Mes chers amis,
si nous devions tenter de donner une définition à nos désirs, allons‑y, du moins, moi, je me jette à l’eau. Je n’ai pas envie de faire du théâtre, je n’ai pas envie d’être un artiste, encore moins metteur en scène. J’ai juste besoin de faire le Théâtre de l’oc, de trouver, d’inventer mon langage, de le confronter aux vôtres et de les transformer en une langue commune, la langue de l’oc. C’est mon objectif, c’est mon envie. Croyez bien que je ferai tout pour atteindre cet objectif, même si l’entièreté des jeunes artistes me crachent au visage, même si je dois me faire autant d’ennemis qu’il y a de mafieux en Russie. Je n’ai pas l’illusion que cette ambition soit atteignable dans le paysage actuel de la Belgique, je sais que la compromission ou la collaboration avec les grandes institutions de notre pays n’est pas la solution, je sais que nous n’avons aucun espoir d’être intégré au paysage classique du théâtre, je sais que nous n’aurons jamais assez d’argent, je sais que nous allons être de moins en moins aimés par nos pairs (pères), mais je suis prêt à prendre ce risque. La solution pour le Théâtre de l’oc, c’est de tout créer lui-même, de s’inventer ses institutions, de créer son propre paysage théâtral.
C’est une solution qui paraît simple, facile, efficace, mais c’est aussi une solution suicidaire, démente et imbécile si nous n’avons pas l’assurance que chacun d’entre nous est prêt à s’investir totalement dans l’aventure, si nous n’avons pas l’assurance que chacun défend la même envie, la même idée, le même discours.
Nous devons avoir l’assurance que chacun d’entre nous a la passion de son métier et est prêt à faire des sacrifices financiers, professionnels et personnels pour atteindre notre objectif. Nous devons être sûrs que chacun d’entre nous est fier du nom « Théâtre de l’oc », nous devons être sûrs que chacun a conscience de sa signification.
Ceux qui nous ont rejoints au fil des années (4 déjà) ont, j’espère, conscience que nous n’avons jamais émis aucune promesse à leur égard. Je n’ai, pour ma part, dit à personne, s’il s’agit d’un acteur par exemple : « Viens et tu auras des rôles ». Il n’y a pas des gens qui sont là pour jouer, d’autres pour mettre en scène, des troisièmes pour faire de la technique, il n’y a que des gens qui sont là pour construire le Théâtre de l’oc, peu importe le moyen.
Nous ne sommes pas dans la configuration habituelle d’un théâtre, d’une compagnie : il y a quatre metteurs en scène potentiels, nous ne sommes pas là pour en servir un spécifiquement, il n’y a pas, et il n’y aura jamais de maître, de gourou, il ne doit jamais y avoir de jeu personnel dans notre groupe, sinon il sera mort d’ici peu.
À plusieurs reprises, j’ai entendu lors de réunions ou de conversations de cafés que le Théâtre de l’oc ignorait les réalités de la vie, que pour un comédien, jouer était aussi un moyen de subsistance et que des propositions, ça ne se refuse pas.
Je suis d’accord, le présent, le repas du soir, c’est la réalité. Mais la réalité, c’est aussi et surtout l’avenir, le présent de demain. Si le Théâtre de l’oc continue à s’affirmer comme un théâtre revendicatif, tranchant, innovant, on ne peut pas se permettre d’aller dans des directions opposées, de courir après l’emploi sans y regarder de plus près, car ainsi, nous perdrons notre crédit, notre sérieux, et nous n’aurons aucun avenir.
Jean-Marie Piemme me disait l’autre jour : « Ou dans cinq ans le Théâtre de l’oc est le plus important de Belgique et est amené à prendre des décisions importantes, ou il sera mort, et définitivement. » Il avait raison, il connaît son sujet ; si nous nous dispersons, plutôt qu’affirmer notre identité, nous serons morts.
Imaginez un comédien qui joue dans S.A.B.E.N.A., qui défend le J’accuse qu’interpréta Manuel et qui s’en irait quelques temps plus tard jouer au Théâtre du Parc. Nous sommes tous d’accord pour dire que ce serait un rigolo, un triste con, et nous ne pourrions rejoindre le concert de ceux qui se raviront à hurler à l’escroquerie idéologique. Rappelez-vous que rarement une compagnie ne fit l’objet d’autant de controverses que la nôtre ; nous avons des ennemis (à commencer par l’ensemble des États généraux), attention donc, soyons conscients du discours que nous tenons !
Le Théâtre de l’oc n’a rien d’autre à vous offrir que la révélation de vous-même dans le souci de révéler un projet artistique commun. Il n’y a aucun contrat qui nous lie sinon celui de l’amitié, ou de l’amour. Ceux qui n’ont pas envie d’être fidèles, honnêtes, qui n’ont pas envie de vivre cette aventure, ceux qui préfèrent l’instant présent à l’avenir proche et à sa construction n’ont rien à faire avec moi.
Lorsque je parle de fidélité, je ne dis pas que vous devez travailler exclusivement avec l’oc, mais quoique vous fassiez, vous réfléchissiez à l’oc.
Dans le même sens, celui de la fratrie, nous ne devons rien nous cacher, si ce n’est le secret inévitable et vital à tout projet artistique en cours d’élaboration, qui nous empêche de communiquer avec « l’extérieur » lorsque nous sommes en période de travail de plateau, nous devons nous tenir au courant de nos projets respectifs in ou extra-muros. C’est une question d’honnêteté.
Mais je n’arrête pas de parler de ce fameux discours artistique commun sans jamais le définir clairement. C’est ce que j’avais tenté de faire dans le premier Manifeste de l’oc, mais le temps a probablement effacé de vos mémoires le fondement théorique de notre compagnie. Voici en quelques points ce que je sens comme lien « théorique et pratique » entre nous :




