Antonin Artaud et le Mexique

Antonin Artaud et le Mexique

Le 28 Jan 2005

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Jean Christophe Lauwers-Couverture du Numéro 84 d'Alternatives ThéâtralesJean Christophe Lauwers-Couverture du Numéro 84 d'Alternatives Théâtrales
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J’AI COMMENCÉ À PRATIQUER L’ARTAUD.

Joyce babélisme à rebours, pas plus qui Artaud, ils divisent et rela­tent les griffes effacées, les rages, les entre­chocs, mots pas choses, tropes du temps, flux des frag­ments, spi­rales aux mille tours dans le sac des langues.
Éric Clé­mens, De r’tour, TXT Édi­tions.

Je ne pour­rai me repos­er tant que ceux qui n’ont jamais voulu de moi ne seront pas élim­inés.
Antonin Artaud, Cahi­er de Rodez, Édi­tions Gal­li­mard.

L’oc, ce n’est pas nou­veau, naît d’Artaud, de « L’Arve et l’aume », de l’œuf qui « narmis­sait à vue d’œil, s’en trou­vant doc vers l’oc de l’oc humain. L’oc naît de la bar­baque, du zob et du caca, l’oc naît avec la langue mas­toc d’Antonin le marteau, chanteur glos­salique de l’oc, tirant de toutes ses forces la boule à cris, la boule à gli. »

J’ai com­mencé à pra­ti­quer l’Artaud.
Pour venger la bous­ti­faille
la langue
— et le cru.

J’ai voulu longtemps comme Artaud me venger de ceux qui n’ont jamais voulu de moi. Des patrons-mères et cen­tre-minets, des grossess­es immon­des et intrin­sèque­ment vul­gaires. J’ai voulu pren­dre à l’homme son trem­ble­ment inspiré.
J’ai voulu cela et je me suis trompé parce que mes ten­ta­tives étaient essen­tielle­ment poé­tiques. Il n’y a pas de place chez Artaud pour la poésie, pas de place pour la pose prosodique, pour la lit­téra­ture, pas de place pour le verbe et le mot. Au com­mence­ment était Artaud, et la souf­france d’Artaud, et le lan­gage vrai d’Artaud. Con­tiguë­ment était le Doc­teur Fer­dière, Bre­ton, et la clique des poètes suiv­istes (Pre­v­el, Thomas l’assassin de la glos­salie, Pichette1 le singeur inan­imé…). Après était le pal de Bataille. Et l’Histoire s’arrête là. Parce que juste­ment Artaud est « entré dans l’Histoire pour en décourager l’entrée ».
Quelques hal­lu­cinés pour­tant s’y sont risqués, Pri­gent, Ver­heggen, Clé­mens, Le Pil­louër. Je veux sig­ni­fi­er par là que la revue TXT, qui pen­dant plus de vingt ans fut la seule à pren­dre en compte le froid pre­mier qui s’emparait d’Artaud, fut le seul espace où l’on fit du respect ter­ri­fié qu’inspirait le Mômo autre chose que du repi­quage chro­mo et du post-mod­ernisme fadasse ; l’on fit de cette revue le lieu de toutes les moder­nités.
Parce qu’Artaud c’était le mod­erne. Et le mod­erne n’est pas l’affinement tech­nologique du pathétisme roman­tique ou du poli­tique­ment cor­rect. Le mod­erne aujourd’hui, c’est, comme Artaud, appren­dre à désécrire avec des bâtons, le mod­erne c’est faire de la « décom­po­si­tion française2 », c’est s’engager totale­ment, corps et âme dans une langue du « vital­isme pul­sion­nel », c’est « capter les sons qu’on a dedans » et fon­dre avec ça, c’est inven­ter un véri­ta­ble « hard poé­tique ».
J’ai tra­vail­lé pen­dant deux ans, vers la fin, avec ces écrivains, et c’est là que j’ai vrai­ment ren­con­tré Artaud. C’est là que j’ai décidé réelle­ment de me lancer dans le théâtre. Non pas qu’ils y fussent eux-mêmes impliqués, bien au con­traire, le théâtre leur était et leur est tou­jours étranger, mais parce que je croy­ais qu’il était vital de faire com­pren­dre aux épipha­nies de la dernière heure que la ques­tion d’Artaud pose à la scène n’est pas
« théâtre de texte ou théâtre de corps »
mais
« théâtre de lan­gage vrai ou pas théâtre du tout ».

Il n’y a pas à être pour ou con­tre le théâtre d’Artaud, parce qu’Artaud ne par­le pas du théâtre mais du dou­ble du théâtre. Artaud nous par­le d’un théâtre où l’homme n’est pas tenu.

« Un homme quand on ne le tient pas est un ani­mal sen­suel et a en lui une espèce de trem­ble­ment inspiré », l’homme quand il n’est pas tenu devient un ath­lète de l’affectif, un acteur.

On touche au cen­tre même de l’art du théâtre :
on touche au TROU DU CUL DE L’ACTEUR. Et on lui enfonce son trou au plus pro­fond de son être. Et on le déchire. Et seule­ment comme cela, lorsqu’il est malade de sa viande, il trou­ve sa langue, celle qui dit « c’qu’on n’sait pas » : la nais­sance de l’homme, du lan­gage.

Artaud c’est ça ! C’est la langue-vian­dox, c’est les sons qui s’extirpent du tout-au-fond, c’est le « c’qu’on n’sait pas » qui ressur­git. Et c’est pour ça qu’il est urgent de revenir à lui, c’est pour ça qu’il est urgent d’écouter (ou de voir grâce à Gérard Mordil­lât et Jérôme Prieur) ceux qui con­nais­saient la réelle souf­france d’Artaud, ceux qui savaient que lorsqu’Artaud dis­ait qu’il était le Christ, il était le Christ.

Parce qu’au corps d’Artaud on ne touche pas.
Parce qu’au gaz puant qui le con­stitue on ne touche pas.

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