En 1994, Michèle Fabien écrit UNE LETTRE AUX ACTEURS ?IMPOSSIBLE !, lue à Bruxelles puis à Avignon par Janine Patrick qui, entre autres, avait créé JOCASTE. Quelques années plus tard, après une longue traversée des textes de Michèle Fabien, Nathalie Cornet reprit, le temps de quelques représentations, le rôle de Jocaste.
Dans sa lettre, Michèle Fabien évoque sa difficulté à communiquer, à parler métier et théâtre avec les acteurs, les actrices surtout, celles et ceux qui avaient interprété ses textes. C’est à présent Nathalie Cornet qui nous parle de l’écriture de l’auteur et évoque quelques grandes héroïnes de ce théâtre, réponse d’une comédienne à la lettre aux acteurs.
J’AI D’ABORD joué Martha dans TAUSK, en 1987. Je venais d’achever le Conservatoire, c’était ma première rencontre avec Michèle Fabien et Marc Liebens. Je ne comprenais pas grand chose, j’écoutais, j’essayais de faire ce qu’on me demandait. Ce n’était pas une pièce facile : un homme se penche sur son passé et convoque les femmes qui l’ont accompagné tout au long de sa vie ; on ne sait pas si elles viennent réellement ou si ce sont des fantômes. La femme que je jouais, Martha, était une femme déterminée, forte, qui va de l’avant. Il y avait aussi dans cette pièce le personnage de Lou-André Salomé, qui pose plus encore la question de la femme dans le théâtre de Michèle Fabien. Elle a en effet toujours composé des personnages féminins qui pensent et réfléchissent. Toutes ses héroïnes sont détentrices d’une forme de savoir et d’une parole.
J’ai ensuite joué Berenice dans ATGET ET BERENICE lors de la création de la pièce à Arles. Michèle Fabien avait été attirée par le sujet lui-même : la photographie, et par la rencontre entre la jeune américaine Berenice Abbott, et Atget le vieux photographe. Berenice était un personnage un peu différent des autres, une femme plus contemporaine, plus jeune et plus légère.
Puis, il y a eu Claire Lacombe, Cassandre, Déjanire et Jocaste.
Dans CLAIRE LACOMBE, je devais jouer le rôle de Gabrielle, mais 10 ou 15 jours avant la première, j’ai dû reprendre le rôle de Claire Lacombe. Dans cette pièce, Michèle Fabien redonne la parole à des femmes qui se sont battues et qu’on a oubliées, des femmes que l’histoire a ignorées. Dans le spectacle, Marc Liebens avait refusé Le cliché de révolutionnaires violentes, revendicatrices, qui hurlent dans les rues, le poing levé. Il n’y avait ni action, ni cri. Claire Lacombe est une femme qui réfléchit. Elle essaie d’apporter quelque chose à l’Histoire, d’occuper une place dans l’Histoire. Ce texte et le spectacle mettaient en jeu une parole, un débat, ce que certains spectateurs n’ont pas manqué de nous reprocher.
Plus on avance dans l’écriture ou les adaptations de Michèle Fabien, plus le théâtre y prend une place croissante. Son écriture questionne et joue avec la représentation. Elle a cherché une autre manière d’écrire le théâtre, par une sorte de mise en abîme. Dans CLAIRE LACOMBE, je me souviens de ce passage où l’héroïne explique qu’elle a pris la parole pour la première fois à l’Assemblée : « Je me souviens, cette première fois, c’était comme au théâtre, quand dans le silence on avance vers le noir, vers le trou, vers eux, ceux qui sont là mais que l’on ne voit pas ». Elle en parle comme le ferait une actrice. C’est vraiment une métaphore du théâtre.



