Confessions d’un homme d’honneur Vincenzo Pirrotta, LA BALLATA DELLE BALATE

Théâtre
Critique

Confessions d’un homme d’honneur Vincenzo Pirrotta, LA BALLATA DELLE BALATE

Le 24 Jan 2009
La procession des Mystères du vendredi Saint à Trapani (Sicile) en 2004. Photo Mario Amalfi.
La procession des Mystères du vendredi Saint à Trapani (Sicile) en 2004. Photo Mario Amalfi.

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La procession des Mystères du vendredi Saint à Trapani (Sicile) en 2004. Photo Mario Amalfi.
La procession des Mystères du vendredi Saint à Trapani (Sicile) en 2004. Photo Mario Amalfi.
Article publié pour le numéro
Couverture du numéro 100 - Poétique et politiqueCouverture du numéro 100 - Poétique et politique - Festival de Liège
100

LE 11 AVRIL 2006, après quar­ante-trois ans de clan­des­tinité, Bernar­do Proven­zano, chef suprême de la Mafia sicili­enne, com­man­di­taire d’une cen­taine d’assassinats et recon­nu coupable d’une cinquan­taine d’autres, est arrêté dans une cabane isolée à quelques kilo­mètres de son habi­ta­tion de Cor­leone, dans la région de Palerme. Au moment de son arresta­tion, il avait en poche des pizzi­ni, petits mes­sages écrits à la main, qu’il util­i­sait pour com­mu­ni­quer avec ses hommes et sa famille. Il por­tait autour du cou trois petites croix, et est sor­ti de son long mutisme unique­ment pour deman­der sa Bible – celle-ci se révéla être en réal­ité son out­il de com­mu­ni­ca­tion par excel­lence, rem­plie de notes et de codes cachés.
Le 26 octo­bre 2006 a lieu la pre­mière représen­ta­tion de LA BALLATA DELLE BALATE, au théâtre Mon­tev­ergi­ni de Palerme – lieu haute­ment sym­bol­ique, util­isé en 1989 pour le début du Maxi-procès con­tre la Mafia. Écrite, mise en scène et inter­prétée par Vin­cen­zo Pir­rot­ta, la pièce racon­te l’histoire d’un homme en cav­ale, qui, dans sa cachette, récite un rosaire où « les mys­tères douloureux sont ceux de la pas­sion du Christ, et les mys­tères joyeux (mys­tères d’état) sont ceux des cinq mille vic­times de Cosa Nos­tra »1.
Vin­cen­zo Pir­rot­ta, avec Emma Dante et Davide Enia représen­tent le bre­lan d’as paler­mi­tain du nou­veau théâtre ital­ien. Ils affron­tent, loin de tout cliché, le tabou de la Mafia.
Élève de Mim­mo Cutic­chio, Vin­cen­zo Pir­rot­ta est un héri­ti­er de la tra­di­tion des con­teurs siciliens2 . Il s’inscrit dans la lignée des grands auteurs – acteurs mono­logu­istes ital­iens. Auteur d’une trilo­gie, I TESORI DELLA ZISA (N’GNANZOÙ, his­toires de mer et de pêcheurs, LA FUGA DI ENEA, LA MORTE DI GIUFÀ ), il écrit aus­si à qua­tre mains avec Peppe Lanze­ta, MALALUNA (prix E.T.I. 2004), où il racon­te les villes de Palerme et de Naples. En 2005, il reçoit le prix de la cri­tique comme meilleur auteur, acteur et met­teur en scène émergeant, décerné par l’Asso­ci­azione Nazionale Crit­i­ci di Teatro.
Le tra­vail de Pir­rot­ta s’inscrit entre tra­di­tion et moder­nité. On y retrou­ve les racines cul­turelles
de sa terre, la Sicile, et en même temps le développe­ment d’une recherche et d’une expéri­men­ta­tion dans l’écriture textuelle et scénique.
La Mafia de Sicile (appelée Cosa Nos­tra) n’est pas celle de Naples ( appelée Cam­mor­ra ) et depuis des années il n’y a plus d’amoncellement de morts dans les rues. Mais la paix rel­a­tive qui existe aujourd’hui ne sig­ni­fie pas que la Mafia n’existe plus ou n’opère plus. Gio­van­ni Fal­cone, mag­is­trat assas­s­iné en 1992, affir­mait au con­traire que la diminu­tion des assas­si­nats n’était pas le signe d’un affaib­lisse­ment de Cosa Nos­tra, mais plutôt la preuve qu’elle s’était con­solidée, ancrée dans les insti­tu­tions et dans la société, qu’elle se partageait le gâteau, et donc, qu’elle était plus dan­gereuse.
LA BALLATA DELLE BALATE, que l’on pour­rait traduire par La Bal­lade ( ou La Chan­son ) des Pier­res3 , n’est pas un spec­ta­cle doc­u­men­taire sur la Mafia mais un long poème en sicilien, cru­el, qui s’achève par une nette prise de posi­tion poli­tique. Le spec­ta­cle inter­prété par l’auteur est accom­pa­g­né par le musi­cien Gio­van­ni Par­rinel­lo (la musique est tou­jours inter­prétée en direct dans les pièces de Pir­rot­ta ).

L’inquiétante folie mystique d’un tortionnaire

La scène est dépouil­lée : une cham­bre avec une petite table, deux chais­es, quelques cierges et un osten­soir. Un homme entre, il porte une couronne d’épines, et sur la poitrine une cocarde vio­lette et noire, sym­bol­es de la con­gré­ga­tion des saints Joseph d’Arimathie et Nicodème. Il allume un cierge.
Dans un élan mys­tique, souligné par les rythmes des per­cus­sions, l’homme entame une prière qu’il répétera trois fois en embras­sant dévote­ment la croix du rosaire :

Au nom du père et du fils et du Saint Esprit,
Oh Dieu vient me sauver, Seigneur vient vite à mon sec­ours.

Comme il était au com­mence­ment, main­tenant et tou­jours, et pour les siè­cles des siè­cles 4

Cette prière se déclin­era ensuite en cinq « mys­tères », cinq étapes de la Pas­sion du Christ.5

L’homme, seul dans sa cachette, se remé­more les pro­ces­sions religieuses de son enfance et récite un chapelet. Mais dans sa prière, les mys­tères s’alternent et finis­sent par for­mer un amal­game entre la Pas­sion du Christ et la Pas­sion du crime. On passe, en effet, sans tran­si­tion, des Mys­tères douloureux (par exem­ple, la fla­gel­la­tion du Christ) aux Mys­tères que le tor­tion­naire qual­i­fie de « joyeux » : le mas­sacre de Ciac­ul­li ( un des atten­tats les plus san­guinaires de la Mafia, en 1963, où sept cara­biniers furent tués par une voiture piégée), ou encore l’assassinat du jour­nal­iste Mau­ro de Mau­ro ( en 1970 ), par exem­ple.
Le mafieux met ain­si en par­al­lèle le mar­tyr de Jésus et les ter­ri­bles assas­si­nats. Il admire le sang qui a coulé du cœur de Impas­ta­to, Ter­ra­no­va et Boris Giu­liano (tous trois vic­times de la Mafia) et observe avec souf­france le sang de Jésus :
Les plaies que tu portes sur ta poitrine sont des tour­ments dans mon cœur.
On se trou­ve face à un délire où mys­ti­cisme et vio­lence se rejoignent presque naturelle­ment, où la haine pour les vic­times de Cosa Nos­tra cohab­ite avec un amour démesuré pour le Christ. La parole de Dieu et la parole bru­tale de la Mafia se con­fondent.
Au fur et à mesure de la pièce, les descrip­tions des meurtres se font plus pré­cis­es, et tout Sicilien recon­naît dans les réc­its de cet homme des crimes his­toriques :

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Vincenzo Pirrotta
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Laurence Van Goethem
Laurence Van Goethem, romaniste et traductrice, a travaillé longtemps pour Alternatives théâtrales. Elle est cofondatrice...Plus d'info
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