France-Chili : un maillage théâtral en trois mouvements

France-Chili : un maillage théâtral en trois mouvements

Le 15 Déc 2007

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Couverture du numéro 96-97 - Théâtre au Chili
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DEPUIS LA CRÉATION du Teatro Exper­i­men­tal de l’U­ni­ver­sité du Chili en 1941 et du Teatro de Ensayo de l’U­ni­ver­sité Catholique en 1943, en pas­sant par les utopies et le dynamisme ‚politi­co-social des années 70, la lutte clan­des­tine des années noires de la dic­tature, jusqu’au nou­v­el élan d’une jeunesse qui prend le relais avec con­vic­tion, le théâtre se hisse au Chili comme un sym­bole de lib­erté, un espace dédié à la réflex­ion et à l’ex­péri­men­ta­tion, un ter­rain favor­able au croise­ment cul­turel. En témoigne la créa­tion récente du CNCA, Con­se­jo Nacional de la Cul­tura y las Artes, min­istère dirigé actuelle­ment par la comé­di­enne Pauli­na Urru­tia.

Depuis le retour à la Démoc­ra­tie en 1990, le Chili con­naît une réelle avancée en matière de poli­tique cul­turelle forte­ment ori­en­tée vers le théâtre : Fes­ti­val Inter­na­tion­al San­ti­a­go a Mil (ex FITAM, 1994), Mues­tra de Dra­matur­gia Nacional ( 1995 ), Fes­ti­val de Dra­maturgie Européenne Con­tem­po­raine(2001), Dia Nacional del Teatro ( 2007) nou­veaux lieux de dif­fu­sion comme Matu­cana 100 (2001) ou le Cen­tra Mori (2005) offrent une palette riche de ren­con­tres et de créa­tions tant sur le plan local qu’in­ter­na­tion­al. Le Chili peut désor­mais s’ou­vrir au monde et pré­ten­dre à un rôle cul­turel de pre­mier plan en Amérique latine. Ce dynamisme s’in­scrit dans un développe­ment des échanges avec de nom­breux pays comme l’Es­pagne, l’Alle­magne, l’An­gleterre et la France, tis­sant ain­si des liens qui, année après année, s’en­richissent et se for­ti­fient.

La France et l’Amérique latine — aux références philosophiques, poli­tiques et cul­turelles proches — entre­ti­en­nent une rela­tion anci­enne et priv­ilégiée fondée sur une forte con­fi­ance. Elles parta­gent des valeurs com­munes et la vision d’un monde mul­ti­po­laire.

Bien que les enjeux de la France y soient con­sid­érables ( en matière poli­tique, économique, sci­en­tifique et cul­turelle), cer­tains par­lent d’un désen­gage­ment et d’un recul de sa présence dans l’ensem­ble de la région. Il sem­blerait au con­traire qu’au Chili cette présence ne cesse de s’ac­centuer. Elle va au-delà d’une sim­ple stratégie de dif­fu­sion cul­turelle : il s’ag­it avant tout d’un engage­ment pour la pro­mo­tion et la diver­sité cul­turelles, d’un dia­logue, voire même d’un « mariage » entre les deux cul­tures.

Nous pou­vions lire dans la revue théâ­trale Pro Arte ( 1948 – 19 55) un arti­cle inti­t­ulé « El amor de Fran­cia ». Un demi-siè­cle plus tard, cet « amour » presque pla­tonique d’un pays envers l’autre s’est con­ver­ti en une coopéra­tion de longue haleine. L’in­ten­sité de cette col­lab­o­ra­tion reflète l’im­por­tance toute par­ti­c­ulière du Chili pour la France, en rai­son de l’an­ci­en­neté des liens qui unis­sent les deux pays comme du développe­ment du Chili au sein de l’Amérique latine. De son côté, la France souhaite s’af­firmer de plus en plus auprès du Chili comme la « porte d’en­trée » vers l’U­nion européenne.

Pour repren­dre les mots de l’au­teur dra­ma­tique chilien Ben­jamin Galemiri, comme dans toute his­toire d’amour, cette ami­tié est en per­pétuelle muta­tion ; elle se « con­stru­it, se détru­it et se restau­re »1 … Por­trait d’une coopéra­tion artis­tique en trois mou­ve­ments.

Con­struc­tion : El amor de Fran­cia

Mau­vaise sur­prise pour Sarah Bern­hardt lorsqu’elle vint jouer à Val­paraiso en 1887 ; elle repar­tit sitôt dégoûtée du Chili qui, com­paré à Buenos Aires, n’é­tait cer­taine­ment pas à la hau­teur : ce n’é­tait alors qu’un pas­sage obligé pour les com­pag­nies qui avaient comme véri­ta­ble final­ité l’Ar­gen­tine, l’U­ruguay ou le Brésil. Mais ces tournées inter­na­tionales eurent un impact réel sur la scène locale ; il s’agis­sait d’un air nou­veau venu d’Eu­rope en réac­tion au vieux théâtre espag­nol.

Les années 40 furent déter­mi­nantes dans la mesure où de nom­breuses troupes français­es firent escale à San­ti­a­go, ouvrant ain­si la voie aux nou­velles dra­matur­gies européennes, et de nom­breux Chiliens par­tirent se for­mer en France et en Angleterre, ce qui annonçait les débuts
du Teatro Exper­i­men­tal de l’U­ni­ver­sité du Chili (actuel Teatro Nacional) et du Teatro de Ensayo de l’U­ni­ver­sité Catholique (TEUC).

En suiv­ant cette mou­vance théâ­trale, la revue cul­turelle Pro Arte fut pri­mor­diale à la sauve­g­arde et à la dif­fu­sion du théâtre français. L’artiste, cri­tique et intel­lectuel français Éti­enne Frois écriv­it de nom­breux arti­cles sur le théâtre d’Anouilh, de Sartre, de Claudel, mais se ren­dit égale­ment à Paris où il fit con­naître la vie théâ­trale chili­enne à la Mai­son de l’Amérique Latine. Avec le fon­da­teur du Teatro Exper­i­men­tal Pedro Ort­hous, ils sont les pre­miers à tiss­er des liens étroits avec la France ; Ort­hous traduit et met en scène Antigone d’Anouilh, intro­duit Dullin et Jou­vet, crée le Teatro Exper­i­men­tal sous l’in­flu­ence directe du théâtre français d’après-guerre, dans lequel il puise « une lit­téra­ture dra­ma­tique com­bat­ive, capa­ble de mon­tr­er dans toute sa dureté l’af­fron­te­ment actuel de l’homme et de la société »2.

TAXI, mise en scène de Générik Vapeur, Santiago du Chili, janvier 2006. Photo Loreto Araya.
TAXI, mise en scène de Générik Vapeur, San­ti­a­go du Chili, jan­vi­er 2006. Pho­to Lore­to Araya.

Avec la venue tri­om­phale de Louis Jou­vet et L’ÉCOLE DES FEMMES en 1942, la présen­ta­tion au Théâtre Munic­i­pal à San­ti­a­go de L’ANNONCE FAITE À MARIE de Paul Claudel par le Teatro de Ensayo de l’U­ni­ver­sité Catholique en 1949, la venue de Madeleine Renaud et Jean-Louis Bar­rault en 1954 où ils présen­tèrent un CHRISTOPHE COLOMB de Claudel pluridis­ci­plinaire avec pro­jec­tion ciné­matographique, orchestre sym­phonique, bal­let et de vraies colombes, la venue de La Comédie- Française en 1948 avec Hurs CLOS et LES FEMMES SAVANTES en 1959, la vis­ite de Camus en 1949 ou celle de Marceau dès 1961, la France s’im­pose désor­mais comme un pôle incon­tourn­able de la créa­tion théâ­trale et le Chili comme une escale de plus en plus recher­chée.

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