UNE ÉCRITURE pour la marionnette devrait être aussi naturelle qu’un texte pour le théâtre, ou alors serait-ce suffisant d’agiter un morceau de bois couvert d’un chiffon en émettant quelques borborygmes mettant en joie un public ; c’est une approche qui a beaucoup été employée et j’avoue même y avoir pris du plaisir.
La marionnette n’échappe pas au phénomène du balancier qui existe dans tous les domaines artistiques. Le texte a été important lorsque Guignol se moquait des monarques et des bourgeois. Bien sûr, il ne s’agissait pas d’un « beau texte », mais il utilisait le langage de la rue et de ce fait, il prenait une existence véritable car authentique. Sans être historien de la marionnette, il me semble que le texte a existé tout au long du XIXᵉ siècle et au début du XXᵉ, point n’est besoin pour le vérifier de citer Lorca, Sand ou Claudel, mais tous ces écrivains considéraient ces petits personnages comme de véritables objets passeurs de textes.
Le balancier évoqué plus haut est reparti dans l’autre sens, celui de l’absence de texte au bénéfice d’univers poétiques et d’histoires sans parole, un peu comme à l’opéra au XIXᵉ siècle où le texte a sombré dans le ridicule au profit de vocalises prolifiques, mais dans le domaine des marionnettes, ce fut un siècle plus tard.
Ne boudons cependant pas les merveilles qui nous furent offertes dans ces moments-là : la conquête de l’espace entier du plateau pour des mises en scène hors castelet. On pense au Bread and Puppet Theatre et à des spectacles plus intimistes mais tout aussi stupéfiants de Robert Anton jouant au plus près d’une quinzaine de spectateurs ou encore récemment au somptueux Triangel.
Le texte a continué à être utilisé par d’autres marionnettistes, certains ne l’ont jamais abandonné, mais très souvent, trop souvent à travers l’adaptation, car raconter une histoire semblait nécessaire, une belle histoire. La marionnette nous ramène à l’imagination enfantine comme Miró l’a fait en peinture.
Le problème du texte et de la marionnette a été longtemps lié à l’enfermement du marionnettiste dans son cercle artisanal. Longtemps et encore aujourd’hui on construit, on adapte un texte, on manipule, que de talents faut-il avoir à l’intérieur de cet artisanat ? Alors, comment faire ? Comment trouver l’écrivain avec lequel on a envie de faire un parcours ? Comment travailler avec lui ? Y a‑t-il une écriture spécifique pour la marionnette ? J’ai envie de répondre oui et non. Bien sûr, on n’écrit pas du théâtre comme un roman, ni comme un scénario de cinéma, je pencherais plutôt pour le livret d’opéra car je pense que l’écriture pour la marionnette doit être en creux pour laisser, comme pour le lyrique, la musique passer. Nous revoilà au système du balancier, trouver l’équilibre entre le texte et le visuel mais trouver avant tout l’auteur qui vous correspond, celui dont l’univers portera celui du marionnettiste, c’est la rencontre entre Mozart et Da Ponte qui a donné de grands opéras, c’est Maeterlinck et Debussy qui nous enchantent avec Pelléas et Mélisande, c’est Japelle et Beckett qui nous ont fait dire que nous ne pourrons plus jamais voir Fin de partie au théâtre. Alors, ne hurlons pas avec les loups en disant qu’il n’y a pas d’auteur pour la marionnette. Il suffirait aux marionnettistes d’un peu de curiosité pour lire des textes qui ne seront pas écrits pour eux dans un premier temps, mais qui les feront entrer dans l’univers des écrivains. Il faut casser les barrières comme dans beaucoup de domaines artistiques, il faut des lieux pour que la rencontre soit possible, les auteurs n’attendent que ça pour découvrir d’autres terrains d’aventures.
Répondant à la demande de THEMAA1, le CNES a proposé un laboratoire au cours duquel marionnettistes et auteurs pourraient faire connaissance, rencontre entre deux univers de créateurs et écrivains.
Un laboratoire pose d’emblée la question que tout ne s’écrit pas de la même façon dans chaque domaine artistique. Les marionnettistes invités par THEMAA et les écrivains conviés par le CNES ont pris conscience de cette problématique au fil de plusieurs réunions où ils ont appris à se connaître, où les diverses sensibilités artistiques se sont confrontées, où chacun a pu approcher les pistes explorées par l’écrivain.
Les ambitions du CNES ne s’arrêtent pas à l’écriture, la cohérence de notre travail nous implique dans la diffusion du texte à travers des propositions de projets de création. Ce furent les Contemporaines de la Marionnette, déjà deux éditions pendant les rencontres d’été de la Chartreuse où chaque équipe artistique a pu présenter ses intentions et les pistes qu’elle voulait explorer, tout ceci en présence des auteurs. Huit spectacles ont déjà vu le jour. Souhaitons leur « longue vie ».
- THEMAA, association française des Théâtres de Marionnettes et des Arts Associés. ↩︎

