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Le 15 Juin 2004

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Michèle Fabien-Couverture du Numéro 63 d'Alternatives ThéâtralesMichèle Fabien-Couverture du Numéro 63 d'Alternatives Théâtrales
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TOUTE ACTIVITÉ con­naît des débuts. L’écri­t­ure ne fait pas excep­tion. Elle partage avec n’im­porte quel par­cours pro­fes­sion­nel un cer­tain nom­bre de con­stantes. Comme pour toute car­rière, par­ler des débuts, c’est par­ler de pré­car­ité, d’in­cer­ti­tude, de volon­té de réus­sir, du désir de trou­ver sa place. C’est par­ler d’une péri­ode d’ap­pren­tis­sage et d’ef­forts. Cet aspect là n’est pas pro­pre au méti­er d’au­teur. Il car­ac­térise tout com­mence­ment.
En revanche, il est plus dif­fi­cile de définir ce qui se joue dans les débuts d’un point de vue pro­pre­ment artis­tique. Car il ne faut envis­ager alors que la rela­tion intime entre l’homme et son art. Par­ler des débuts en écri­t­ure. Sur Le ter­rain de la page. Avec les mots. Par­ler des pre­mières sur­pris­es, des pre­mières luttes, des pre­miers échecs, de l’af­fir­ma­tion d’une sin­gu­lar­ité.
Il est dif­fi­cile de par­ler d’une péri­ode dans laque­lle, pour une large part, on est encore plongé. Mais il me sem­ble que pren­dre ses mar­ques en écri­t­ure, c’est faire l’ex­péri­ence d’un dou­ble mou­ve­ment. Il faut, d’une part, appren­dre à accepter l’écri­t­ure, à s’y aban­don­ner, à se laiss­er aller là où elle nous porte. Et d’autre part, il faut chercher à y imprimer sa voix. La mar­quer de son sceau. À la con­train­dre donc, comme un corps étrange que l’on serre con­tre soi.
Du pari ini­tial d’écrire à l’en­trée effec­tive en écri­t­ure, il ne s’agit peut-être que de cela : appren­dre l’écri­t­ure, c’est-à-dire accepter ce qu’elle impose, tout en lui imposant son pro­pre désir. 

Le pari ini­tial

Le pari de l’écri­t­ure, on le fait avec soi-même. Le jour où, sans que l’on puisse savoir pourquoi, on se met à sa table et on écrit les pre­mières phras­es d’un texte. Pourquoi par­ler de pari plutôt que sim­ple­ment de ten­ta­tive ou d’es­sai ? C’est que je crois que pour celui qui est un auteur en devenir, il se joue, ce jour-là, quelque chose de plus grave et de plus solen­nel qu’une sim­ple ten­ta­tive. Il n’y a pas d’essai inno­cent. Accepter de jouer, c’est déjà espér­er gag­n­er et pren­dre le risque de per­dre. Ce n’est pas « faire un tour, pour voir ». C’est pari­er. Pari­er que cela a encore un sens, d’écrire aujourd’hui, pour Le théâtre. Pari­er, sans qu’on puisse en savoir rien, que ce qu’on fera pour­ra avoir quelque qual­ité. Pari­er même, plus mod­este­ment, qu’on ira au bout de ce pre­mier texte. Pari­er que cette pre­mière ren­con­tre avec l’écri­t­ure sera le début d’un com­pagnon­nage de tous les instants. Pari­er qu’on a les épaules assez larges pour cela. Pari­er que de cette ren­con­tre avec l’écri­t­ure sor­ti­ra quelque chose. Que l’on saura se pli­er à cette dis­ci­pline et lui impos­er aus­si quelque chose de soi.
Le pari se fait, un beau jour, dans la soli­tude d’une con­science. Il est, je crois, le point de départ de tout chem­ine­ment. La pre­mière expres­sion du désir. Encore hési­tant, mais déjà têtu. 

L’an­nonce 

Je repense tou­jours avec émo­tion à toutes ces généra­tions suc­ces­sives de jeunes gens qui ont un jour pronon­cé cette phrase : « Papa, Maman, je voudrais être comédien(ne).»
Même chose pour l’écri­t­ure. Les débuts sont aus­si car­ac­térisés par cela. L’an­nonce. Il faut avoir l’audace et le courage de le dire. « J’écrirai ». Der­rière cette sim­ple phrase, il faut enten­dre non seule­ment l’ex­pres­sion d’un désir mais aus­si une prise à témoin. Une fois ce désir exprimé, la pres­sion croît. Car ne pas écrire serait, dès lors, un aveu d’échec. Cette annonce fonc­tionne comme une pre­mière prise de risque. Il faut se bat­tre pour ne pas décevoir. S’en tenir à ce que l’on a dit. Annon­cer son désir, c’est se choisir des témoins à son ambi­tion. Et avoir des témoins, c’est pren­dre le risque qu’il y ait des spec­ta­teurs à son échec.
C’est d’au­tant plus déli­cat que cela se fait à une péri­ode ou, par déf­i­ni­tion, l’œuvre n’est pas encore née. C’est donc néces­saire­ment une antic­i­pa­tion, une annonce pré­maturée. On le dit pour s’en con­va­in­cre. On l’annonce pour ne plus pou­voir reculer. On le crie haut et fort pour être con­traint de ten­ter jusqu’au bout l’ex­péri­ence. Et effec­tive­ment, une fois dite, cette phrase con­traint. 

Peu­pler la soli­tude

Écrire est une activ­ité soli­taire. À cela, au moins, on a pu se pré­par­er. Ce à quoi on s’est peut-être moins pré­paré, c’est à la nature de cette soli­tude. Les pre­mières let­tres de refus des maisons d’édi­tion. Les pre­mières cri­tiques. Sans appel. Décourageantes. Ou pire, l’in­dif­férence totale. Les textes qui s’accumulent dans les tiroirs et qui n’ont aucun lecteur. L’ab­sence totale de retour sur ce qu’on écrit. L’incertitude qui en découle quant à la qual­ité de ce que l’on fait. La cer­ti­tude, même par­fois, de faire mal mais l’im­pos­si­bil­ité de rec­ti­fi­er le tir faute de con­seil extérieur. On se demande alors com­bi­en d’années vont pass­er ain­si. Com­bi­en de tiroirs vont se rem­plir avant que la las­si­tude ne l’emporte ?
La soli­tude est évidem­ment inhérente à l’écri­t­ure. Il n’y a pas de rai­son pour qu’elle dis­paraisse avec les années et il est prob­a­ble qu’elle accom­pa­gne un auteur jusqu’à la fin de ses jours. Mais ce qui change peut-être, c’est que durant cette péri­ode des débuts, elle est périlleuse. On est seul lorsque l’on écrit et l’on est seul aus­si lorsque l’on a cessé d’écrire. Accom­pa­g­né par aucun lecteur. Et c’est cette sec­onde soli­tude qui mine le plus et qui, peut-être, est car­ac­téris­tique des débuts. Elle lasse et décourage. D’où l’impérieuse néces­sité de la peu­pler. Par tous les moyens. Faire appel à l’avis des proches. Leur faire lire les textes. En dis­cuter. Lire, aus­si. Pour appren­dre des autres auteurs.
Jusqu’au jour où pour la pre­mière fois, on ren­con­tre quelqu’un par son écri­t­ure et par elle seule. Ce n’est plus un ami où un par­ent qui, vous con­nais­sant, lit ce que vous faites. C’est pour la pre­mière fois quelqu’un, qui ayant lu ce que vous écrivez, vous ren­con­tre. Pour moi, cette per­son­ne, c’est Hubert Gig­noux. Pre­mier regard extérieur sur ce que j’écrivais. Regard cri­tique. Exigeant et bien­veil­lant. Cette ren­con­tre a été essen­tielle. Pré­cieuse et cru­ciale. Parce qu’elle a brisé le cer­cle vicieux de l’écri­t­ure soli­taire. Elle a indiqué une direc­tion. Elle m’a soutenu et me sou­tient encore. Elle a la dou­ble ver­tu de me forcer et de me ren­forcer.

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Écrit par Laurent Gaudé
Lau­rent Gaudé est auteur dra­ma­tique. Il a notam­ment écrit ONYSOS LE FURIEUX pub­lié aux éditions Actes Sud. Il...Plus d'info
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