Le théâtre, service public
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Le théâtre, service public

Le 30 Oct 2004
Article publié pour le numéro
Le théâtre dans l'espace social - Couverture du Numéro 83 d'Alternatives ThéâtralesLe théâtre dans l'espace social - Couverture du Numéro 83 d'Alternatives Théâtrales
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Entretien avec Henry Ingberg
Henry Ingberg est Secrétaire général du Ministère de la Communauté française, Wallonie-Bruxelles. Il est également professeur pour la gestion des institutions culturelles à l’Institut des Arts de Diffusion (IAD) et au Centre d’Études théâtrales (CET) de l’Université de Louvain.

Bernard Debroux : Tu as pu suiv­re de près et par­ticiper à la poli­tique du théâtre en Com­mu­nauté française ces trente dernières années.Comment a‑t-elle évolué ? Le paysage théâ­tral a‑t-il beau­coup changé ? Les moyens financiers ont-ils aug­men­tés ? Ont-ils été répar­tis dif­férem­ment ? Quelle place le théâtre occupe-t-il au sein des autres domaines artis­tiques et cul­turels ?

Hen­ry Ing­berg : Le théâtre a con­sid­érable­ment changé. Quan­ti­ta­tive­ment et qual­i­ta­tive­ment. On a assisté à une crois­sance impres­sion­nante de com­pag­nies à voca­tion pro­fes­sion­nelle. J’entends par là une activ­ité qui se développe dans la per­spec­tive d’un méti­er pra­tiqué à temps plein, même si pour un cer­tain nom­bre de per­son­nes au sein de ces com­pag­nies, la volon­té de tra­vailler à temps plein se heurte à la lim­ite des sub­ven­tions obtenues. La crois­sance est donc très impor­tante. Mais s’il y a eu un effort sys­té­ma­tique d’implantation en Wal­lonie, il reste qu’à peu près 80 % des théâtres ont leur siège à Brux­elles. L’implantation des cen­tres dra­ma­tiques en Wal­lonie tradui­sait la volon­té d’en faire des lieux de créa­tion mais aus­si des lieux de polar­i­sa­tion et de coor­di­na­tion des dif­férentes ini­tia­tives dans leur région. Mal­gré cela il faut recon­naître que la créa­tion de nou­velles com­pag­nies à voca­tion pro­fes­sion­nelle reste plus impor­tante à Brux­elles qu’en Wal­lonie. Sans doute parce qu’on trou­ve à Brux­elles un pub­lic poten­tiel plus impor­tant et plus directe­ment acces­si­ble, alors que dans les régions il y a un tra­vail de défrichage plus impor­tant à faire pour trou­ver de nou­veaux publics. Il y a là une réflex­ion à men­er en con­cer­ta­tion avec la pro­fes­sion. Est-ce que cette crois­sance quan­ti­ta­tive des com­pag­nies a eu un impact sur l’élargissement des publics ? Est-ce que ce pub­lic se répar­tit dif­férem­ment ? On a des répons­es intu­itives. Le dernier qui, avec l’appui du Min­istère, a tra­vail­lé sur cette ques­tion, c’est Michel Kacene­len­bo­gen au moment de la créa­tion du théâtre « Le Pub­lic ». Il tenait à l’époque un dis­cours dis­ant que les sub­ven­tions n’étaient pas indis­pens­ables. L’enquête qu’il avait réal­isée s’était heurtée à la cri­tique d’un cer­tain nom­bre de théâtres sub­ven­tion­nés qui se sen­taient injuste­ment remis en ques­tion. C’est dom­mage car on n’a pas eu cette mise à plat intéres­sante pour ten­ter de cern­er avec pré­ci­sion le nom­bre et les car­ac­téris­tiques des publics du théâtre. Il ne s’agit pas de ren­dre les com­pag­nies pris­on­nières d’un sys­tème d’audimat, mais ne pas savoir pré­cisé­ment à quel pub­lic on s’adresse et ne pas pou­voir fournir des don­nées pré­cis­es qual­i­ta­tives et quan­ti­ta­tives, c’est un point qui fait prob­lème. Et, curieuse­ment, il y a incon­testable­ment une réti­cence à traiter cette ques­tion. En revanche pour ce qui est du réper­toire, des lieux, du nom­bre des représen­ta­tions, des élé­ments budgé­taires, on a absol­u­ment toutes les infor­ma­tions néces­saires. Qual­i­ta­tive­ment, l’évolution est aus­si très sig­ni­fica­tive. On a vu arriv­er des gens qui ont apporté un souf­fle nou­veau dans le domaine du théâtre, aban­don­nant les formes « clas­siques » pour dévelop­per des formes de créa­tions con­tem­po­raines. Ce mou­ve­ment qu’on a appelé à ses débuts celui du Jeune Théâtre a accom­pa­g­né la créa­tion de courants (théâtre du corps, théâtre cri­tique, théâtre-action, théâtre pour l’enfance et la jeunesse). On a même vu ces dernières années le renou­velle­ment de gen­res comme le « boule­vard » avec des expéri­ences comme celle du Théâtre de la Toi­son d’or. On voit donc que l’éven­tail des types de théâtre s’est con­sid­érable­ment élar­gi à tel point qu’il est même devenu dif­fi­cile de les ranger dans des caté­gories, car on se trou­ve face à une indi­vid­u­al­i­sa­tion des pro­jets remis par leurs auteurs et à leur volon­té affir­mée de défendre leur orig­i­nal­ité. Toute cette évo­lu­tion a fait que nous ne sommes plus du tout en face d’un paysage sem­blable à ce qu’il était il y a quelques dizaines d’années. On se trou­ve con­fron­tés à une évo­lu­tion quan­ti­ta­tive et qual­i­ta­tive remar­quable, comme si l’activité théâ­trale générait elle-même au fur et à mesure de nou­velles ini­tia­tives. Par rap­port à cela, le rôle du finance­ment par les pou­voirs publics reste pri­mor­dial et joue à deux niveaux : les aides doivent per­me­t­tre aux artistes de créer dans des con­di­tions pro­fes­sion­nelles et donc servir à pay­er les dif­férentes étapes qui amè­nent les pro­jets sur le plateau, mais aus­si per­me­t­tre au pub­lic d’accéder aux représen­ta­tions dans des con­di­tions finan­cières accept­a­bles sans avoir à sup­port­er les coûts réels des pro­duc­tions. A cet égard il est intéres­sant de revenir à l’expérience du théâtre « Le Pub­lic ». L’intention affir­mée et proclamée de son ani­ma­teur était qu’un théâtre de qual­ité pour un large pub­lic est pos­si­ble sans sub­ven­tions. En réal­ité il a bien fal­lu con­stater que pour un cer­tain type de théâtre (que ce soit Tchékhov, Brecht et a for­tiori les auteurs con­tem­po­rains), dès qu’on arrive sur le plateau avec plus qu’une per­son­ne et qu’on veut aus­si tra­vailler avec les dif­férentes tech­niques du théâtre (décors, lumières, son, cos­tumes), dans une salle de 400 places, on doit mon­ter con­sid­érable­ment le prix des places et on provoque alors une ségré­ga­tion du pub­lic par l’argent. D’où la néces­sité des sub­ven­tions publiques, dont béné­fi­cie aus­si à présent le théâtre « Le Pub­lic ». C’est donc la volon­té d’accompagner pro­fes­sion­nelle­ment les dif­férentes étapes de la créa­tion et le souci de per­me­t­tre l’accès démoc­ra­tique aux représen­ta­tions qui légiti­ment l’intervention des pou­voirs publics dans l’économie des théâtres. En matière budgé­taire, il faut savoir que dans le domaine du théâtre, comme dans celui de la musique qui a des dimen­sions budgé­taires com­pa­ra­bles, 60 % au moins des moyens publics sont octroyés aux grandes insti­tu­tions. Ce qui sig­ni­fie pour le théâtre qu’à côté du Théâtre Nation­al et des grandes com­pag­nies soutenues par des con­trats pro­grammes, on se trou­ve face à un grand nom­bre de jeunes com­pag­nies qui pra­tiquent un sys­tème qui oblige leurs mem­bres à un va-et-vient entre le chô­mage et des péri­odes d’engagement, ce qui sociale­ment, morale­ment et artis­tique­ment est tout à fait con­testable. Pour le théâtre comme pour la musique, on a des bud­gets impor­tants (de l’ordre de 35 mil­lions d’euros cha­cun), avec une crois­sance par­mi les plus fortes dans nos bud­gets d’une année à l’autre, et ils se révè­lent pour­tant insuff­isants… L’activité se développe plus rapi­de­ment que l’augmentation des fonds publics qui seraient néces­saires. Ce sera un des grands débats que nous aurons à l’occasion des états généraux de la cul­ture. On peut certes imag­in­er d’abandonner cer­taines expéri­ences pour per­me­t­tre à d’autres de pren­dre le relais, mais je crains que ça ne per­me­tte pas d’inverser la ten­dance que je viens d’indiquer. Ce qui a changé égale­ment, c’est le cadre insti­tu­tion­nel. On était resté très longtemps dans le cadre de l’arrêté roy­al de 1957 qui organ­i­sait le théâtre avec des procé­dures régle­men­taires : on perçoit des sub­ven­tions si on engage x comé­di­ens, etc. L’effet per­vers de ce sys­tème était que, pour avoir des sub­ven­tions, il fal­lait d’abord engager des gens, ce qui entraî­nait une forme de cav­a­lerie. Les sub­ven­tions venaient plus tard, après que les dépens­es aient été effec­tuées et plus on engageait de comé­di­ens, plus on avait de sub­ven­tions, mais qui cou­vraient les dépens­es de l’année précé­dente. On allait dans le mur ! Il en a résulté une série de déficits cumulés qui étaient dus, prin­ci­pale­ment, à la volon­té d’augmenter l’activité des théâtres plus qu’à la mau­vaise ges­tion. Cela a abouti à une série d’opérations visant à remet­tre les comp­teurs des déficits à zéro, mais c’était chaque fois ponctuel et, les caus­es sub­sis­tant, on repar­tait générale­ment vers un nou­veau déficit. Bien plus, ceux qui retrou­vaient un équili­bre budgé­taire finis­saient par penser qu’ils avaient péché par timid­ité et naïveté. C’est cette analyse qui a débouché en 1992 sur la poli­tique des con­trats-pro­grammes. Cette poli­tique a per­mis aux pou­voirs publics d’arrêter l’inflation d’aménagement des lieux (cer­tains théâtres util­isant une par­tie impor­tante de leurs sub­ven­tions pour amé­nag­er des bâti­ments) et aux théâtres de pou­voir dévelop­per leurs pro­jets à moyen et long terme puisque le con­trat-pro­gramme assur­ait des aides finan­cières régulières pour des péri­odes de 4 ou 5 ans. On respec­tait ain­si l’originalité des pro­jets sans les soumet­tre à des normes automa­tique­ment appliquées. Le décret sur les arts de la scène qui est venu ensuite fait la syn­thèse de tous les élé­ments qui ont été expéri­men­tés dans les rap­ports ini­tiés par les pou­voirs publics en con­cer­ta­tion avec le secteur théâ­tral. Ce décret intè­gre le sys­tème des con­trats-pro­grammes et des con­ven­tions. Il intè­gre les aides aux pro­jets qui avaient été défi­nis dans un autre arrêté roy­al et il intè­gre aus­si le théâtre-action, le théâtre de rues et le théâtre forain. Donc on voit que l’évolution de la poli­tique a été de sta­bilis­er une série d’institutions pour leur don­ner un cadre de tra­vail solide dans une cer­taine durée, tout en per­me­t­tant à des ini­tia­tives nou­velles de voir le jour. Le décret per­met aus­si des dia­logues et des ponts entre les insti­tu­tions et ces ini­tia­tives nou­velles. Il ne s’agit pas de régler ce prob­lème de manière autori­taire et régle­men­taire.

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Bernard Debroux
Écrit par Bernard Debroux
Fon­da­teur et mem­bre du comité de rédac­tion d’Al­ter­na­tives théâ­trales (directeur de pub­li­ca­tion de 1979 à 2015).Plus d'info
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