IL ME SEMBLE que quelques jours après sa moft, son répondeur téléphonique disait encore, au nom de Marc et d’elle, qu’ils n’étaient momentanément pas en mesure de donner la réplique à qui la cherchait. À qui venait prendre de leurs nouvelles.
Ainsi commençait son sommeil. Mais elle n’avait pas quitté la scène. (Je me souviens de longues conversations, nouées la nuit avec Marc. Comme clandestines. Dérobées à la brutalité de l’événement).
Puis il n’y eut plus de message du tout. Marc ne l’avait pas remplacé. Pour lui parler, il fallait tomber sur lui, en direct. On dirait une histoire qui se serait passée durant une guerre.
De fait, il y en avait bien eu une.
La première fois que je l’ai réentendu, ce message, alors que Michèle n’était plus, ça a été plus fort que moi. Je lui ai répondu. Pris au dépourvu par cette voix. Qui forçait encore qu’on parle. Qu’on parle à Marc de la voix de Michèle.
Il y a encore le souvenir du message de Michèle sur son répondeur. Je me demande si toute son œuvre n’a pas été conçue sut ce modèle. Cette façon de dire d’emblée qui on est.
« Je m’appelle Jocaste. »
«Là où il y a de la haine, je suis ; là où il y a de l’amour, je suis aussi. » (L’embaumeuse dans DÉJANIRE.)
« Moi, je suis un morceau des morts » (CASSANDRE).
On décline — ou mieux : on affirme une identité.
Et pas seulement de certaines femmes légendaires, ou mythiques. Mais aussi celle d’hommes en vie. Tous, seulement, comme Tausk, en danger de mort.
Elle savait de quoi elle parlait. Son intelligence consistait surtout à pressentir la menace.
«Nous sommes nées mortes », faisait-elle dire à Claire Lacombe. Et « Nous sommes l’abîme de l’Histoire. »
Toute son œuvre a maille à partir avec la mort. Il faudra encore écouter longtemps ce qu’elle nous en disait. Pour mesurer la portée de ses avertissements. De ses mises en garde.
Où finissait Marc, où commençait Michèle ?
Eux-mêmes n’auraient pu, sans doute, le dire.
Ils ne travaillaient pas ensemble seulement. Il y avait Michèle. Marc. Et en plus d’eux : Marc et Michèle.
Marc va devoir continuer de montrer cela. Seul ? Sans doute. Investi, sûrement. Accompagné.
Elle s’est colletée avec les Grecs, Kleist, Duras, Pasolini : tous ceux qui toisaient la mort.
Dans ce travail de deuil, jamais elle ne sacrifait au morbide.
Il y avait de l’allégresse dans son approche. Une amitié secrète.
Elle a lu LES BONS OFFICES et UNE PAIX ROYALE sur un mode festif.
À l’écart des approches doctrinaires, des amalgames, des réductionnismes, des simplifications — qui sont autant de terrorismes intellectuels —, elle était folle de comprendre.
Parfois elle répondait à la question par une autre question. Ou elle la précédait.
Elle répondra désormais à nos interrogations, nos perplexités. Plus vite que son ombre.



