calvario, Delphine Rosenthal, Éric Ruf, Stanislas Nordey, Sophie Rappeneau, Benoît Lambert, Emmanuel Vérité

Le 24 Oct 1998

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GEORGES BANU : Dans la prob­lé­ma­tique du début la ques­tion de la décou­verte est essen­tielle. Mais cer­tains décou­vreurs trop volon­taristes se sont par­fois lais­sés aller à une poli­tique de course aux débuts dont ont pu souf­frir de jeunes artistes. Nous savons tous qu’à chaque époque cer­tains artistes de génie sont restés dans l’om­bre, les cri­tiques s’é­tant mon­trés opaques à l’émer­gence du nou­veau.

Et dans cette crainte de rater le génie, cri­tiques et décideurs sai­sis de panique se sont par­fois jetés avec pré­cip­i­ta­tion sur des pre­miers spec­ta­cles encore frag­iles. Cette frénésie a con­duit à l’é­vanouisse­ment de critères de choix et par con­séquent a aus­si ôté toute iden­tité aux décideurs. C’est Brecht qui dis­ait : « L’estom­ac qui peut tout avaler sans rien refuser, au fond, ne retient rien. »

Joël Jouan­neau : Je fais du théâtre depuis le lycée, depuis tou­jours, mais pen­dant vingt ans en ama­teur. Je suis donc devenu « pro­fes­sion­nel » très tard, à trente-six ans, et j’ai écrit ma pre­mière pièce à quar­ante ans. J’ai con­nu à ce moment-là seule­ment ma péri­ode de
«jeu­nisme » tan­dis que cer­taines per­son­nes de mon âge étaient déjà à la tête d’in­sti­tu­tions. J’avais suivi leur par­cours tan­dis que je n’é­tais qu’amateur, j’ai alors pu observ­er com­ment le mou­ve­ment s’opère de généra­tion en généra­tion et mesur­er com­bi­en le dis­cours s’adapte selon les dif­férentes sit­u­a­tions que l’on occupe ; c’est pourquoi je me garderais d’en faire.

Je suis aujourd’hui en mesure d’ac­com­pa­g­n­er des jeunes met­teurs en scène et deux choses m’ap­pa­rais­sent.

C’est Niet­zsche qui disait:«Un petit bien­fait, s’il n’est pas tout de suite oublié coûte cher à son auteur ». Je viens de met­tre en scène PITBULL de Lionel Spy­cher, un jeune auteur de vingt-cinq ans, qui a par­ticipé au tra­vail des répéti­tions. Mais c’est surtout moi qui ai eu de la chance.

D’autre part il y a deux idées qui m’ont tou­jours beau­coup aidé dans mon tra­vail et que je voudrais vous livr­er : la pre­mière, c’est que pen­dant très longtemps j’ai réclamé, réclamé du monde qu’il me donne ma place jusqu’au moment où j’ai com­mencé à con­sid­ér­er l’ex­is­tence plutôt comme une dette à rem­bours­er, je suis alors devenu un débi­teur heureux. La sec­onde est une petite phrase à creuser : Quand on est jeune, c’est bien d’être un zéro ; et je crou­ve que quand on est vieux, c’est bien de le rester.

Stéphanie Ché­vara : J’ai fait des spec­ta­cles en ate­lier pen­dant dix ans, avant de réalis­er ce que l’on a présen­té comme ma pre­mière mise en scène devant le pub­lic. J’avais en réal­ité déjà fait une dizaine de spec­ta­cles, mais jamais aucun devant un vrai pub­lic.

Et ce sont les directeurs des lieux où je dirigeais ces ate­liers qui m’ont pro­posé de tra­vailler sur un pro­jet des­tiné à une plus large audi­ence. Cela a pris beau­coup de temps, deux ans, au bout desquels j’ai présen­té DES JOURS ENTIERS — DES NUITS ENTIÈRES de Xavier Dur­ringer. C’é­tait en 1995. Puis les pro­jets se sont enchaînés plus facile­ment. Comme nous n’avions pas de lieu pour répéter, nous en avons loué un à Gen­til­ly et instal­lé notre Théâtre, Le plateau trente-et-un.

Jean-René Lemoine : Je suis aus­si un débu­tant qui com­mence tard, puisque j’ai écrit et réal­isé mon pre­mier spec­ta­cle, L’ODE À SCARLETT O’HARA, en 1997 après avoir suivi une for­ma­tion de danseur à Brux­elles et exer­cé dif­férents métiers sou­vent reliés au théâtre mais pas dans le domaine de la créa­tion. Je me suis mis à la mise en scène parce que tout sim­ple­ment per­son­ne ne lisait ni ne mon­tait les textes que j’écrivais. C’est grâce à Clau­dine Gironès qui dirigeait alors la Ferme du Buis­son que j’ai pu par­ticiper au fes­ti­val « Aven­ture ». J’ai ren­con­tré de nom­breuses dif­fi­cultés extérieures et intérieures et je m’ap­prête à refaire ce par­cours du com­bat­tant pour mon­ter mon sec­ond spec­ta­cle.

Clau­dine Gironès : J’ai dirigé deux lieux dont Le Mail­lon à Stras­bourg, où l’on avait ini­tié des ren­con­tres qui s’ap­pelaient Tur­bu­lences et qui se sont très vite ori­en­tées vers les pre­mières mis­es en scène. Et je prou­ve un grand plaisir à voir des spec­ta­cles qui n’ont pas encore de référence, à décou­vrir en somme.

Nor­dine Lahlou : J’ai d’abord accom­pa­g­né Robert Cantarel­la pen­dant cinq ans en tant que scéno­graphe-dra­maturge avant d’éprou­ver le désir de revenir à la mise en scène, en 1992. J’ai en effet réal­isé ma pre­mière mise en scène à vingt ans avant d’être assis­tant de Jean Jour­d­heuil, puis de suiv­re l’École de Chail­lot et de décou­vrir, grâce à Yan­nis Kokkos, la scéno­gra­phie. J’ai mis en scène en 1992 DICTIONNAIRE DU DIABLE, un spec­ta­cle tra­ver­sé par l’hu­mour noir
qui inter­ro­geait les notions de suc­cès et d’échec, puis VIA NEGATIVA d’Eugène Durif, qui était l’aboutisse­ment d’un long tra­vail en pro­fondeur avec des auteurs que l’on a repris ici, à la Cité.

Gérard Watkins : Je suis auteur et met­teur en scène. Pour mon pre­mier spec­ta­cle LA CAPITALE SECRÈTE que j’ai joué à Gen­nevil­liers, j’ai eu la chance de béné­fici­er de ces vraies aides à l’écri­t­ure que sont les acteurs qui acceptent de tra­vailler dans des con­di­tions par­fois très dif­fi­ciles. Et juste­ment, parce que j’ai trou­vé ça telle­ment dif­fi­cile, j’ai voulu, pour mon sec­ond spec­ta­cle, ten­dre la main à un jeune auteur, Stéphane Keller, et ce sec­ond démar­rage s’est avéré encore plus dif­fi­cile. Mon troisième début aura lieu en mai au Théâtre Gérard Philipe, la pièce s’ap­pelle SUIVEZ-MOI et racon­te la quête virtuelle d’un rem­plaçant du Christ pour l’an 2000. En tant qu’au­teur, l’évoque à chaque fois de nou­velles thé­ma­tiques, des choses fon­da­men­tale­ment dif­férentes, et donc chaque nou­veau spec­ta­cle représente
un redé­mar­rage com­plet.

Philippe Cal­vario : J’ai com­mencé une for­ma­tion de comé­di­en et raté tous les con­cours des grandes écoles. C’est cette pre­mière grande décep­tion qui m’a poussé à faire des spec­ta­cles et donc de la mise en scène. Le pre­mier spec­ta­cle qu’on a présen­té au Fes­ti­val Uni­ver­si­taire de
Nan­terre était MA SOLANGE COMMENT T’ÉCRIRE MON DÉSASTRE, ALEX ROUX de Noëlle Renaude. On s’est alors dit qu’il fal­lait faire vivre ce spec­ta­cle même si l’on avait pas gag­né le prix. L’an­née suiv­ante nous nous sommes représen­tés à Nan­terre avec une créa­tion col­lec­tive ET MAINTENANT LE SILENCE, et cette fois-ci nous avons eu le pre­mier
prix du jury pro­fes­sion­nel. Depuis c’est vrai que tout s’est un peu enchaîné : nous reprenons MA SOLANGE… au Ranelagh jusqu’au 26 sep­tem­bre ; nous allons présen­ter LE SILENCE au Théâtre de la Bastille en avril-mai 2000, et je com­mence à tra­vailler sur une pièce de Shake­speare que Jean-Pierre Vin­cent m’a pro­posé de met­tre en scène dans la salle trans­formable de Nan­terre à la suite du Fes­ti­val. La seule chose qui m’a tou­jours per­mis de con­tin­uer, c’est de ne jamais cess­er de tra­vailler. Et le plus drôle, c’est que je me suis retrou­vé au Con­ser­va­toire de l’autre côté en assis­tant Patrice Chéreau pen­dant Le RICHARD III à la Man­u­fac­ture des Œil­lets. Je crois finale­ment que c’est l’acharne­ment à vouloir tou­jours con­tin­uer après cer­tains échecs du début qui m’a per­mis de garder la tête hors de l’eau …

Del­phine Rosen­thal : Je suis auteur dra­ma­tique. Et pour que mes textes soient enten­dus, il a fal­lu que je les mette moi-même en scène. La pre­mière fois c’é­tait il y a qua­tre ans. Seule­ment ma pièce était écrite pour dix comé­di­ens, et je me suis très vite ren­due compte que j’é­tais inca­pable de diriger dix comé­di­ens : je n’ai pas le tal­ent rela­tion­nel néces­saire. Alors j’ai écrit une autre pièce, pour un seul per­son­nage et je l’ai tra­vail­lée avec une comé­di­enne qui était aus­si une amie. J’ai présen­té ce spec­ta­cle au Fes­ti­val de Nan­terre il y a deux ans, et nous avons été primés. Mais avant ce démar­rage, il y a eu cinq années de galère où je n’ar­rivais pas à accepter de tra­vailler un an pour représen­ter le spec­ta­cle une seule fois. Et j’é­tais en colère ;j’é­tais en quête de recon­nais­sance. Cette colère fait par­tie inté­grante des débuts, mais il faut réus­sir à la recen­tr­er ; j’es­saye pour ma part de l’aigu­is­er dans mes textes. Je tra­vaille en ce moment sur un texte pour un comé­di­en qui inter­roge le thème de la réclu­sion crim­inelle à per­pé­tu­ité, et je préfère finale­ment être en colère con­tre ça que con­tre une salle vide.

Éric Ruf : Je suis avant tout comé­di­en et depuis quelques temps met­teur en scène. En tant que comé­di­en, je tra­vail­lais depuis cinq ans à la Comédie Française et j’an­i­mais par­al­lèle­ment un stage de théâtre dans une école. Comme dans routes les écoles, il fal­lait pré­par­er un spec­ta­cle de fin d’an­née. Je ne voulais pas faire de mon­tage de scène ; j’ai alors pro­posé de nous atta­quer au NON-SENS ET LE BONHEUR de Peter Hand­ke. C’é­tait une sorte d’OVNI où les comé­di­ens par­laient au bout de trois quarts d’heure seule­ment : nous voulions tra­vailler sur la prise de parole et j’ai trou­vé cela intéres­sant.

J’ai voulu con­tin­uer cette approche l’an­née suiv­ante, mais comme je n’ar­rivais pas à trou­ver dans le réper­toire un texte qui puisse con­venir pour vingt-et-un élèves, nous avons décidé d’écrire quelque chose d’après le DICTIONNAIRE DE LA MARINE À VOILE. À la fin de l’an­née nous avons présen­té une esquisse qui s’ap­pelait ÉTUDE DU DÉSAVANTAGE DU VENT que cer­tains pro­fes­sion­nels on bien voulu venir voir. Après quoi j’ai arrêté d’en­seign­er pen­dant une année pour pren­dre le temps de com­pren­dre com­ment mon­ter une pro­duc­tion, pour réécrire la brochure, deman­der aux gens avec qui j’avais tra­vail­lé s’ils avaient envie de con­tin­uer, etc. Nous avons alors décidé de mon­ter une com­pag­nie, la « Com­pag­nie Edvin(e)». Ce qui me plaît dans cette his­toire, c’est que rien n’avait été prévu d’a­vance et que sans l’avoir organ­isé, entre la pre­mière mou­ture et la pre­mière véri­ta­ble, nous avons tra­vail­lé env­i­ron six mois étalés sur deux ans.

Le spec­ta­cle s’est plutôt bien passé, et je suis en train d’écrire le sec­ond, LES BELLES ENDORMIES qui est fait pour vingt-qua­tre comé­di­ens. J’ai voulu présen­ter DU DÉSAVANTAGE DU VENT parce que j’é­tais con­tent de ce spec­ta­cle et que je souhaitais qu’il vive un petit peu plus que dans une école, mais aus­si parce que c’est un texte apparem­ment incom­préhen­si­ble, fondé sur des langues inven­tées à par­tir du DICTIONNAIRE DE LA MARINE À VOILE, et que je voulais expéri­menter cette chose là : pro­pos­er un pro­jet avec une brochure incom­préhen­si­ble et vingt-et-un comé­di­ens dont aucun n’é­tait con­nu. Le spec­ta­cle a finale­ment pu naître grâce à Éric Vign­er d’abord, puis grâce à Stanis­las Nordey. Pour le sec­ond spec­ta­cle, nous par­tons du même principe, cette fois nous inven­tons des langues à par­tir du DICTIONNAIRE DES COSTUMES. Mon tra­vail de met­teur en scène, c’est autant celui du plateau que celui de met­tre en sens des gens qui ont décidé de tra­vailler ensem­ble, de faire des dossiers, de trou­ver de la doc­u­men­ta­tion. Et c’est ain­si que je fais le lien avec la Comédie Française qui est d’abord une troupe. J’aime la notion de troupe, très nom­breuse, qui cherche à se con­stituer un réper­toire de textes qui soient des matières de théâtre, à son usage. La com­pag­nie nais­sante me per­met aus­si de com­pren­dre le lieu dans lequel je tra­vaille en tant que comé­di­en, la Comédie-Française.

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Écrit par Georges Banu
Écrivain, essay­iste et uni­ver­si­taire, Georges Banu a pub­lié de nom­breux ouvrages sur le théâtre, dont récemment La porte...Plus d'info
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