CHANTAL HURAULT : Dans WANTED PETULA, et dans l’ensemble du cycle de BOULI MIRO, vous abordez les grandes questions existentielles en laissant la fable glisser de la réalité vers l’irrationnel, à travers des jeux de langue, des mots d’esprit ou des situations fantastiques. De quelle façon l’écriture parle-t-elle aux fantasmes, aux désirs et aux frayeurs des enfants ?
Fabrice Melquiot : C’est comme embarquer à bord d’un train fantôme. Dans ses souterrains, on aurait disposé monstres et vampires, pour le plaisir des peurs, et puis les grandes questions, qui sont d’autres monstres, au fond, des vampires, à leur façon. Le désir, la peur, les fantasmes, tout peut être là. Ce sont des « créatures » comme les autres. On peut craindre un mot, une question, comme on craint les dents du vampire ou les grandes mains du monstre. Et puis dans ce train fantôme, il y a une galerie des glaces, la pièce principale ; une enfilade de miroirs déformants. On s’y reconnaît, pourtant on s’y découvre. On ne s’y reconnaît pas, mais le reflet ne nous est pas étranger pour autant. J’espère pour les enfants qui viennent s’asseoir dans l’obscurité du théâtre autant d’excitation, d’étonnement, que les passagers du train fantôme. Avec un petit quelque chose en plus qui n’appartient qu’aux mots, à la simplicité des mots, à ces profondeurs de soi où seuls les mots peuvent nous emmener.
C. H.: Quel lien entretenez-vous avec les contes de fées dans votre écriture ?
F. M.: J’emprunte, je détourne, je recycle. C’est d’abord une mémoire ; la mémoire est le fondement de l’imagination et cette rencontre la condition même de l’invention. Alors je fais comme chez moi. Les contes de fées méritent bien qu’on les pille ; ils nous hantent assez comme ça. J’ai l’impression que c’est en leur jouant de vilains tours que je respecte le mieux cette mémoire-là.
C. H.: Vous dites ne pas écrire « pour l’enfance » mais « depuis l’enfance ». Dans le contexte d’un spectacle ouvert à un public jeune, la question du désir et de la sexualité pourrait apparaître délicate. Avez-vous été tenté de l’éluder ?
F. M.: La question de la sexualité n’est pas un interdit. Le désir, l’intimité des corps, le secret de la chambre des parents, le mystère de la conception, tout cela fait partie des grandes curiosités enfantines. La fameuse petite graine. Chacun, pour en parler, cherche des images, des mots susceptibles de fabriquer des images qui tiennent lieu d’explication. Vive les métaphores jardinières. Dans WANTED PETULA, la sexualité est plutôt présentée comme une sorte de quête, un voyage, avec ses passages secrets. Je crois, j’espère que la question est abordée avec la distance humoristique qui permet de rire des choses les plus graves, des « sujets » les plus brûlants.
C. H.: La nourriture est très présente, de l’excédent de poids de Boulià l’anorexie de PetulaClark. De quelle façon appréhendez-vous le rapport que ces deux enfants ont avec la nourriture ?
F. M.: L’anorexie comme la boulimie ont à voir avec la disparition, bien sûr. Dans les deux cas, je crois qu’il y a effacement. Mais l’histoire de Bouli et Petula est une histoire d’obstination amoureuse. Ils s’entêtent à s’aimer. Passionnément. De toute la passion que la naïveté rend possible. En confiance, en sincérité. Il y a comme dans tout amour de l’appétit, du désir de dévoration, des fringales, des périodes de disette et d’opulence. Leurs corps communiquent, comme on le dit des vases. L’un se vide, en remplissant l’autre. Au fond, leur rapport à la nourriture est davantage dicté par la relation qu’ils entretiennent l’un à l’autre qu’à leurs individualités. On ne peut pas s’obstiner à aimer, sans en payer un certain prix. Il s’agit bien sûr de corps métaphoriques, de corps amoureux passant de grandes santés à de grands maux. Comme toute le monde. Avec les excès grotesques qu’ils méritent l’un et l’autre.