Journal (extraits)
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Journal (extraits)

Le 16 Nov 2007
Article publié pour le numéro
Couverture du numéro 94-95 - Lars Norén
94 – 95
Article fraîchement numérisée
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25 mars 2001

Me suis réveil­lé à six heures moins le quart puisqu’on est passé à l’heure de l’été. Angoisse légère. Tou­jours le matin. Ne veux pas sor­tir de ma soli­tude et de mes retranche­ments, aus­si frag­iles qu’ils soient. Veux rester ici. Ne veux pas voir quelqu’un d’autre. Par­lé avec C. qui m’a appelé de Paris. Alors je me suis ren­du compte de ma tristesse et de ma colère.Elle m’a demandé si elle me man­quait. Je lui ai dit que non. J’ai dit que je ne voulais pas lui par­ler. Elle m’a rap­pelé. Oui, pen­dant notre pre­mière con­ver­sa­tion elle m’a demandé si je l’aimais. Je ne voulais pas répon­dre. Quand elle a rap­pelé, elle m’a dit que je lui man­quais, quelle m’aimait, quelle est mal­heureuse et inquiète tout le temps. Je le sais. Mais je ne sais pas quoi faire. Me suis promené au Södra Teatern. Lec­ture avec Kristi, Micke, Per Burell, Annic­ka Hallin, Eti­enne Glaser, Jes­si­ca Zandén et Johan Rabeus. C’était une bonne lec­ture. On a ri énor­mé­ment. Je me demande si je dois vrai­ment laiss­er tous les per­son­nages, sauf un, mourir à la fin. Je l’ai écrit ain­si, mais cela me paraît trop facile. Comme si je me défi­lais. Peut-être qu’ils sont morts déjà dès le début et que je ne dois pas faire comme si c’était une blague, pas les laiss­er plaisan­ter, comme ils font main­tenant. Il faut que j’approfondisse les rôles de femmes et que je mon­tre des con­flits plus impor­tants. À présent ce n’est qu’un adieu, des morts silen­cieux qui avan­cent d’un pas. En plus, les motifs juifs sont trop faibles et trop généraux. Faut qu’ils soient plus forts et plus sérieux. Mais ce sont des Juifs sué­dois. C’est quand même une très bonne pièce. Riche et com­plexe. Qui change sans arrêt. Je pense que je pour­rais la dévelop­per sans dif­fi­cultés. Beau­coup de choses me sem­blaient très bonnes et effi­caces. Suis allé avec Ulri­ka, Micke et Kristi au Muggen, un café som­bre et bour­ré de monde sur Gôt­gatan. Kristi a pris un café au lait et un sand­wich tomates fro­mage. Micke et moi avons partagé un sand­wich au thon. Tous les cafés de la ville ser­vent les mêmes sand­wich­es. Ils changent de menu en même temps, comme les fos­sés changent de fleurs sur l’île de Got­land. J’ai ren­ver­sé mon café par terre. Très bruyant. Les gens se par­lent en hurlant et ils trou­vent ça nor­mal. On s’est séparé devant le café. Je l’ai prise dans mes bras et je l’ai embrassée. Elle ne s’est pas retournée quand elle mon­tait Gôt­gatan avec Micke. Elle m’a regardé très longtemps avant de par­tir. C’est peut-être la dernière fois que je la vois. Pour elle je suis prob­a­ble­ment une sécu­rité en ayant un rôle de père. Rien d’autre. Je suis triste. Triste parce que mes sen­ti­ments sont peut-être morts. Je suis triste aus­si parce que je ne lui ai pas demandé de ren­tr­er avec moi. Triste de l’avoir quit­tée et d’être tombé amoureux d’elle. Ça fait mal. Mais je ne sais pas tout à fait ce qui provoque le mal. C. va arriv­er à huit heures et je lui mens. J’ai fait les cours­es. Faut que j’arrive à lui par­ler. Quand ? Demain ? Salué Jonas Karls­son dans le bus 46. Je pense que c’était Jonas Karls­son. BLUE / ORANGE n’a été ni une réus­site ni un échec. Je l’aimais bien quand je l’ai lu. Kristi m’a dit que les acteurs étaient très bien, mais que la pièce et la représen­ta­tion parais­sent dépourvues d’intérêt et inutiles. — Jes­si­ca Zandén était plus petite, plus fine et plus gra­cieuse que ce que je me suis imag­iné. Très belle. Rapi­de. Drôle. Intel­li­gente. Ne lisait pas telle­ment bien, ce qui ne dit pas grand-chose. Était trop forte et dénuée de pro­fondeur. Eti­enne était par­fait. Micke devient telle­ment stock­hol­mois quand il lit un texte pour la pre­mière fois, essaie de charmer comme un petit garçon chahuteur. Kristi était mer­veilleuse. Anni­ka, Per et Johan étaient très bien, même Johan. J’ai pen­sé à Svein Tind­berg. Je crois que c’est lui qui va faire Trig­orine. Par­ler avec Ste­fan jeu­di ou vendredi.Je dois absol­u­ment con­tin­uer ce que je suis en train d’écrire, mais j’aimerais aus­si écrire une autre sorte de pièce. Une pièce avec un con­flit plus nu et évi­dent, avec un drame plus clair et pur, une petite tragédie. Les autres choses, je les con­nais déjà, pour­tant ce que je fais pour l’instant me fascine assez. Une inter­ro­ga­tion peut-être. L’assassinat à Kode, que j’ai lais­sé tomber après les assas­si­nats à Malexan­der. J’ai lu les procès-ver­baux hor­ri­bles après les inter­ro­ga­tions. J’y pense sou­vent. Peut-être l’écrire de cette manière-là. Un pris­on­nier dans une clin­ique psy­chi­a­trique. Il n’y a que deux per­son­nes. Sept Trois mais sous une autre forme. Je ne peux pas y met­tre un prêtre. Ils ne pour­raient pas être dans la même pièce, tous les trois. C’est impens­able. Je ne veux pas écrire la pièce de Pen­hall. J’ai racon­té au met­teur en scène bosni­aque mon texte sur Kode, ce que j’ai écrit, quand on l’a vu chez Isa. C’était entre la pre­mière de Sept Trois et les assas­si­nats à Malexan­der. Je cherche une autre forme pour la matière de Kode. De temps en temps, je tra­vaille l’esquisse d’un texte sur la vio­lence et les meurtres en cours. Mats. Tony. Dinoet Kalle. Mais quelle est la sit­u­a­tion. — Pen­dant une pause à la lec­ture, Micke m’a racon­té la vie d’une femme, trente-cinq ans, habilleuse au Dra­mat­en. Ses par­ents vien­nent de la République tchèque. Le père a tou­jours traité sa fille et sa femme d’une manière bru­tale et grossière. Il y a quelque temps, quand elle avait des dif­fi­cultés, elle lui a demandé de l’argent pour s’en sor­tir. Après un cer­tain temps une enveloppe est arrivée — avec de l’argent du Monop­oly. Quand elle est allée en République tchèque un par­ent plus âgé lui a racon­té que sa mère était née en Bergen-Belsen. Micke a inter­prété cela comme si son enfance l’avait mar­quée à un tel point qu’elle a fini par se mari­er avec un sadique. — Je vais écrire une pièce qui par­le d’un jour­nal­iste qui vis­ite un pris­on­nier dans une prison. Moi et Mats. Encore une fois. Quand je pense à la manière dont Micke par­le de Dra­mat­en je sens qu’il fait sem­blant de détester ce lieu en même temps qu’il est très fier d’y être.

26 mars 2001

C. était malade et avait mal au cœur quand elle est ren­trée hier. Elle a pris un thé et est allée se couch­er. On a vu SOPRANOS ensem­ble. Je ne sup­porte pas ces gens affreux. C’est Shake­speare des temps mod­ernes. Richard III de notre époque. Il est très bien, désagréable, mais je suis quand même un peu indif­férent. Ren­dez-vous avec Ingrid à 10 heures. Je lui ai dit que je ne viendrai pas au Dra­mat­en. J’ai des angoiss­es quand j’entre dans ce théâtre. Elle m’a dit qu’elle était désolée. Je lui ai par­lé de l’autre pièce, celle avec les enfants morts. Peut-être que Lennart pour­rait la mon­ter là-bas s’il veut. Il m’a dit que lui non plus n’aime pas y tra­vailler. Je lui ai demandé depuis com­bi­en de temps elle est chef. Qua­tre ans et demi, m’a‑t-elle dit. — Pen­dant ce temps-là, tu n’as pas présen­té une seule de mes pièces. Les pièces qui ont été jouées au Dra­mat­en, CATÉGORIE 3.1, LES GARÇONS DE L’OMBRE et ICI-BAS, sont des col­lab­o­ra­tions ou des invi­ta­tions. Elle était un peu indignée. Je lui ai dit que ce sont des faits. Tu es bien le chef. Si tu veux qu’une de mes pièces soit mon­tée, tu n’as qu’à le décider. Il y a de quoi choisir. J’ai pen­sé à ce quelle a dit à Lennart après la pre­mière de SEPT TROIS : les pièces de Norén ne seront pas mon­tées dans les années à venir. — Eti­enne m’a appelé quand je pas­sais par Hum­legâr­den. Il avait relu TRISTANO le soir. On va se par­ler ce soir. Mai­son. Ensuite on est allé à la clin­ique Sofi­a­hem­met. Ren­con­tré KG. Il a dit que d’une manière pure­ment médi­cale il ne peut pas nous décon­seiller de rées­say­er un traite­ment FIV puisque la fécon­da­tion a eu lieu qua­tre fois. Il trou­vait qu’on devait le faire une dernière fois, mais il nous a dit que ce sera la dernière. Après ce ne serait plus médi­cale­ment jus­ti­fi­able et il ne pour­rait pas le recom­man­der. Il a fait un doppler et il y avait un gros œuf som­bre prêt à se défaire. Si vous voulez être enceinte, c’est le moment de ren­tr­er et essay­er. On est ren­tré en silence. C. m’a dit quelle voulait le faire. Je me sens comme si j’avais une blessure qu’il ne faut pas touch­er. Je ne veux même pas la net­toy­er. Je ne veux pas m’ouvrir. Puisque je suis telle­ment fâché et déçu et que je me débats tout seul pour savoir com­ment me com­porter je cherche seule­ment les raisons de cette sen­sa­tion. Je veux divorcer et je n’arrive pas à le dire. Je ne sais pas ce qui va arriv­er si je le dis. On a fait l’amour. C’était pure­ment tech­nique. J’étais com­plète­ment retenu à l’intérieur, mais je l’ai fait quand même. J’ai l’impression de l’offenser, ain­si que moi-même. Pourquoi je fais ça ? C’est comme un sui­cide sen­ti­men­tal. Je vais très mal. Pourquoi j’agis comme ça ? Pourquoi je fais des choses con­tre moi ? Pourquoi je me fais vio­lence ? Pourquoi je n’ai pas de dig­nité ? Je sais que si j’avais dit non, c’aurait été la même chose que si j’avais dit que je ne l’aimais pas. Est-ce que j’ai telle­ment peur de bless­er, ou de me dis­put­er avec elle ? Ce n’est que de la lâcheté, de la lâcheté ordi­naire. Faut qu’on se par­le. Aujourd’hui ou demain ou mer­cre­di. Je ne peux pas tou­jours reporter cela. Je vais nous faire encore plus mal à tous les deux. Ingrid m’a dit quelle avait une longue journée devant elle. Quelle fai­sait un dîn­er le soir pour les anciens de Dra­mat­en. C’est Lars Lôf­gren qui a instau­ré cela. Tous ceux qui ont tra­vail­lé au Dra­mat­en et qui ne sont pas encore morts sont invités à un dîn­er dans la salle de mar­bre une fois par an. Ulri­ka m’a dit que les pièces en un acte étaient bien hier. Johan était très décon­trac­té. La fin était meilleure. Salle comble. Ce soir aus­si. Anni­ka Hallin n’était pas telle­ment con­tente. Tra­vail­lé la pre­mière pièce. Mais pense à la deux­ième, dont je ne sais rien. — J’ai dû me caress­er pour arriv­er à ban­der. — J’ai lu la longue inter­view avec Tony Ols­son hier. C. m’a don­né un beau sty­lo qu’elle a acheté à Paris. Elle s’est acheté un sty­lo plume blanc et de l’encre rouge qui sent la rose. Je dois aus­si par­ler de l’argent. Il fait beau dehors. Toutes les odeurs ont changé de car­ac­tère avec le print­emps. Assez froid. Je ne sais pas com­ment faire. Je sais quoi, mais pas com­ment.

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