Un compagnonnage pour la culture wallonne
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Un compagnonnage pour la culture wallonne

Entretien avec Jacques Dubois

Le 27 Jan 2001

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Jean Louvet-Couverture du Numéro 69 d'Alternatives ThéâtralesJean Louvet-Couverture du Numéro 69 d'Alternatives Théâtrales
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NANCY DELHALLE : Vous vous rap­prochez de Jean Lou­vet dans le cadre du mou­ve­ment pour une cul­ture wal­lonne auquel vous prenez part tous les deux. Pou­vez-vous retrac­er le con­texte dans lequel ce mou­ve­ment s’est inten­si­fié ? 

Jacques Dubois : Nous avions eu, Lou­vet et moi, plusieurs con­ver­sa­tions qui touchaient à la dérélic­tion cul­turelle et intel­lectuelle de la Wal­lonie. Dans Car­ré-mag­a­zine, dont l’ex­is­tence fut brève, nous met­tions l’ac­cent sur la mécon­nais­sance de cette cul­ture, sur le silence des intel­lectuels. Il y avait eu aus­si, à la librairie Pax à Liège, une présen­ta­tion du livre LA BELGIQUE MALGRÉ TOUT, ensem­ble de textes recueil­lis par Jacques Sojch­er. Le livre qui pro­po­sait aux créa­teurs d’adhérer à une Bel­gique en creux, à un pays se définis­sant néga­tive­ment, nous parais­sait stim­u­lant. Mais nous avions l’im­pres­sion aus­si qu’il ne nous représen­tait pas. Ce « creux » pour nous était un luxe brux­el­lois ; les Wal­lons souhaitaient aller, au con­traire, vers une pleine con­science de leur iden­tité. Forts de ce sen­ti­ment, Lou­vet et moi avons sus­cité la ren­con­tre avec Jean-Jacques Andrien, Julos Beau­carne, José Fontaine et Michel Quévit, et un pre­mier noy­au s’est con­sti­tué. 

Jean Lou­vet, à ce moment, est déjà plongé dans toute une réflex­ion sur le des­tin de la Wal­lonie. Après les grèves de 60, il s’est engagé dans une expéri­ence de théâtre poli­tique. Mais cha­cun de nous avait alors abor­dé la ques­tion du des­tin wal­lon selon son pro­pre par­cours. Car les grèves de 60 ont été déci­sives pour notre généra­tion1. André Renard2 qui en avait pris la tête avait lancé le grand thème du fédéral­isme et des réformes de struc­ture, avait ensuite fondé le Mou­ve­ment Pop­u­laire Wal­lon qui rassem­blait la gauche wal­lonne et auquel nous étions nom­breux à avoir adhéré. Or, au début des années 80, le fédéral­isme se met en place et une Région wal­lonne va bien­tôt exis­ter. C’est une vic­toire mais nous la jugeons toute par­tielle parce que le levi­er économique mis en place n’est pas dou­blé par un levi­er cul­turel. 

Dès lors, au début des années 80, notre ren­con­tre prend un nou­veau sens. Com­ment faire émerg­er une cul­ture ? Plus immé­di­ate­ment encore : com­ment faire pour que les gens de cul­ture aient en Wal­lonie l’occasion de se ren­con­tr­er et de se par­ler ? Nous sommes de La Lou­vière, de Gem­bloux, de Liège ou du Bra­bant wal­lon et, soudain, nous avons envie de nous fréquenter. Un autre axe se met en place, une alter­na­tive à Brux­elles. Nous décou­vrons ain­si dans le con­cret que la Wal­lonie n’a pas le dis­cours de son his­toire, que ses intel­lectuels et artistes man­quent d’un point de rassem­ble­ment. Lou­vet apporte l’idée forte qu’un peu­ple n’ex­iste que s’il donne des représen­ta­tions de lui-même et, que pour y arriv­er, il lui faut des œuvres, des per­son­nal­ités, des emblèmes. C’est ain­si que de très petites nations peu­vent ray­on­ner à l’é­tranger, telle que l’Ir­lande avec des écrivains comme Syn­ge ou Joyce. La Wal­lonie a donc besoin de s’affirmer sans retard par sa cul­ture, et par une cul­ture qui ne soit pas seule­ment dialec­tale ou folk­lorique. 

N. D.: En tant qu’in­tel­lectuel, vous béné­fici­iez déjà d’une renom­mée inter­na­tionale. À quoi cor­re­spondait ce besoin de recon­nais­sance de la cul­ture régionale à laque­lle vous appartenez ? 

J. D.: C’est vrai que, du point de vue de mes travaux uni­ver­si­taires, je n’é­tais pas dans le repli. J’avais pub­lié à Paris, enseigné aux États-Unis. Le Groupe μ3 dont je fai­sais par­tie,’ avait un reten­tisse­ment inter­na­tion­al. D’ex­péri­ence je savais que la Wal­lonie n’avait guère d’im­age à l’é­tranger. Or, j’avais été ren­du sen­si­ble très tôt à mon appar­te­nance. D’abord par un père résis­tant et mem­bre de Wal­lonie Libre4. Ensuite par ma par­tic­i­pa­tion à un jour­nal d’é­tu­di­ants assez imper­ti­nent, LA PENNE, qui se dis­ait « franc Wal­lon » et avait un engage­ment poli­tique. 

N. D.: Quels étaient, à l’époque du MANIFESTE POUR UNE CULTURE WALLONNE, les con­tours du con­cept de cul­ture wal­lonne ? Con­cept qui est à con­sid­ér­er non comme une essence mais davan­tage comme une con­struc­tion. 

J. D.: Ce fut un objet de débat récur­rent. Nous décou­vri­ons au fur et à mesure qu’il fal­lait nour­rir ce con­cept. Par exem­ple, nous étions atten­tifs à l’idée que la Wal­lonie était con­sti­tuée de Wal­lons de souche mais aus­si de beau­coup de gens venus d’ailleurs, instal­lés chez nous pour y tra­vailler et y faire leur vie. Donc il fal­lait d’emblée écarter l’idée d’une appar­te­nance eth­nique. Il fal­lait égale­ment défendre ou faire accepter la notion de cul­ture mineure. 

Étouf­fée par la Bel­gique, une Bel­gique très arti­fi­cielle à maints égards, la cul­ture de Wal­lonie avait besoin de tout un tra­vail d’i­den­ti­fi­ca­tion et de réaf­fir­ma­tion. Un tra­vail social. La cul­ture wal­lonne ne s’offrait pas toute faite. En out­re, elle ne se lim­i­tait pas à des musi­ciens, des écrivains ou des cinéastes, mais englobait égale­ment des façons de vivre, de tra­vailler, de penser. Jean Lou­vet pou­vait ain­si déclar­er de façon provo­cante : nous en sommes encore à l’âge de la pomme de terre ! Et c’é­tait façon de dire qu’il y avait, dans la tra­di­tion wal­lonne, tout le sou­venir d’an­nées de pénurie et de souf­france. Toute une pos­ture archaïsante aus­si. 

N. D.: Com­ment s’est élaboré le MANIFESTE POUR UNE CULTURE WALLONNE ?

J. D.: Le groupe de départ com­mence à éla­bor­er quelques thès­es et rédi­ge un texte. Nous revendiquons donc de dou­bler le pro­jet fédéral­iste, qui est social et économique, d’un pro­jet cul­turel. Nous arrivons aus­si à la con­clu­sion que la Com­mu­nauté française de Bel­gique telle qu’elle se met en place n’est pas apte à nous sat­is­faire et que la Région wal­lonne devrait être com­pé­tente en matière cul­turelle et en matière d’en­seigne­ment. Une cen­taine de per­son­nes se réu­niront, dis­cuteront le texte et le signeront avec nous. Comme le Par­ti Social­iste est alors au pou­voir, avec Philippe Moureaux à la Cul­ture, et que beau­coup d’entre nous sont mem­bres ou proches de ce par­ti, il nous paraît impor­tant de ren­con­tr­er Moureaux. Les objec­tions sont solides, la dis­cus­sion ten­due. Néan­moins, en cet automne 1983, nous lançons le Man­i­feste à tra­vers des con­férences de presse tenues le même jour à Liège, Charleroi et Brux­elles. 

À pos­te­ri­ori, Je pense que nous auri­ons dû don­ner plus d’ampleur à la dif­fu­sion de ce Man­i­feste et appel­er ceux qui s’y recon­nais­saient à nous rejoin­dre. Sur le moment, le Man­i­feste fit du bruit mais au total son effet se dilua trop vite. Nous n’avons pas réus­si, je pense, à en gér­er l’im­pact. Il aurait sans doute fal­lu que l’un de nous se fît le leader du mou­ve­ment mais celui-là ne s’est pas trou­vé. Par ailleurs, du côté de la gauche, ce fut assez large­ment la con­spir­a­tion du silence : peur de com­pro­met­tre les équili­bres poli­tiques, les alliances Brux­elles Wal­lonie. 

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Écrit par Nancy Delhalle
Nan­cy Del­halle est pro­fesseure à l’Université de Liège où elle dirige le Cen­tre d’Etudes et de Recherch­es sur...Plus d'info
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