Des nomades, des constructeurs de trains miniatures et des routiers, le monde de Stefan Kaegi

Des nomades, des constructeurs de trains miniatures et des routiers, le monde de Stefan Kaegi

Le 15 Juil 2006
Rahel Hubacher et Hermann Löhle dans MNEMOPARK, mise en scène de Stefan Kaegi, 2005. Photo Sebastian Hoppe.
Rahel Hubacher et Hermann Löhle dans MNEMOPARK, mise en scène de Stefan Kaegi, 2005. Photo Sebastian Hoppe.

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Rahel Hubacher et Hermann Löhle dans MNEMOPARK, mise en scène de Stefan Kaegi, 2005. Photo Sebastian Hoppe.
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STEFAN KAEGI est un nomade. Au fond, il est tou­jours en route. Et lorsqu’on le ren­con­tre, il porte rarement une valise. La plu­part du temps, il vit avec son sac jaune fluo telle­ment typ­ique qu’il porte sur l’é­paule, qui sem­ble pra­tique, résis­tant à la pluie et aux tem­pêtes et qui est assez large pour con­tenir son matériel de tra­vail et sa caméra — celle-là, il l’emporte tou­jours — et égale­ment les affaires de pre­mière néces­sité. Il y a peu, on ne lui con­nais­sait qu’une boîte postale à Franc­fort, main­tenant Ste­fan Kae­gi pos­sède une cham­bre et une vraie adresse à Berlin. Mais le plus sou­vent, il est en voy­age pour faire ses recherch­es et pré­par­er ses dif­férents pro­jets théâ­traux. De temps en temps, je reçois un e‑mail de Ste­fan me don­nant son itinéraire détail­lé, et il n’est pas rare que celui-ci prévoie, pen­dant un voy­age de deux semaines, une ville dif­férente chaque jour — Varso­vie, Vienne, Budapest, Ljubl­jana, Sofia, Avi­gnon, Bâle, Berlin, etc. Il sem­ble trou­ver tout à fait nor­mal ce que tout autre trou­verait fati­gant. Au fond, on pour­rait se pass­er de cette liste avec son itinéraire car on peut tou­jours join­dre Kae­gi. Son bureau mobile fonc­tionne par­faite­ment via son télé­phone portable (je ne veux pas savoir quelles sommes astronomiques lui sont fac­turées chaque mois), son ordi­na­teur portable et son e‑mail. Le fait de voy­ager et d’être tout le temps en route fait par­tie de sa con­cep­tion exis­ten­tielle.

Ste­fan Kae­gi est né à Solothurn, une jolie petite ville du cen­tre de la Suisse. Après son bac­calau­réat, il com­mence des études à Bâle et à Zurich, puis il étudie les sci­ences théâ­trales appliquées à Giessen. Ensuite, il com­mence son exis­tence de nomade. Il est auteur et pro­duc­teur de pièces radio­phoniques, il réalise des pièces et des inter­ven­tions de théâtre doc­u­men­taire et y fait des per­for­mances, seul ou en dif­férentes asso­ci­a­tions artis­tiques. En 1998, il fonde avec Bernd Ernst le label « Hygiene Heute » (Hygiène aujourd’hui) pour pou­voir intro­duire dans les théâtres des pannes et des « ready-made » théâ­traux. Ain­si, ils ont accueil­li soix­ante spé­cial­istes pour le « con­grès des con­duc­teurs sans per­mis » au Kamp­nagel1 à Ham­bourg. Dans la vis­ite audio guidée « Kirch­n­er », les arrière-cours de Franc­fort, Giessen et Munich devi­en­nent un décor de théâtre qu’on peut vis­iter. En juin 2001, plus de 70 vrais diplo­mates étaient en con­férence dans le quarti­er des musées à Vienne sous le titre « L’Eu­rope danse. 48 heures de con­grès de cochons d’inde », à Mannheim, plus de 100 000 four­mis for­maient, dans la galerie Exit Zeitraum, un « État. Un ter­rar­i­um ». La dernière mise en scène de Hygiene Heute s’est passée pour le Tanzquarti­er àVi­enne, avec deux physi­ciens des par­tic­ules avec leurs expéri­ences (« Physique », 2003).

Depuis 2000, Ste­fan Kae­gi col­la­bore régulière­ment et étroite­ment avec Hel­gard Haug et Daniel Werzel. Les trois se con­nais­sent depuis leurs études à Giessen et ont for­mé le col­lec­tif artis­tique Rim­i­ni Pro­tokoll.

Ils se sont fait con­naître du grand pub­lic par une inter­ven­tion théâ­trale qui a fail­li ne pas avoir lieu. Dans le cadre de « The­ater der Welt » (théâtre du monde), ils voulaient recon­stituer dans l’ancienne Assem­blée à Bonn un débat par­lemen­taire de Berlin, avec 200 vrais citoyens de Bonn. Le dis­cours poli­tique devait être copié et mis dans la bouche du peu­ple sou­verain. Wolf­gang Thierse, qui était alors le prési­dent du par­lement fédéral, a craint pour la dig­nité du par­lement et a inter­dit l’utilisation de la salle d’assemblée plénière (qui est pour­tant louée à des firmes et à des asso­ci­a­tions de car­naval). Finale­ment, le pro­jet a eu lieu dans un hall du Théâtre de Bonn, avec un écho médi­a­tique spec­tac­u­laire.

Depuis lors, Rim­i­ni Pro­tokoll a tra­vail­lé dans dif­férentes villes, sur Les sujets les plus divers :à Luzerne en 2002, ils ont mis en scène cinq jeunes fous du tir sous le titre SHOOTING BOURBAKI. À Hanovre, ils ont per­mis au pub­lic d’ob­serv­er le cen­tre de Hanovre à tra­vers 40 longues vues à par­tir d’un dix­ième étage (SONDE HANNOVER, 2002).

Dans DEADLINE au Deutsches Schaus­piel­haus de Ham­bourg, on avu cinq experts des méth­odes de mise à mort en Europe cen­trale (spec­ta­cle invité au Berlin­er The­atertr­e­f­fen en 2004). À Brux­elles, ils ont créé SABENATION, avec sept vic­times de la fail­lite de la Sabena, qui a été jouée depuis lors dans toute l’Europe. Au print­emps 2004, ils ont mon­té CALL CUTTA (avec le Goethe Insti­tut et la Fon­da­tion fédérale de la cul­ture), une vis­ite guidée live par télé­phone portable du quarti­er Kreuzberg de Berlin, à par­tir d’un call cen­ter en Inde. Le portable guide les vis­i­teurs à la décou­verte de leur pro­pre ville, avec la voix à l’ac­cent indi­en d’un employé d’un call cen­ter de Cal­cut­ta — sym­bole de la délo­cal­i­sa­tion de mil­liers d’emplois alle­mands. La dernière expéri­ence de Rim­i­ni Pro­tokoll au Schaus­piel­haus de Zurich a été BLAIBERG ET SWEETHEART 19, une com­bi­nai­son osée de per­son­nes qui ont affaire médi­cale­ment aux cœurs (une femme avec un cœur trans­plan­té, une tech­ni­ci­enne des élec­tro­car­dio­grammes) et de ceux qui cherchent par inter­net des âmes sœurs et des parte­naires pour la vie.

Bien que tous ces pro­jets de Rim­i­ni Pro­tokoll sont tou­jours dif­férents et var­iés, ils ont un point com­mun : ils ne vivent ni des comé­di­ens ni d’un texte lit­téraire, mais du regard, à la fois pré­cis et affectueux, porté à des spé­cial­istes du sujet choisi, des experts du quo­ti­di­en qui révè­lent d’une façon admirable beau­coup de leur biogra­phie et de leurs expéri­ences. Ils sont les acteurs prin­ci­paux de la soirée. Et, ce qui n’est pas évi­dent, ils sont tou­jours pro­tégés. Les hommes de Rim­i­ni Pro­tokoll n’ont pas seule­ment un sens extra­or­di­naire­ment bien dévelop­pé pour choisir leurs acteurs. Ils réus­sis­sent aus­si à pro­téger ceux qui offrent tant d’eux-mêmes, à ne pas les expos­er à la pitié ou au voyeurisme du pub­lic. Ce n’est pas quelque chose qui va de soi, et cela con­stitue la grande qual­ité de toutes ces mis­es en scène très dif­férentes.

Il ne s’agit pas de repro­duire sim­ple­ment ou de drama­tis­er la réal­ité sur scène, mais de mon­tr­er la réal­ité dans une struc­ture théâ­trale, c’est-à-dire de mon­tr­er ce qui est théâ­tral­ité dans notre quo­ti­di­en. Ste­fan Kae­gi, Hel­gard Haug et Daniel Wet­zel sont des doc­u­men­taristes de la réal­ité. Ils ont inven­té, au cours des dernières années, une nou­velle forme de théâtre doc­u­men­taire
qui se nour­rit du fait que des experts du quo­ti­di­en, des « acteurs ready-made » comme ils les appel­lent, sont placés dans un con­texte théâ­tral.

Au départ de chaque pro­jet, nous trou­vons donc non pas un texte, mais une idée con­ceptuelle et un tra­vail de recherche minu­tieux et appro­fon­di, qui n’est pas seule­ment basé sur la lec­ture de textes en rela­tion avec le sujet choisi, mais surtout sur des rap­ports oraux et des inter­views qui sont organ­isées avec des experts et des spé­cial­istes. Ce qui rend très claire la démarche de départ : même si Le sujet est très vaste, Kae­gi /Haug / Wet­zel font des recherch­es des grands con­textes mon­di­aux dans les sit­u­a­tions indi­vidu­elles en aigu­isant le regard sur cer­tains phénomènes et per­son­nes. Le grand pro­jet du monde se crée à petite échelle, mais sem­ble par­fois plus juste et plus exact qu’une réflex­ion générale.

Depuis l’époque de ses études, Ste­fan Kae­gi tra­vaille aus­si comme artiste indépen­dant. Il a dès le départ noué de bons con­tacts avec le Goethe Insti­tut, et la liste des villes où il a fait des mis­es en scène se lit comme la base même de sa vie de nomade : Buenos Aires, Cra­covie, Bogotä, Säo Paulo. Il est intéres­sant de con­stater que la plu­part de ses travaux indi­vidu­els ont pour objet la mobil­ité, dans le sens large du terme, que ce soi du point de vue con­tenu ou formel : par exem­ple, les spec­ta­teurs audio­gu­idés dans leur pro­pre ville dans un bus, à moto ou à pied peu­vent ain­si porter un regard nou­veau sur des réal­ités de leur ville qu’ils pen­saient con­naître. Lors de la mise en scène TORERO PORTERO (2002), trois gar­di­ens argentins qui avaient per­du leur boulot étaient placés dans la rue et racon­taient leur his­toire alors que les spec­ta­teurs les regar­daient à tra­vers une grande vit­re, plaçant ain­si les spec­ta­teurs dans la per­spec­tive qui était celle des gar­di­ens aupar­a­vant. À Buenos Aires, il a réal­isé SENTATE. UN ZOOSTITUTO, avec cinq pro­prié­taires d’an­i­maux domes­tiques. À Graz, des DOLLY GRIP GRAZ — motos manip­ulées acous­tique­ment — tra­ver­saient la ville cul­turelle d’Eu­rope. À Cra­covie, ilaor­gan­isé SKRÔT. KRAKAU FILES, un jeu de piste en forme de course-pour­suite.

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Écrit par Andrea Schwieter
Andrea Schwi­eter a été assis­tante en dra­maturgie et dra­maturge à la Volksbühne de Berlin, sous la direc­tion de...Plus d'info
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